Thaïlande 4.0 : preuve de flexibilité ou faiblesse en calcul de risques?

Depuis des années, la Thaïlande a fait preuve de proactivité, d’initiative et d’efficacité dans ses politiques économiques. Tellement, qu’elle s’est permise d’intégrer le marché international rapidement, tout en maintenant une compétitivité importante. Depuis les années 1980, le gouvernement thaïlandais a su changer son économie de l’exportation de matière première en exportations de produits manufacturés. (Jomo, 1997)

En convergence avec des investissements privés importants provenant de l’Asie de l’est et du Japon, suite à l’accord de Plaza, le pays a réussi à s’adapter à la nouvelle réalité de la mondialisation. Pas étonnant, considérant qu’il a fait des échanges économiques le catalyseur de son développement depuis le 19e siècle (Jomo, 1997),

Or, la Thaïlande demeure, comparativement à ses pairs de l’ASEAN, pas aussi prête pour la quatrième révolution industrielle (Oxford insight, 2019; Forum économique mondial, 2018). Il n’a pas fait preuve de la même flexibilité pour atteindre les mêmes niveaux que Singapour ou la Malaisie en la matière. Toutefois, le pays mise sur son projet, Thaïlande 4.0, pour y pallier.

Thaïlande 4.0

Le Board of Investment (BOI) de la Thaïlande prévoit, d’ici 2027, une augmentation de 25% du PIB dû à l’adoption des nouvelles technologies. En conséquence, le gouvernement du pays adopte le programme Thaïlande 4.0 en 2016, visant à automatiser et développer les nouvelles technologies. Le plan vise le développement de 10 secteurs particuliers, dont 5 nouveaux  (Robotique, aviation, médecine, technologie digitale, biocarburants) et 5 à transformer (l’agriculture intelligente, la création de jeunes pousses, service, qualification de la main d’oeuvre et le développement de technologies) (Ambassade Royale de Thaïlande à Washington D.C., 2020).

Ce projet porte en soi 4 objectifs. Le pays vise la prospérité économique en augmentant les recherches en innovation, améliorer le bien-être social en réduisant la disparité sociale au travers d’un nouveau système d’aide sociale et améliorer les capacités technologiques du système agraire. Pour demeurer compétitif, le gouvernement thai vise également à développer la main d’oeuvre thaïlandaise en améliorant la recherche universitaire et assurer un développement responsable qui assure une capacité d’adaptation à la réalité des changements climatiques (Jones, Pimdee 2019).

Cette progression, pour le gouvernement, s’inscrit dans le modèle de développement économique adopté par la Thaïlande depuis sa première révolution industrielle. Se concentrant d’abord sur les produits agraires, le pays aura passé à la manufacturation de produits locaux et, progressivement, aux exportations afin d’attirer les investissements étrangers dans sa troisième révolution industrielle. (Sae-Lim, Kermsittiparsert, 2019) Cette progression leur a permis, même aujourd’hui, de maintenir un PIB plus haut que la majorité de ses pairs asiatiques en maintenant une augmentation.

Tableau 1 - Investissements étrangers en Thaïlande, 2016

Tableau 1 – Investissements étrangers en Thaïlande, 2016

Incompréhension et calcul des risques

Alors que le plan démontrait déjà des résultats dès 2016 (Tableau 1), la Thaïlande fait face à plusieurs problèmes et des experts ont soulevé le manque de calcul des risques de la part du gouvernement thaïlandais.

Un de ces dangers est l’incompréhension du plan par la population elle-même. Le plan, selon Jones et Pimdee (2018), semble ratisser trop large, sans toutefois bien définir ses bases, allant jusqu’à se poser la question si les fondations étaient en fait du «sable mouvant». Selon un sondage de l’université Dhurakij Pundit, 59, 66% des thais ne savent pas en quoi consiste le plan.

