Relations Japon-Indonésie

RELATIONS JAPON-INDONÉSIE

par Jean-François GILBERT

Introduction : En cette période de changement et d’instabilité en ASE, deux puissances régionales ressurgissent à l’encontre de la Chine, l’une économique, le Japon, et l’autre politique, l’Indonésie. Par sa doctrine Fukuda, présentée à l’ASEAN à Manille en 1977, le Japon continue de se réconcilier avec ses anciennes colonies de l’ASE (Lam 2013; Sukma 2013; Mun 2013; Sumio 2013) en stimulant les échanges économiques, contribuant ainsi à l’intégration de la région (Prasirtsuk 2013). Outre ses ressources naturelles et son importance géostratégique, le leadership et l’indépendance diplomatique dont a fait preuve l’Indonésie depuis sa guerre d’indépendance de 1945-1948 lui confère une influence politique qui, d’une certaine façon, complète l’influence économique du Japon (Richards 2014). Où en sont leurs relations? Ces relations mènent-elles à une alliance naturelle afin de promouvoir la sécurité régionale?

Survol historique (Anwar 1990; Osborne 2010; Church 2017):

L’Indonésie ne fut pas épargnée par l’occupation japonaise de mars 1942 au 15 août 1945 : travail forcé, déportation de masse, famines, etc., n’ont rien de la Sphère de co-prospérité promise par les japonais. Mais voyant la défaite venir, les japonais libèrent les prisonniers politiques et encouragent le nationalisme de diverses façons en 1944 (en permettant par exemple aux chinois de rouvrir leurs écoles, en créant une association multiethnique de collaboration avec le gouvernement, les militaires, les différents groupes ethniques entre eux, (la Djawa Hokokai-Java Service Association),  favorisant ainsi l’harmonie interraciale (Touwen-Bouwsma 2002)) ce qui, à terme, mènera à l’indépendance de l’Indonésie en décembre 1949 (Osborne 2010; Church 2017).

Les relations commerciales reprennent ensuite avec le paiement en nature de réparation de guerre sous forme de biens et services (Miyagi 2008) (ce qui deviendra subséquemment la Official Development Assistance ou ODA). Puis c’est avec sa nouvelle prospérité des années 1960 que le Japon intensifie ses relations en ASE, en outre pour acquérir des matières premières en Indonésie (gaz naturel, métaux et autres minéraux) et sécuriser les routes maritimes que le Japon utilise pour s’approvisionner ailleurs en hydrocarbures : selon les années, le Japon accapare jusqu’à 70% des exportations de l’Indonésie (Stott 2008; Jun 2018).

C’est donc pour garantir ses intérêts que le Japon supporte le Nouvel Ordre de Suharto (1967-1998) d’autant plus que la menace communiste s’aggrave en ASE, voir même que les américains quittent le Vietnam en 1975. En 1974, les indonésiens manifestent violemment à Jakarta (comme les thaïlandais à Bangkok d’ailleurs) contre le Japon au motif que le Japon ne fait affaire qu’avec des ressortissants chinois ce qui incite les japonais à réfléchir sur leurs rapports avec leurs voisins de l’ASE : c’est ainsi que naitra leur doctrine Fukuda (Lam 2013; Sumio 2013; Jun 2018) qui favorisera de meilleurs échanges culturels mais qui, au fond, ne change rien à la promiscuité entretenue avec Suharto. De fait et dans les années 1980, le Japon profite de ses vastes surplus commerciaux et d’un yen fort pour augmenter son aide internationale dont l’Indonésie est un grand bénéficiaire (Yoshinobu 2013). Il faudra la crise financière de 1997 pour forcer Suharto à démissionner le 21 mai 1998 après avoir refusé les réformes demandées par le FMI mais aussi une aide financière du Japon : par cette aide, le Japon espérait convaincre Suharto à accepter les réformes demandées par le FMI afin qu’il conserve le pouvoir et ainsi, pérenniser des relations qui s’étaient soudées lors du choc pétrolier de 1973 (Jun 2018).

