Le communisme birman: De l’AFPFL au Triangle d’or

Dès son indépendance obtenue le 17 octobre 1947 et réalisée le 4 janvier 1948, la Birmanie nouvelle se trouvait dans une situation particulière. Ayant rompu tous liens avec l’ancienne métropole britannique et le Commonwealth et se trouvant à grande proximité de la puissance régionale chinoise, le nouvel État birman restait fragile face aux pressions extérieures. De plus, étant un pays aux institutions d’une chétive nouveauté, les diverses tensions internes à caractère ethnique quant à la construction d’un nouveau système politique n’aidaient pas la fluidité de la remise sur pied de la Birmanie. (Rottier, 1953). Cette apparente incertitude face à l’avenir ne rend donc pas surprenants les nombreux soubresauts et le dénouement de l’aventure communiste birmane post-indépendance.

 

Une nouvelle réalité politique

Cela dit, malgré le tumulte apparent que paraissait être la situation politique birmane au tournant des années 1950, il est une organisation qui perdure. Instigatrice des premières manifestations du nationalisme birman de 1935 à 1937, dont les membres contribuèrent à rédiger la Constitution de l’Union Birmane et dirigèrent le mouvement d’indépendance, l’AFPFL (Anti-fascists Peoples’ Freedom League) est aux rennes de la Birmanie nouvelle. Elle dirige la consultation nationale de formation du premier gouvernement où un gouvernement d’allégeance socialiste sera créé. Premier pays d’Asie à créer un gouvernement socialiste suite à son indépendance, la Birmanie tentera de se définir comme un État intrinsèquement de gauche. Cela dit, des forces d’oppositions restèrent active. Parmi elles, le parti ouvrier et paysan qui se dissocia de l’AFPFL face à une attitude anticommuniste de la Ligue suite aux soulèvements insurrectionnels communistes durant le processus d’institutionnalisation du gouvernement. Le mouvement communiste birman, qui œuvrait dans les forces de libération nationale depuis le début de la Ligue, prit entre 1950 et 1952 une tangente résolument clandestine. (Rottier, 1953).

Réunion de l’AFPFL en 1945, avant l’indépendance

Un nouveau régime, une nouvelle réalité birmane

Retracer l’histoire du communisme en Birmanie n’est donc pas une mince affaire. S’étant distancé des centres de pouvoirs, plus ou moins par choix, le mouvement ne put compter sur un appui solide du régime. L’instabilité ambiante suite à l’indépendance dura tout au long des années 1950 sous l‘égide d’U Nu, un homme pieux qui mis en avant sa vision d’une Birmanie bouddhiste et neutre. C’est en 1962 que le général Ne Win renversa le régime d’U Nu et suspendit la constitution. Ne Win développa un régime autoritaire axé sur la création d’un État socialiste, nationaliste, bouddhiste et résolument isolationniste. Ce désir de conservation de la neutralité birmane s’observa d’ailleurs dans ses réponses prudentes aux tentatives de contact d’Ho Chi Minh lorsque la situation au Vietnam du Nord commença à s’envenimer avec l’arrivée des américains. (Solhac, 1967).

Le régime de Ne Win voyait également d’un mauvais œil la proximité de la Chine communiste et avec raison. Les différentes factions communistes ayant pris progressivement le maquis dans le Nord du pays s’alignèrent majoritairement avec la Chine. Mentionnons particulièrement le Parti Communiste Birman (PCB), qui accuse le régime de Ne Win de s’aligner sur l’URSS. Les guérillas communistes s’activèrent tout au long de son règne, pillant des villages et attaquant des installations militaires, sous l’influence tacite de la Chine qui faisait pression sur le régime Birman, lui rappelant sans cesse sa présence incontournable. (Solhac, 1967).

Ne Win

Il n’est pas très aisé donc de cerner la stratégie communiste birmane suite à son entrée dans la clandestinité. Ayant joué avec la fibre nationaliste birmane, à l’instar de plusieurs mouvements de l’Asie du Sud-Est, durant la lutte pour l’indépendance de l’Angleterre, l’insurrection communiste tenta bien de se lier aux soulèvements Karens, cela ne dura pas longtemps, mais contribua à exacerber le ressentiment du pouvoir central à son égard. (Solhac, 1967). Il fallut donc se tourner vers une autre stratégie de survie, le mouvement devait conserver son influence militaire dans le Nord du pays s’il voulait être pris au sérieux par la Chine et le peuple birman.

 

Le Triangle d’Or

Le Triangle d’Or

Le Triangle d’Or désigne une vaste région partagée entre les hauts plateaux de Thaïlande, du Laos et de la Birmanie. Il s’agit encore à ce jour d’une des premières plaques tournantes de la production et du commerce des opiacées dans le monde. (Chauvy, 2002). Suite à un changement radical de la situation géopolitique en Asie du Sud-Est avec l’intensification de la présence américaine au Vietnam et le recul conséquent de la Chine dans son appui équivoque des partis communistes de la région, le PCB dû se tourner vers d’autres moyens de financement. Profitant d’une situation géopolitique chaotique dans la région et d’un État birman à l’économie boiteuse, le PCB s’imposa au cours des années 1970 et 1980 comme une puissante force militaire clandestine, boostée aux profits de la production et du commerce des opiacées. Bien que le PCB ne fût pas le premier mouvement de guérilla à profiter de la production et du commerce exponentiels d’opiacées dans la région, sa contribution au rayonnement du Triangle d’Or n’est cependant pas négligeable. (Chouvy, 2001).

 

Un désagrègement

C’est en 1989 que la puissante guérilla communiste birmane, qui possédait une large part du commerce de l’opium, qui contrôlait une grande portion du territoire septentrional et qui avait depuis si longtemps représenté un obstacle au développement économique birman et aux relations sino-birmanes, s’écroula. On attribue cette chute à plusieurs querelles intestines, à un essoufflement du mouvement idéologique, à un retrait progressif d’intérêts chinois ou encore à l’âge (vieillissant) des révolutionnaires. Le gouvernement birman développa rapidement une stratégie de reprise de contrôle du territoire avec les communautés locales et plusieurs intérêts privés. En quelques temps, la zone d’influence des communistes fut englobée dans l’État birman. (Perry, 1997).

L’histoire du communisme en Birmanie en est une de clandestinité. Dès le début des mouvements de libération nationale, le mouvement prit des tangentes différentes que celles des principaux acteurs politiques. Se maintenant au sein de la politique du pays en tant que menace militaire et criminelle, l’expérience communiste birmane se distingue des autres de la région, ne s’étant que très peu institutionnalisée, si ce n’est qu’au début de la construction de l’État désormais nommé le Myanmar.

 

 

Bibliographie

1 : Chouvy, P. A. (2001). L’importance du facteur politique dans le développement du Triangle d’Or et du Croissant d’Or. Cahiers d’études sur la Méditerranée orientale et le monde turco-iranien, (32).

 

2 : Chouvy, P. A. (2004). Le Triangle d’Or: fondements géohistoriques des chemins de la drogue. Outre-Terre, (6), 219-235.

 

3 : Perry, P. J. (1997). Myanmar, la nouvelle Birmanie: les mutations de la géographie politique d’un ordre politique figé. Les Cahiers d’Outre-Mer50(199), 225-243.

 

4 : Rottier, A. (1953). La Birmanie nouvelle. Politique étrangère18(2/3), 133-148.

 

5 : Solhac, R. (1967). La neutralité birmane. Politique étrangère32(2), 134-154.

 

 

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