Les centres « hawker », la succession de la cuisine de rue au Singapour

de Stephanie Melody Yan

Contrairement à d’autres pays de l’Asie du Sud-est, le Singapour a déjà adopté son interdiction de la cuisine de rue traditionnelle il y a plus de cinquante ans. Son évolution vers les centres « hawker » a permis de rehausser ces petits kiosques et leurs cuisines authentiques en quelque chose digne d’une étoile Michelin. Depuis 2019, sept stands singapouriens sont reconnus par le guide prestigieux (Michelin Guide, 2019). Avec le soutien du gouvernement, ce modèle de complexe de restauration en plein air semble florissant, mais pas sans ses problèmes particuliers, qui pourraient menacer sa survie.

 

Une énorme file de Singapouriens affamés attendent leur tour à un kiosque reconnu par le guide Michelin. Le célèbre poulet à la sauce soja attire autant les résidants et que les touristes.
(crédit photo: Getty Images, 2016)

 

La fierté de Singapour

Les aliments vendus dans la rue, surtout dans les pays chauds, sont connus pour menacer la santé publique avec des problèmes de détritus, d’élimination des déchets et de congestion des trottoirs. Du point de vue du consommateur, le manque de familiarité et la peur de l’intoxication alimentaire peuvent dissuader les clients potentiels, en particulier les touristes (Cohen et Aviela, 2004). Au lieu d’interdire cette économie informelle, Singapour a adopté une approche différente. Au milieu des années 60, son gouvernement a centralisé les commerçants et imposé des licences et un régime réglementaire strict soumis à des inspections constantes. Les cuisiniers de rue non agréés ont été transférés dans des marchés et des centres officiellement supervisés (Henderson, 2017).

La culture « hawker » est devenue synonyme de l’identité nationale de Singapour. Les repas prêts à manger à bas prix sont un service essentiel pour les habitants. Les Singapouriens consomment quotidiennement de la nourriture de rue et certains centres sont même ouvert 24 heures/24. Malgré son caractère indispensable et l’aide des gouvernements pour formaliser le commerce, l’avenir de la cuisine de rue est incertain, car les successeurs des étals achalandés sont difficiles à trouver. Les jeunes générations sont dissuadées par les longues heures, le travail laborieux et les marges de profit relativement faibles. Il y a une pression intense pour maintenir des prix bas parmi les concurrents et la résistance des clients aux augmentations rend le changement problématique (Henderson, 2017). À mesure que le coût de la vie et des produits se multiplie, les habitants s’attendent à ce que la nourriture de rue reste abordable.

Soutien gouvernemental

Le gouvernement singapourien est rapide pour soutenir le secteur de l’alimentation de rue et préserver son patrimoine. L’Agence nationale pour l’environnement a modernisé les anciens centres et prévoit en construire vingt nouveaux d’ici 2027, équipés avec de la climatisation. Dans un effort continu pour appuyer l’industrie, la NEA offre une variété de subventions aux vendeurs, telle qu’une baisse des coûts de loyer pendant les deux premières années d’activité et l’accès à un service de vaisselle centralisé (National Environment Agency, 2019). Ces principes visent à attirer de nouveaux cuisiniers cherchant à ouvrir une entreprise avec de faibles coûts d’entrée et peu de risques.

En 2017, un comité présidé par le ministère de l’Environnement a été fondé pour élaborer une proposition sur l’amélioration et la promotion du commerce (Tarulevicz, 2018). L’une de ses principales suggestions était de mettre l’accent sur la formation de nouveaux entrepreneurs potentiels. Une stratégie appelée « programme d’incubation » a permis aux aspirants vendeurs de faire l’expérience de la gestion de leur propre kiosque sous la direction de mentors. Cependant, malgré l’enthousiasme pour ces programmes de formation, ils se sont révélés infructueux à long terme, car seulement 10 % des diplômés restent en affaires après un an (ibid).

 

La recette de ce bol de nouilles attitré d’une étoile Michelin risque de disparaître s’il n’y a personne pour prendre la relève du kiosque.
(crédit photo: JB Macatulad, 2016)

 

La nouvelle génération

Les rares personnes qui aspirent conserver l’héritage de la nourriture de rue proviennent de postes à responsabilité dans les carrières de bureau. Avec des diplômes universitaires, ces jeunes Singapouriens se tournent vers la vente de rue par passion. La majorité de la nouvelle génération avait grandi dans l’environnement et tente maintenant d’améliorer l’entreprise familiale. Ils ne souhaitent pas maintenir le statu quo. La nouvelle génération transporte l’industrie vers l’avenir en numérisant les paiements, les commandes et en utilisant les médias sociaux pour promouvoir leurs entreprises (Peak Magazine, 2016). Le prestige d’un prix Michelin et de festivals gastronomiques destinés aux amateurs gourmands séduit les nouveaux venus et inspire une ingéniosité qui pourrait relancer le secteur.

Problème non résolu

Cependant, avec la modernisation et l’augmentation des frais généraux, maintenir le bas coût des plats semble impossible. Les habitants sont-ils prêts à payer des prix plus élevés pour garder la cuisine de rue viable ? Les Singapouriens sont-ils même financièrement capables ? De nombreux résidants devront revoir leurs habitudes alimentaires et diminuer la quantité de plats préparés achetés. La réduction d’achalandage affectera par conséquent les revenus des vendeurs.

Salué comme la destination de la nourriture étoilée Michelin la moins chère, le Singapour attire les touristes venant de loin pour déguster ses plats authentiques. Les centres « hawker » sont un espace communautaire unique pour l’interaction sociale et sont devenus une attraction touristique pour les visiteurs qui cherchent à comprendre la vie quotidienne des Singapouriens (Henderson, 2017). Si les prix augmentaient, les touristes continueraient-ils de venir à la recherche d’aliments abordables de haute qualité?

De plus, les vingt nouveaux centres qui seront construits créeront soit une saturation sur le marché ou resteront vides, car le nombre de vendeurs au bord de la retraite surpasse celui des jeunes entrepreneurs. Le pays de Singapour lui-même s’est rapidement transformé au cours des dernières décennies et il est temps pour l’industrie de la cuisine « hawker » de s’adapter en conséquence.

 

Bibliographie

Cohen, E. et Aviela N. (2004) « Food in tourism: attraction and impediment. » Annals of Tourism Research 4 (31) : 755-778.

Henderson, Joan (2017) « Street food, hawkers and the Michelin Guide in Singapore. » British Food Journal 4 (119) : 790-802.

Michelin Guide (2019) 7 New MICHELIN Plate Hawker Stalls In The MICHELIN Guide Singapore 2019. https://guide.michelin.com/sg/en/article/dining-out/7-new-michelin-plate-hawkers-in-the-michelin-guide-singapore-2019 (consulté le 22/03/2020)

National Environment Agency (2019) New Staggered Rent Scheme At Upcoming Hawker Centres. https://www.nea.gov.sg/media/news/news/index/new-staggered-rent-scheme-at-upcoming-hawker-centres (consulté le 22/03/2020)

Peak Magazine (2016) Next Generation: Young Hawkers Shaping the Future of Singapore Food. https://thepeakmagazine.com.sg/next-generation-12-young-hawkers-shaping-future-singapore-food/ (consulté le 22/03/2020)

Tarulevicz, Nicole (2018) « Hawkerpreneurs: Hawkers, entrepreneurship, and reinventing street food in Singapore. » Journal of Business Management 58 (3) : 291-302.

 

 

 

 

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