La conservation de l’Éléphant d’Asie en Thaïlande

Par Jade Lee Kui

Balade en éléphant en Thaïlande (Thierry Falise, 2016).

Si vous avez déjà été en Thaïlande, il est probable que vous ayez été tenté d’acheter des bijoux faits en ivoire lors de votre promenade sur le dos d’un éléphant ou bien que vous ayez vu les prouesses sportifs et artistiques d’éléphants dans des spectacles. Ces scénarios ne sont que le reflet du tourisme et notamment du trafic d’ivoire qui sont considérés comme les deux grandes sources du malheur de l’Elephas Maximus. Alors qu’en 1900, ils étaient environ 100 000, en 2008, ils étaient seulement 4 450[1]. Parmi eux, 1000 étaient sauvages, et principalement trouvés dans le Parc national de Khao Yai ainsi que le sanctuaire faunique de Thungyai-Haui Kha Khaeng, et 3450 étaient domestiqués[2]. Quel est l’avenir de l’espèce ?


Le cadre législatif national: un outil efficace de protection et conservation de l’éléphant ?

En 1975, la Convention on International Trade in Endangered Species of Wild Fauna and Flora (CITES) inscrivit l’éléphant d’Asie à l’Annexe 1 en tant « qu’espèce en voie de disparition », rendant l’importation et l’exportation de toutes les parties du pachyderme illégales au sein de la communauté internationale. En ratifiant cet accord en 1983, la Thaïlande s’engagea alors à prendre les mesures requises[3]. Ainsi, la Wild Animal Reservation and Protection Act (WARPA) fut créée en 1992. Celle-ci protège de la chasse, de la mise à mort et du commerce les éléphants sauvages ou leurs parties. Les auteurs d’infractions sont passibles d’une amende de 1330 USD et / ou d’une peine maximale de quatre ans d’emprisonnement[4]. Cependant, ces sanctions ne constituent pas réellement un moyen de dissuasion suffisant pour les trafiquants d’éléphants puisque la valeur des éléphants vivants sur le marché en 2004 était au moins 25 fois supérieure à celle de l’amende[5].

La portée de cette loi est également restreinte à cause de la non-cohérence entre les politiques thaïlandaises sur les éléphants. Effectivement, le Draught Animal Act de 1939 n’interdit pas le commerce d’éléphants domestiqués ni la possession ou la vente de leur ivoire. Contrairement aux éléphants non-captifs, ces derniers sont traités comme une propriété privé[6]. Or, les fonctionnaires sont généralement incapables de faire la distinction entre l’ivoire domestiqué et l’ivoire sauvage, ce qui rend le gouvernement impuissant car il ne peut pas toujours engager de poursuites contre l’utilisation illégale d’ivoire sauvage ou importé illégalement[7]. Puisque les éléphants en captivité sont plus nombreux en Thaïlande que ceux qui sont sauvages, les choses doivent donc vite changer.

Néanmoins, une avancée a été faite avec la mise en vigueur en 2014 de la première loi thaïlandaise sur le bien-être des animaux. Protégeant les animaux sauvages en captivité[8], The Prevention of Animal Cruelty and Provision of Animal Welfare Act interdit aux propriétaires et aux soignants de traiter les animaux cruellement et de leur offrir des conditions de vie inadéquates. Ainsi, les policiers peuvent entrer dans les maisons et les entreprises afin d’enquêter sur des allégations de maltraitance et de négligence envers des animaux. Les coupables peuvent être condamnés à une amende pouvant aller jusqu’à 40 000 THB et / ou à une peine de deux ans d’emprisonnement[9].


Le tourisme: une manière de conserver les éléphants?

Environ 2 100 éléphants captifs de la Thaïlande sont employés dans l’industrie du tourisme thaïlandais, autrement

La cérémonie du phajaan, révélant à quel prix les balades en éléphant se font (Image tirée de la vidéo Phajaan de Pierce, 2017).

dit dans les près de 135 camps d’éléphants et autres établissements touristiques situés autour de grands centres de tourisme étrangers tels que Bangkok, Chiang Mai, Pattaya et Phuket[10].