Le gouvernement en soi ne semble pas le savoir aussi. Le plan semble être trop «englobant» en tentant d’attraper tout ce qui est considéré comme «nouveau» et les définitions, dont celles de «fermiers intelligents», de «licornes», de «fonds d’ange» et d’«industrie 4.0», demeurent incomplètes (Jones, Pimdee, 2018).

D’autant plus, les fonds réservés au projet peuvent représenter des problèmes. Bien que l’argent dédié à l’appui de doctorants universitaires spécialisés dans les secteurs visés, les fonds pour la transformation agraire demeurent introuvables. Au contraire, le gouvernement vise sur le privé, tel qu’il l’a fait historiquement, pour assurer le développement économique. Le problème, toutefois, est que l’investissement en R&D de la Thaïlande, comparativement aux autres pays de la région (Bussi et Khatiwada, 2017), s’élève seulement à 0.2-0.3% du PIB (Jones, Pimdee 2018).

Il faut également ajouter à ce défi celui des conséquences néfastes qu’ont répertoriées Sae-Lim et Kermsittiparsert (2019). Pour eux, les risques de pertes d’emploi (s’élevant à plus de ⅗ des emplois pour la région (Chang, Huynh, 2016)),  l’augmentation des inégalités envers ceux qui n’ont ni accès ni connaissances pour profiter des technologies. D’autant plus, les dangers de cybersécurité demeurent non-traités par le plan. Somme toute, la Thaïlande devra prévoir une diffusion des connaissances techniques dans la majorité de la population, s’attaquer à l’évitement fiscal pour consolider ses fonds et s’assurer d’une formation équitable dès le primaire pour pallier les inégalités déjà présentes dans la société thai.

Le gouvernement thai se devra de suivre de près l’évolution de ces risques, mais le manque de fonds déjà prévus et la dépendance envers les investissements privés dans le plan Thaïlande 4.0 pourraient représenter des enjeux cruciaux. Sans réévaluation, les trois propositions de Sae-Lim et Kermsittiparset pourraient prendre une ampleur trop importante, malgré les retombées économiques de la quatrième révolution industrielle. Dès l’or, ce sera à Bangkok de préciser ses objectifs, de clarifier ses fonds de subventions et d’assurer que son plan économique profite à tous, sans exception, s’il veut assurer une continuité dans son modèle économique.

 

Liens et sources

Ambassade royale de Thaïland à Washington D.C. 2020. « » -Thailand 4.0- ». 2020. https://thaiembdc.org/thailand-4-0-2/.

Chang, Jae-Hee, Phu Huynh. 2016. The Future of Jobs at Risk of Automation. Bangkok: International Labour Office Bureau for Employers Activities Regional Office for Asia and the Pacific. http://www.ilo.org/public/english/dialogue/actemp/downloads/publications/2016/asean_in_transf_2016_r2_future.pdf.

Forum Économique Mondial. (2018) Readiness for the Future of Production Report 2018. En ligne. http://www3.weforum.org/docs/FOP_Readiness_Report_2018.pdf

Jones, C., & Pimdee, P. (2017). Innovative ideas: Thailand 4.0 and the fourth industrial revolution. Asian International Journal of Social Sciences, 17(1), 4 – 32. https://doi.org/10.29139/aijss.20170101

K.S., Jomo. (1997). Southeast Asia’s Misunderstood Miracle. New York: Routledge,https://doi.org/10.4324/9780429306822

Khidir, Sheith. 2018. « Is Thailand 4.0 Coming to Fruition? »The ASEAN Post. https://theaseanpost.com/article/thailand-40-coming-fruition.

Oxford Insights. (2019) Government Ai Readiness Index 2019. En ligne. https://www.oxfordinsights.com/ai-readiness2019

Sae-Lim, Patipan, et Kittisak Jermsittiparsert. 2019. « Is the Fourth Industrial Revolution a Panacea? Risks toward the Fourth Industrial Revolution: Evidence in the Thai Economy », août.

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