La pauvreté en eau et l’injustice face aux terres : Une vision sectorielle et géographique au Laos

Par Samuel Morneau

La saisie des terres au profit des compagnies privées

Ouvrier lao sur une plantation de bananes appartenant à la Chine dans la province de Bokéo (Nord du Laos)

Le Laos est un pays où une large part de la population vit un stress en relation avec le manque d’accès à l’eau et des difficultés à obtenir ou conserver des terres, principalement dans les régions rurales où le gouvernement pratique des saisies afin d’exploiter les ressources naturelles variées. La distribution des terres et le développement de projets économiques privés les concernant devant être acceptés par le gouvernement lao, et l’activisme et autres formes de négociations concernant ces terres étant presque impossibles sous la tutelle du gouvernement autoritaire possédant les capacités de censurer les médias, il arrive fréquemment que des milliers d’acres de terres (l’estimation la plus proche est présentement à 1 millions d’hectares entre le début des années 2000 et 2018) soient saisis sans consultation et avec peu ou pas de compensation pour les populations forcées de relocaliser au profit de compagnies minières, de plantations industrielles et d’investisseurs étrangers (Dwyer, Kenney-Lazar et Suhardiman, 2018). Les consultations sont tellement absentes qu’il arrive que des villages soient rasés par les ordres du gouvernement central avant même que les villageois aient été mis au courant de l’existence du projet et sont par la suite informés qu’ils ne pouvaient de toute façon pas refuser, les terres appartenant par décision arbitraire au gouvernement (Baird, 2010). Ces relocalisations sont souvent forcées et immédiates, et sont soit désorganisées ou, lorsqu’elles sont gérées par le gouvernement, souvent inefficaces. La plupart entraîne des problèmes d’allocations graves pour les populations touchées qui, par manque d’accès à des terres fertiles post-relocalisation, voient souvent leur taux de pauvreté, leur précarité alimentaire et concernant l’eau, ainsi que leur taux de mortalité, par effet domino, augmenter drastiquement (Howe et Park, 2015, p. 175). Ces saisies sont souvent effectuées dans le Nord du pays ou en régions éloignées, loin de centres de pouvoirs qui permettraient une  quelconque contestation. En dehors des saisies, le gouvernement utilise aussi son pouvoir politique afin d’avancer des projets, indépendamment de leurs impacts environnementaux et humains, comme la constructions de barrages sur la rivière Mékong, dont le Xayaburi qui à lui seul a limité l’accès aux terres de 200000 personnes, sans compensation décente équivalente aux bénéfices apportés par l’accès à la rivière, à cause des inondations (Howe et Park, 2015, p. 174). Il n’y a malheureusement pas de réponse officielle du gouvernement face à ce problème, qu’il légitimise lui-même à travers les actions clientélistes du parti et la vente de terres non occupées au nom du gouvernement laotien, aussi on peut s’attendre à ce que ce problème s’accentue à moins d’un changement important au sein du parti lui-même.

Les variations en eau en Asie des moussons, particulièrement au Laos

Système d’eau à restaurer dans le village de Ban Mokchali (Nord du Laos)

À ce problème d’accès aux terres s’ajoute un problème d’accès à l’eau important. Le Laos est un pays connaissant une saison sèche et une saison des pluies, où parfois 90% de la pluie tombe au courant de la deuxième saison, entre mai et novembre, entraînant une large variation de la disponibilité de l’eau (Kallio et al., 2017). Pour un pays où l’agriculture est centrale, représentant la majorité des revenus en zone rurale et une forte part de l’alimentation, et où 90% des cultures de riz sont arrosées par la pluie plutôt que par irrigation, la disponibilité de l’eau est indispensable au bien-être des populations rurales. Combiné aux problèmes de changements climatiques qui augmentent la durée de la saison sèche, réduisent la quantité de pluie pendant cette saison et augmentent l’évaporation, réduisant par le fait même la rétention d’eau sur les terres (Beilfuss et Triet, 2014), les défis reliés à l’eau sont constants pour une forte part de Lao. Lorsque ces défis sont catégorisés en 5 éléments comme indiqués sur le graphique ci-bas, soit la disponibilité de la ressource par capita (Resources), la présence et la qualité des infrastructures relatives au transport de l’eau et au traitement de qualité de celle-ci (Access), la capacité générale de bien gérer les ressources d’eau (Capacity), la relation entre le pourcentage de population dépendant de l’aquaculture ou de l’agriculture à haute nécessité en eau face au pourcentage de terres irriguées de façon efficaces (Use), et un mélange entre la dégradation du sol, la fréquence de désastres touchant la disponibilité ou la qualité de l’eau et l’empreinte humaine (Environment), il est possible de bien conceptualiser les problèmes relatifs à l’eau en saison sèche comme en saison des pluies. Ainsi, il est possible de voir que les facteurs relatifs à la disponibilité de la ressource elle-même montrent sans surprise une énorme différence entre la saison sèche et la saison des pluies, que la qualité des infrastructures et du traitement de l’eau est généralement pauvre indépendamment de la saison, que la capacité de gestion se traduit par un niveau de pauvreté en eau faible, à l’exception du Nord en saison des pluies, que la pression par les familles nécessitant des terres irriguées par rapport à la réalité de cette irrigation est énorme et que les facteurs environnementaux sont pour l’instant généralement positifs (Kallio et al., 2017, p. 1144). Une bonne façon d’exemplifier que la gestion de l’infrastructure relative à l’eau est pauvre est le fait qu’en 2017 seulement 66% des écoles primaires avaient accès à l’eau potable et un système de toilettes (UNICEF, 2017).

