Philippies: Nuage de confusion sur le cannabis

Laurence Choquette Loranger

Si un pays d’Asie du Sud-Est s’est démarqué par sa couverture médiatique à propos des narcotiques ces dernières années, c’est bel et bien les Philippines avec la violente guerre contre la drogue du Président Rodrigo Duterte.

En 2016, Duterte s’est fait élire sous un programme anticriminalité qu’il avait déjà appliqué dans la ville de Davao où il a été maire pendant 25 ans. Cette ville a servi de cas d’école pour mettre en place la guerre contre la drogue à l’échelle nationale[1]. Duterte a d’ailleurs avoué avoir personnellement tué de présumés criminels lorsqu’il était maire afin de montrer l’exemple à la police.

Depuis son investiture à la présidence, le nombre total de victimes de cette guerre contre la drogue s’élèverait à 22,983. Il est cependant difficile d’évaluer l’ampleur de la situation de manière précise puisque les assassinats se font de manière extrajudiciaire et le gouvernement n’a pas divulgué d’information officielle à ce sujet. De plus, Duterte a appelé les citoyens à tuer eux-mêmes les trafiquants et les consommateurs de drogue et en leur promettant l’impunité totale. Pour éviter de se faire exécuter, plus d’un million de personnes se sont volontairement rendues aux autorités et plusieurs d’entre eux s’entassent désormais dans des prisons surpeuplées[2].

Bien que les méthodes employées par Duterte semblent fortement démesurées, les Philippines sont toutefois aux prises avec un réel problème de consommation. La substance qui fait l’objet principal de cette guerre contre la drogue est la méthamphétamine (crystal meth), soit le « shabu » comme il est appelé par les locaux. En raison de sa nature extrêmement addictive, plusieurs spécialistes pensent que l’approche punitive, basée sur la peur, de Duterte n’est pas suffisante pour régler le problème de manière durable[3]. Aux Philippines, ils seraient actuellement 1,8 million de consommateurs de drogues illicites (toutes confondues), soit 1,8% de la population totale selon le Dangerous Drugs Board[4]. Selon les statistiques, le pourcentage de toxicomanes qui utiliseront en permanence une drogue illicite est de 28% pour le shabu et de 24,7% pour la marijuana[5].

En ce qui concerne spécifiquement la loi sur le cannabis l’Acte complet sur les drogues dangereuses, de 2002, indique que les pénalités pour la possession de petites quantités de cannabis sont une peine plancher de 12 ans de prison et la culture de plants de cannabis vaut une peine de prison à vie. Jusqu’en 1986, la vente et la distribution entraînaient la peine de mort, mais dorénavant c’est la prison à vie qui est imposée dans de tels cas[6].

Le 3 décembre dernier, le Président a fait une blague qui a été très mal reçue par le public. Alors qu’il mène actuellement une guerre sanglante contre la drogue, il a lancé qu’il prenait de la marijuana pour rester éveillé. Pour plusieurs, ses propos ont été perçus comme de l’hypocrisie et de la moquerie. Quoi qu’il en soit, cela a lancé un débat public sur la possibilité de légaliser le cannabis.

Le 18 décembre 2018, le porte-parole présidentiel, Salvador Panelo, a révélé devant les médias que Duterte était en faveur d’une consommation limitée de marijuana, et que logiquement, il appuierait et signerait tout projet de loi conforme à sa position.

Toutefois, le 10 mars 2019, le Président a fait demi-tour sur la décision en annonçant publiquement qu’il ne procédera pas à la légalisation du cannabis durant son mandat. Il a ajouté qu’il n’était pas très bien informé sur les propriétés médicinales de la plante en question, mais qu’il pensait que cela servait simplement d’excuse pour en consommer.

Entre temps, Gloria Macapagal Arroyo, membre du Congrès du 2e district de Pampanga, a admis utiliser des timbres de cannabis pour soulager ses douleurs au cou chaque fois qu’elle se rendait dans un pays où la marijuana médicale était légale.

Le président du Sénat, Vicente Sotto III, a également ajouté que le pays n’avait pas besoin d’une loi pour que la marijuana médicale soit légalisée. Il a cité la loi de 2002 sur les drogues dangereuses, plus précisément la section 2 de la loi 9165 qui stipule que « le gouvernement doit s’efforcer de parvenir à un équilibre dans le programme national de contrôle des drogues afin que les personnes ayant des besoins médicaux légitimes ne soient pas empêchées d’être traitées avec des quantités adéquates de médicaments appropriés, y compris l’utilisation de drogues dangereuses » [7]. Toutefois, malgré cela il n’y a toujours pas de dispensaires ou de points de vente pour en obtenir.

La situation sur le cannabis aux Philippines semble donc plutôt particulière. Des milliers de personnes sont emprisonnées ou tuées en raison de la drogue, alors que des politiciens rapportent publiquement qu’ils sont eux-mêmes consommateurs de cannabis. En l’espace de seulement 3 mois, Duterte a complètement changé de discours sur le fait de légaliser ou non le cannabis. Puis, finalement même s’il semble ferme sur sa décision de conserver le statut illégal de la plante, le président du Sénat révèle publiquement qu’elle peut déjà être prescrite pour des besoins médicaux légitimes. Il ne reste plus qu’à suivre l’actualité pour connaitre la suite des choses. La société civile et de l’industrie pharmaceutique réagiront fort probablement en prenant aussi part au débat dans les prochains mois.

Affiche électorale lors que la campagne de Duterte indiquant « non aux drogues »

Entassement massif dans les prisons de Manille

Manifestation à Manille contre les exécutions extrajudiciaires

[1] Choquette-Loranger, Laurence & Vivien Cottereau. (2018). « Philippines : les dérives de Duterte ». Relations, (795), 10–11.

[2] Almendral, Aurora. « Where 518 Inmates Sleep in Space for 170, and Gangs Hold It Together ». The New York Times, 7 janvier 2019, sect. World. https://www.nytimes.com/2019/01/07/world/asia/philippines-manila-jail-overcrowding.html.

[3] Boehringer, Gill. « Asia-Pacific: Duterte’s Drug War: Violating Rights for a Quick Fix ». Alternative Law Journal 42, no 3 (septembre 2017): 233‑36. https://doi.org/10.1177/1037969X17730700.

[4] Majeed, Muhammad Hassan, et Ali Ahsan Ali. « Genocide in the Philippines ». Asian Journal of Psychiatry 32 (1 février 2018): 27‑28. https://doi.org/10.1016/j.ajp.2017.11.015.

[5] Gavilan, Jodesz. « DDB: Philippines Has 1.8 Million Current Drug Users ». Rappler, 11 octobre 2016. http://www.rappler.com//nation/146654-drug-use-survey-results-dangerous-drugs-board-philippines-2015

[6] « Lois Sur Les Drogues Aux Philippines ». Zamnesia, 20 janvier 2017. https://www.zamnesia.fr/blog-lois-sur-les-drogues-aux-philippines-n1219.

[7] Patricia Lourdes Viray. « Fact check: Is medical marijuana already allowed in the Philippines? » philstar.com, 18 décembre 2018. https://www.philstar.com/headlines/2018/12/18/1878036/fact-check-medical-marijuana-already-allowed-philippines.

 

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