Les Rohingyas et le cas de la violence sexuelle

Par Georgina Kakoseos Marko

Depuis la loi de citoyenneté au Myanmar en 1982, les Rohingyas qui sont une minorité ethnique musulmane se sont retrouvés sans État. La loi les a exclus de la liste de 135 « races » nationales reconnues, leurs donnant un statut de réfugié alors même qu’ils ont été présent sur le territoire depuis des centaines d’années [1]. Le groupe a connu d’oppression lourde de l’État militaire de Myanmar, ce qui les a forcés de fuir au Bangladesh et en Thaïlande depuis des décennies [2]. En Septembre 2018, il y avait 921,000 Rohingya en fuite [3]. La même année, l’ONU a déclaré le Myanmar coupable du crime de génocide et le monde l’a dénoncé [4].

 

Des femmes et des filles de Rohingya et de la communauté d’accueil célèbrent la Journée mondiale du réfugié. Le 28 juin 2018, Cox’s Bazar, Bangladesh. Photo par Allison Joyce/UNFPA.

 

Plusieurs organisations humanitaires sont sur place pour aider les pays d’accueil avec les réfugiés dans les camps, dont les deux tiers sont des femmes et des enfants, et les plus vulnérables à la violence sexuelle [5]. De nombreuses femmes qui arrivent dans les camps ont déjà été victimes de violences et d’abus sexuels graves de la part de l’armée du Myanmar ainsi que de leur propre communauté et même de leur famille [6]. La violence sexuelle s’est intensifiée pendant les conflits, en partie parce qu’elle est utilisée comme une arme stratégique de guerre et de l’autre partie en raison de l’insécurité générale accrue [7]. En tant que stratégie de guerre, la violence sexuelle est systématiquement utilisée comme la honte et le traumatisme du viol nuit non seulement à la victime, mais aussi à toute sa famille et fragilise la communauté[8]. Il est particulièrement ravageant pour les Rohingyas, car il s’agit d’un groupe musulman où la violence sexuelle est extrêmement taboue.

Malheureusement, la violence ne s’est pas arrêtée aux portes des camps. L’une des sources de cette violence a été attribuée, par des organisations d’aide, aux hommes réfugiés agités qui ont le sentiment d’avoir perdu leur position de pouvoir et de s’en prendre aux femmes qui les entourent, par exemple à leur femme [9]. Dans les camps de réfugiés, les rôles traditionnels des hommes et des femmes peuvent s’amenuiser car certaines des tâches quotidiennes sont prises en charge par l’organisation humanitaire [10]. Ainsi, les hommes sont privés de leur rôle de pourvoyeur et de protecteur de leur famille. Dans une situation déjà remplie de frustration, ce sentiment d’impuissance et les traumatismes du Myanmar rendent violents des hommes et des maris auparavant pacifiques [11].

Néanmoins, les femmes sont toujours occupées au ménage même dans les camps. Les organisations d’aide présents ont aussi des programmes pour affirmer la position et l’émancipation des femmes. Selon le point de vue de certaines savants, cela peut avoir un effet négatif sur les hommes déjà « démasculinisés », car elles deviennent perçues comme des rivales de pouvoir [12]. Toutefois, cet argument est dangereux parce qu’il justifie la position antiféministe qui ne veut pas changer la structure d’oppression contre les femmes, car un changement dérange les pauvres hommes. Le soutien passe donc des femmes, qui sont les véritables victimes de la violence sexuelle, aux hommes. L’argument dépolitise le problème et obscurcit sa source, sa cause et son agent, ce qui rend le problème plus difficile à gérer [13].

Un autre argument dont il faut être prudent concerne également les origines de la violence sexuelle parmi les réfugiés. Cela implique que la violence dans les camps est due au des sociétés traditionnelles « arriérés », telles que les Rohingyas [14]. Ce type d’argument conduit souvent à la solution d’instruire ces hommes oppressifs, ce qui est une tâche dont les organisations d’aide se chargent elles-mêmes [15]. Cependant, cela sonne proche de la vieille rhétorique de la colonisation et de la mission civilisatrice où les blancs ont pris l’initiative de moderniser les populations les plus pauvres, non blanches et « barbares ». En outre, l’argument tombe car la patriarchie comprend aussi la culture occidentale qui souvent prévaut dans les ONGs.