Plusieurs mauvais traitements, volontaires ou non, découlent de l’utilisation des éléphants dans le secteur touristique. Le déplacement du howdah (banc), utilisé pour transporter les touristes, peut causer des abrasions le long du dos du pachyderme, de même que sur la poitrine avec le frottement de la sangle pour supporter le howdah[11]. De plus, la cérémonie, appelée « phajaan », est qualifiée de cruelle par les Occidentaux car celle-ci vise à rompre le lien fort qui unit le nouveau-né à sa mère afin de le transférer au mahout. Au cours de ce processus, la volonté du jeune éléphant est brisée et ce dernier se plie à la soumission de son maître[12].

https://www.youtube.com/watch?v=L0xSuUXRHnE

Face à cette situation, les ONG occidentales ont donc beaucoup fait pression sur le gouvernement, la communauté internationale ainsi que les touristes pour ne soutenir aucune forme de divertissement animalier, sous forme de spectacles ou de randonnées, dans le but ultime de libérer les animaux sauvages captifs dans la nature où ils « appartiennent » ou de les libérer de leur travail dans le tourisme divertissant. Or, un problème se pose. Les éléphants en captivité n’étant pas «sauvages», la grande majorité ne serait pas en mesure de s’adapter à un habitat naturel[13]. Et même si c’était le cas, comment serait-ce possible lorsque ce dernier a été détruit, les forêts de la Thaïlande étant passées de 80% en 1957 à moins de 20% en 1992 du territoire[14] ?

Malgré ses limites, le tourisme semble néanmoins constituer le moyen le plus réaliste et optimal pour améliorer le bien-être des éléphants. En effet, bien que solution imparfaite du point de vue des droits des animaux, le tourisme permet d’accorder aux éléphants une valeur, basée sur la loi de l’offre et de la demande d’éléphants au travail. Ce faisant, les éléphants ont accès à de meilleurs soins et protection, que si leurs leur valeur devait chuter[15] car cela induirait sûrement un risque de hausse du braconnage.

 

Bibliographie:

Cohen, E. 2008. Explorations in Thai tourism. Emerald: Bingley.

Cohen, E. 2015. « Young elephants in Thai Tourism: A fatal attraction ». Dans K. Markwell (Ed.), Animals and tourism: Understanding diverse relationships (1ère ed.). Bristol: Channel View Publications, 163–177.

Geer, A. 2016. « Thailand creates first animal welfare law, but is it too vague? ». Care2. En ligne. http://www.care2.com/causes/thailand-creates-first-animalwelfare-law-but-is-it-too-vague.html (page consultée le 04 avril 2019).

Khawnual, P. et B. Clarke. 2002. “General care and reproductive management of pregnant and infant elephants at the Ayutthaya Elephant Camp”. Dans I. Baker et M. Kashio (éds.), Giants on our hands: Proceedings of the international workshop on the domesticated Asian Elephant. FAO Regional Office for Asia and the Pacific, 249-256.

Kontogeorgopoulos, Nick. 2009. “The Role of Tourism in Elephant Welfare in Northern Thailand”. Journal of Tourism 10 (2) : 1-19.

Lair, R. 1997. Gone astray : The care and management of the Asian Elephant in domesticity. Bangkok (Thailand) : Food and Agriculture Organization, Regional Office for Asia and the Pacific.

Laohachaiboon, Suphawat. 2010. “Conservation for Whom?Elephant Conservation and Elephant Conservationists in Thailand.” Japanese Journal of Southeast Asian Studies 48(1): 74–95.

Malikhao, Patchanee, and Lisa Servaes. 2017. “Elephants in Tourism. Sustainable and Practical Approaches to Captive Elephant Welfare and Conservation in Thailand.” In Culture and Communication in Thailand, Communication, Culture and Change in Asia, ed. Patchanee Malikhao. Singapore: Springer Singapore, 127–38. https://doi.org/10.1007/978-981-10-4125-9_9 (April 3, 2019).

Nijman, V. 2014. An assessment of the live elephant trade in Thailand. Cambridge: TRAFFIC.

Schliesinger, J. 2010. Elephants in Thailand. Bangkok: White Lotus.

Snow, M. 2008. “Someone isn’t enjoying the ride”. Washington Post, Mai 8: B02.

Stiles, Daniel. 2009. “The Status of The Ivory Trade in Thailand and Vietnam”. TRAFFIC Bulletin 22 (2) : 83-91.

 

Notes de bas de pages:

[1] Snow, 2008.

[2] Kontogeorgopoulos, 2009, 5.

[3] Laohachaiboon, 2010, 79.

[4] Malikhao et Servaes, 2017, 131.

[5] Nijman, 2014, 6.

[6] Lair, 1997.

[7] Stiles, 2009, 84.

[8] Geer, 2016. Cette loi protège les animaux domestiques, les animaux d’élevage, les animaux de travail, les animaux gardés pour le divertissement, les animaux sauvages en captivité et tout autre animal pris en charge par l’homme.

[9] Malikhao et Servaes, 2017, 135.

[10] Cohen, 2008, 164.

[11] Khawnual et Clarke, 2002.

[12] Cohen, 2015, 163–169.

[13] Malikhao et Servaes, 2017, 133.

[14] Schliesinger, 2010, 19. Étant donné l’industrialisation et l’urbanisation croissante de la Thailande, on peut fortement supposer que ce pourcentage est encore plus faible de nos jours.

[15] Kontogeorgopoulos, 2009, 10.

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