Figure 1: Niveaux de pauvreté en eau en fonction de 5 catégories au Laos

Figure 2: Niveaux de pauvreté en eau au Laos, toutes catégories confondues

Il émerge donc que la disponibilité n’est somme toute un problème que dans le Nord, et de façon modérée, alors que l’utilisation de l’eau est beaucoup trop faible par rapport aux besoins réels et que l’infrastructure de traitement et de transport de l’eau est de façon générale pauvre. Lorsque toutes les catégories sont confondues comme dans la Figure 2, il est possible d’observer que la capitale, les villages généralement situés le long du Mékong et les régions proches de la frontière thaïlandaise sont ceux souffrant des moins fortes pressions relatives à l’eau (WPI élevé, en bleu ou rouge pâle), alors que similairement aux pressions relatives aux saisies de terres, les régions du Nord et bordant le Vietnam sont plus gravement affectées par la pauvreté en eau (WPI bas, en rouge plus foncé). Cette pauvreté est évidemment plus marquée en saison sèche, mais demeure importante pour une forte partie des régions rurales du Nord même en saison des pluies, comme il est possible de voir plus bas. Au final, il est clair qu’il existe de fortes pressions au niveau de l’accès aux terres et à l’eau, et il ressort que celles-ci touchent majoritairement le Nord du pays. La situation est par contre en amélioration rapide grâce aux efforts du gouvernement qui a réussi à augmenter, de 45% en 2000, l’accès à des sources d’eau potables à 72% de la population en 2014, et qui continue à mettre à jour des mesures afin d’améliorer les infrastructures (World Health Organization, 2015).

Bibliographie:

Baird, I. G., 2010. « Land, rubber and people : Rapid agrarian changes and responses in southern Laos ». Journal of Lao Studies, vol. 1, 1-47.

Beilfuss, R. et T. Triet, 2014. « Climate change and hydropower in the Mekong River Basin: A synthesis of research ». Deutsche Gesellschaft für Internationale Zusammenarbeit, disponible en ligne au https://www.giz.de/en/downloads/giz2014-en-study-climate-change-hydropower-mekong.pdf.

Dwyer, Michael, Miles Kenney-Lazar et Diana Suhardiman. 2018. « State Spaces of Resistance : Industrial Tree Plantations and the Struggle for Land in Laos ». Antipode : A Radical Journal of Geography, 21 pages.

Howe, Brendan et Seo Hyun Rachelle Park. 2015. « Laos The Dangers of Developmentalism? ». Southeast Asian Affairs, p. 167-185.

Kallio, Marko et al.. 2017. « Spatial Variation in Seasonal Water Poverty Index for Laos : An Application of Geographically Weighted Principal Component Analysis ». Social Indicators Research, p. 1131-1157.

Unicef, 2017. « Water, Sanitation & Hygiene and Climate Change Resilience Safe water, sanitation and good hygiene practices ». Unicef: Lao People’s Democratic Republic, disponible en ligne au https://www.unicef.org/laos/wash.

World Health Organization, 2015. « Water and Sanitation ». WHO Representative Office: Lao People’s Democratic Republic, disponible en ligne au http://www.wpro.who.int/laos/areas/water_sanitation/en/.

Image 1: « Un travailleur laotien asperge des bananiers de pesticides sur une bananeraie chinoise de la province de Bokéo ». Droits de propriété à Photos Guillaume Payen.

Image 2 : « Système d’eau à restaurer, village de Ban Mokchali ». Droits de propriété à Agrisud.

Figure 1: Kallio, Marko et al.. 2017. « Spatial Variation in Seasonal Water Poverty Index for Laos : An Application of Geographically Weighted Principal Component Analysis ». Social Indicators Research, p. 1131-1157.

Figure 2: Kallio, Marko et al.. 2017. « Spatial Variation in Seasonal Water Poverty Index for Laos : An Application of Geographically Weighted Principal Component Analysis ». Social Indicators Research, p. 1131-1157.

Lien pour marque-pages : Permaliens.

Les commentaires sont fermés