L’incidence des inégalités économiques au Laos et l’ouverture récente du gouvernement face à celles-ci

Par Samuel Morneau

La montée des inégalités au Laos

Enfants allant chercher de l’eau, les inégalités étant telles dans quelques provinces que certains doivent marcher pour aller chercher de l’eau, alors que d’autres vivent de façon luxueuse

Le Laos est un pays où les inégalités de revenu et de consommation sont relativement faibles comparativement au niveau international, mais dont l’augmentation graduelle ouvre la porte à un questionnement sur la direction économique que le pays prend. Malgré une réduction de la pauvreté absolue entre 1992 et 2012 de moitié, maintenant située à environ 23% de la population comparativement à 46%, le coefficient de GINI, qui mesure les inégalités de distribution de revenus a quant à lui augmenté, passant de 31.1 à 36.4, une augmentation de 17% en seulement 20 ans (Menon, Rasphone et Warr, 2018, p.1). Cette augmentation est intéressante puisqu’elle suit la direction inverse à d’autres pays de la région possédant des revenus similaires, plus particulièrement le Cambodge qui entre 2002 et 2007 a vécu une baisse de 10% (Nolintha et Sim Yee, 2016, p. 232) et le Vietnam qui entre 1992 et 2016 a vécu une certaine stabilité, avec une baisse d’environ 1% (Banque Mondiale, 2019). Ainsi, bien que la situation réelle des revenus se soit améliorée au Laos sur cette période, seul le quintile le plus riche a vu sa part de consommation totale augmenter, alors que tous les autres ont diminué, particulièrement le quintile le plus pauvre (Menon, Rasphone et Warr, 2018, p.4). De plus, les inégalités au niveau des actifs ont rapidement augmenté, d’une part de 10%, entre 2002 et 2007, plaçant leur coefficient à 87 sur l’échelle de GINI, signifiant qu’une très petite part de la population détient la très grande majorité des actifs (Nolintha et Sim Yee, 2016, p. 238).

La division des inégalités économiques

Figure 1: Carte des inégalités économiques mesurées en coefficient de GINI au Laos en 2008

Il existe évidemment des différences dans la façon dont ces inégalités sont distribuées. De façon plus générale, il est possible d’observer que les inégalités sont plus fortes en régions urbaines qu’en régions rurales, et que les provinces du Nord souffrent de plus d’inégalité que les provinces du Sud ou du centre du Laos, comme il est possible de voir sur la figure ci-présente (Epprecht et al., 2008, p. 37). Cependant, lorsqu’on décompose les inégalités de façon encore plus poussée, un phénomène intéressant fait surface : les inégalités intra-groupes comptent pour une plus grande part que les inégalités inter-groupes. Ainsi il est possible de voir que la variation des inégalités à l’intérieur des provinces représente une plus grande part de la variation du coefficient de GINI (94%) que la variation des inégalités entre provinces (6%), phénomène qui est reproduit pour les inégalités intra-rurales et intra-urbaines (100%) par opposition aux inégalités entre régions rurales et urbaines (0%) et pour les inégalités intra-niveau (84%) d’éducation et inter-niveau d’éducation (14%). Dans le même ordre d’idée, les différences d’inégalités de revenus sont négligeables sous toutes conditions pour les groupes ethniques et les secteurs d’emplois, signifiant que les inégalités ethniques et sectorielles ont peu d’effet sur la variation des inégalités de revenu au niveau national (Menon, Rasphone et Warr, 2018, p.23-24). La variation des inégalités d’actifs quant à elle est de plus en plus attribuable aux différences entre groupes, qu’il soit question de divisions urbaines-rurales, entre provinces ou entre districts, sous-entendant une concentration des actifs dans certaines régions spécifiques de façon de plus en plus marquée (Nolintha et Sim Yee, 2016, p. 238).

Un gouvernement qui prend finalement action face aux inégalités

La raison pour laquelle il est intéressant de considérer si les variations des inégalités proviennent de différences intra-groupes ou inter-groupes est que le gouvernement du Laos, dans son 8e plan de développement, a pour la première fois mentionné de façon explicite son désir de combattre les inégalités au sein du pays. Il s’agit ainsi du premier plan de développement qui ne se concentre pas, du moins d’un point de vue purement économique, sur la croissance économique et la réduction de la pauvreté, mais désire s’attaquer aux causes socio-économiques des inégalités. Cette ouverture à la réduction des inégalités semble par contre relativement mal ciblée au sein du plan, du moins par rapport à la recherche académique ciblant les variations intra-groupes comme la cause principale de l’augmentation des inégalités en général, puisqu’elle se concentre principalement autour des inégalités inter-groupes, limitant la pertinence et l’effet potentiel des mesures que le gouvernement souhaite entreprendre (Ministry of Planning and Investment of the Lao People’s Democratic Republic, 2016, p.106-116). La situation est donc désormais telle que, malgré une augmentation graduelle et constante des inégalités dans les années récentes et un manque d’intervention directe du gouvernement, ou même de mention du désir de réduire ces inégalités, le gouvernement lao tente de mettre en place des mesures afin de réduire les inégalités et d’ainsi emboîter le pas aux pays de la région ayant réussi à maintenant ou réduire ce taux d’inégalité, tels le Cambodge et le Vietnam. Parmi ces mesures, le gouvernement désire par exemple d’investir d’avantage dans l’agriculture pour assurer un développement de ce milieu qui permet à plusieurs familles pauvres de survivre, et désire aussi investir dans les milieux non-agricoles afin d’augmenter la disponibilité d’emplois à bonne valeur ajoutée qui permettraient aux familles de la classe moyennes d’augmenter leur niveau de vie (Ministry of Planning and Investment of the Lao People’s Democratic Republic, 2016, p.106-116). Ils désirent aussi continuer à déplacer les populations plus pauvres du Nord vers les villes et régions plus peuplées  et riches afin d’augmenter les conditions de vie de ces gens, et d’ainsi réduire les écarts entre les individus possédant de grands avoirs et ceux qui n’en ont pas.

Bibliographie:

Banque Mondiale, 2019. « Coefficient de GINI » dans Données de la Banque Mondiale.

Epprecht, et al., 2008. « The Geography of Poverty and Inequality in the Lao PDR ». Geographica Bernensia, Institute of Geography : University of Bern.

Menon, Jayant, Sitthiroth Rasphone et Peter Warr. 2018. « Two Decades of Declining Poverty but Rising Inequality in Laos ». Centre for Research in Economic Development and International Trade, University of Nottingham, CREDIT Research Paper, no. 18/06, 27 pages.

Ministry of Planning and Investment of the Lao People’s Democratic Republic, 2016. « 8th Five-Year National Socio-Economic Development Plan (2016-2020) », 204 pages, disponible en ligne au http://www.la.one.un.org/images/publications/8th_NSEDP_2016-2020.pdf.

Nolintha, Vanthana et Lau Sim Yee. 2016. « Inequality in Laos and the role of FDI ». International Journal Economic Policy in Emerging Economies, vol. 9, no. 3, p. 226-247.

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