 

Zulia, une volontaire travaillant avec MSF. Bangladesh 2018, photo par Sara Creta/MSF.

 

La manière qui semble la plus efficace de soutenir les femmes qui ont subi des violences sexuelles dans les camps est une initiative de MSF. Le personnel sur place recrute des femmes Rohingyas et collaborent avec elles pour identifier les victimes, pour les inviter dans des « lieux de paix » et pour leur fournir des soins médicaux. L’un des principaux problèmes est précisément que les femmes ne vont pas se faire soigner après des incidents de violence sexuelle dus à des stigmates qui y sont liés. Il est l’une des raisons du nom de réception étant « lieu de paix », car il obscurcit la raison pour laquelle ils sont là [16].

Bien qu’il y ait certainement quelques écueils avec les différents points de vue concernant la violence sexuelle dans les camps de réfugiés, on peut conclure que ni les femmes, ni les hommes ne résoudront le problème à eux seuls. Une véritable solution n’occulterait pas les problématiques, ne renforcerait pas les structures racistes et ne légitimerait pas les actions antiféministes. Il s’agirait plutôt d’une initiative sous forme de collaboration et imprégnée de sensibilité culturelle, comme l’initiative de MSF.

 

[1] Shamima Akhter et Kyoko Kusakabe, p. 227.

[2] Elisabeth Olivius, p. 59.

[3] Voir ICSG « Situation Report Rohingya refugee crisis ». En ligne.

[4] Voir Radio-Canada « Les Rohingyas : Un Peuple Martyr Oublié Du Monde ». En ligne.

[5] Voir ICSG « Situation Report Rohingya refugee crisis ». En ligne.

[6] Shamima Akhter et Kyoko Kusakabe, p. 230.

[7] Shamima Akhter et Kyoko Kusakabe, p. 229.

[8] Voir UNICEF « Sexual violence as a weapon of war ». En ligne.

[9] Elisabeth Olivius, p. 63.

[10] Elisabeth Olivius, p. 63.

[11] Shamima Akhter et Kyoko Kusakabe, p. 238.

[12] Elisabeth Olivius, p. 63.

[13] Elisabeth Olivius, p. 61.

[14] Elisabeth Olivius, p. 60.

[15] Elisabeth Olivius, p. 60.

[16] Voir MSF « Rohingya Refugees: Still Searching for Safety ». En ligne.

 

Bibliographie

Akhter, Shamima et Kyoko Kusakabe. 2014. « Gender-based Violence among Documented Rohingya Refugees in Bangladesh ». Indian Journal of Gender Studies. 21, no. 2 : 225-246.

ICSG. 2018. « Situation Report Rohingya refugee crisis ». En ligne. https://reliefweb.int/sites/reliefweb.int/files/resources/iscg_situation_report_27_sept_2018.pdf (page consultée le 15 janvier 2019).

Médecins Sans Frontières. 2018. « Rohingya Refugees: Still Searching For Safety ». Doctors Without Borders – USA. En ligne. https://www.doctorswithoutborders.org/rohingya-refugees-still-searching-safety. (page consultée le 8 avril 2019).

Olivius, Elisabeth. 2016. « Refugee men as perpetrators, allies or troublemakers? Emerging discourses on men and masculinities in humanitarian aid ». Women’s Studies International Forum, 56 (mai-juin) : 56-65.

Radio-Canada. 2018. « Les Rohingyas : Un Peuple Martyr Oublié Du Monde ». Radio-Canada. En ligne. https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/1124644/rohingyas-genocide-droits-myanmar-birmanie-humains-archives. (page consultée le 8 avril 2019).

UNICEF. 1996. « Sexual Violence As A Weapon Of War ». Unicef.Org. En ligne. https://www.unicef.org/sowc96pk/sexviol.htm. (page consultée le 26 avril 2019).

 

 

 

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