Avec la fin de cette diplomatie personnalisée à Suharto, le Japon n’avait plus le choix que de naviguer les eaux inconnues de la transition démocratique de l’Indonésie, et il s’y investit (Jun 2018). La décade de grande croissance qui suivra l’élection du président Susilo Bambang Yudhoyono en septembre 2004, permettra d’approfondir les relations bilatérales, servies entre autre par la signature du Japan-Indonesia Economic Partnership Agreement (JIEPA) en août 2007 (Stott 2008; Susumu 2013; Yoshinobu 2013; Mun 2013; Prasirtsuk 2013; Tsutomu 2013; Meng 2017; Jun 2018). Outre l’abolition de tarifs de part et d’autre, le Japon espère protéger son approvisionnement en gaz naturel qui devient indispensable pour remplacer l’énergie nucléaire en cas de bris ou de panne de centrales. Or et à cette époque, l’Indonésie désire réduire ses exportations de gaz naturel afin de pouvoir fournir son propre marché domestique (Stott 2008).

La piraterie en recrudescence dans le détroit de Malacca lors de la crise financière de 1997, est le point de départ d’une collaboration en matière de sécurité avec un premier traité en 2006 (Stott 2008; Jun 2018). Ainsi et en 2007, le Japon fait don de trois navires de patrouille à l’Indonésie (Stott 2008). Les ambitions hégémoniques de la Chine en Mer de Chine (Stavridis 2019), crée une nouvelle communauté d’intérêt entre le Japon et l’Indonésie qui se traduit par une collaboration qui sera au cœur des relations avec le nouveau président Joko Widodo élu en 2014, et Abe Shinzo (Jun 2018)

État de la situation :

Dès son élection en 2014, le président indonésien Widodo assume le leadership diplomatique de son pays et se tourne vers son « plus vieux partenaire » pour demander de l’aide afin de développer les infrastructures et soutenir les ambitions diplomatiques de son pays (Richards 2014). Les réunions en haut lieu se succèdent donc pour consolider cette relation stratégique (Parameswaran 2015, 2016) d’autant plus que l’Indonésie ne parvient pas à attirer d’autres investissements étrangers qui se délocalisent graduellement de la Chine.

En même temps, l’Indonésie espère profiter de la manne chinoise pour développer ses infrastructures (Maulia 2018) tout en enjoignant les membres de l’ASEAN à constituer un réseau stratégique (« free and open regional framework for the Indo-Pacific » ) afin de mieux défendre leurs intérêts (Lee 2019). Mais bien sûr, l’aide japonaise se poursuit ce que symbolise la récente mise en service de la première ligne d’un réseau ferroviaire à Jakarta, juste à temps pour les 2018 Asian Games de l’an dernier (Kyodo  2018), de même qu’un premier métro souterrain en mars 2019 (AP 2019; Tani, 2019).

Conclusion :

Depuis la 2ème Grande Guerre, l’Indonésie est un partenaire économique et stratégique indispensable pour le Japon qui veille donc avec soins à ses relations avec ce pays. Même si l’Indonésie fleurte avec la Chine en prétextant son non-alignement, la relation avec le Japon perdurera suite à la réélection du président Widodo le 17 avril 2019 car en effet, les intérêts de ces deux pays convergent.

 

Crédits photo : Ministère des affaires extérieures du Japon, 2015, tel que publié dans The Diplomat, 24 mars 2015

Bibliographie :

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LAM, Peng Er, The Fukuda Doctrine : Origins, ideas, and praxis dans Japan’s Relations with Southeast Asia The Fukuda Doctrine and beyond, Routledge, Londres et New York, 2013, p.10-23;

LEE, John, Japan can help fil a security gap in Southeast Asia, dans Nikkei Review, le 26 février 2019, https://asia.nikkei.com/Opinion/Japan-can-help-fill-a-security-gap-in-Southeast-Asia

MAULIA, Erwida, US courts Indonesia, Vietnam to counter China in Indo-Pacific, dans Nikkei Review, le 23 janvier 2018, https://asia.nikkei.com/Politics/International-relations/US-courts-Indonesia-Vietnam-to-counter-China-in-Indo-Pacific

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PARAMESWARAN, Prashanth, Japan, Indonesia Eye Strionger Defense Ties, dans The Diplomat, le 6 août 2016, https://thediplomat.com/2016/08/japan-indonesia-eye-stronger-defense-ties/

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STAVRIDIS, James, China seeks new islands to conquer, dans The Japan Times, repris de Bloomberg, 22 février 2019, https://www.japantimes.co.jp/opinion/2019/02/22/commentary/world-commentary/china-seeks-new-islands-conquer/#.XKY4_phKjD4

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YOSHINOBU, Yamamoto, The Fukuda Doctrine and thirty-five years after dans Japan’s Relations with Southeast Asia The Fukuda Doctrine and beyond, Routledge, Londres et New York, 2013, p.33-51;

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