La position taïwanaise en Mer de Chine méridionale

Par Phan Quang Anh Bui

 

Les enjeux territoriaux de la République de Chine (Taïwan) en Mer de Chine méridionale reposent sur les mêmes revendications de découverte et d’occupation que celles citées par la République populaire de Chine (Chine ou RPC). C’est le Kuomintang (KMT), avant sa défaite aux mains des communistes en 1949 et son retrait sur Taïwan, qui fut l’auteur original de la carte à onze traits en forme d’U modifiée en 1953 par la RPC pour en faire une carte à neuf traits [1]. Les revendications des deux pays reposant sur un « héritage chinois » commun, il serait impossible de parler des intérêts taïwanais sans évoquer la question de ses relations avec la Chine.

 

Étant donné la position précaire de Taïwan sur la scène internationale, Fu-Kuo Liu de l’Institut des Relations Internationales de l’Université Nationale de Chengchi irait même jusqu’à affirmer que « lorsque les relations inter-détroit étaient de nature antagoniste, Taïwan n’avait presque aucune chance de s’engager dans une discussion sur les affaires internationales au niveau officiel dans la région » [2]. Considérant le caractère volatil des relations inter-détroit et considérant la faible amplitude des relations diplomatiques menées par Taïwan, sur quels axes la politique taïwanaise en Mer de Chine méridionale peut-elle s’articuler de nos jours ?

 

La ligne à 11 points de 1947. Source : Liu 2014.

 

Taïwan est l’un des six pays ayant des revendications territoriales en Mer de Chine méridionale, et est en train d’exercer son contrôle effectif sur Itu Aba (ou Taiping Island) et Ban Than Reef (ou Zhongzhou Reef) [3]. Quels autres territoires sont-ils revendiqués aujourd’hui ?

 

Pour le Ministère des Affaires Étrangères du pays, la situation se résume à ceci :

« Peu importe l’approche prise, qu’elle soit historique, géographique ou de droit international, les îles Spratley, Paracel, Chungsha (Macclesfield Bank) et Tungsha (Pratas) ainsi que les eaux environnantes font partie intégrante du territoire de la République de Chine (Taiwan). Ces archipels relèvent donc de la souveraineté de la République de Chine (Taiwan). Le gouvernement souhaite réaffirmer qu’il jouit de tous les droits sur les îles et leurs eaux environnantes, et qu’il nie toute prétention illégale à la souveraineté ou à l’occupation de ces régions de la part d’autres pays », peut-on lire dans le rapport produit en 2013 [4].

Ces revendications portant sur tout l’espace en forme d’U (comme le montre la carte ci-dessus) n’ont pas fondamentalement changé dans les dernières décennies. Pourtant, le statut politique de Taïwan s’est progressivement affaibli depuis.

 

En effet, comme nous l’explique Ting‐Hui Lin du Département de la Police Maritime à l’Université Centrale de Police de Taïwan, « Taïwan n’est ni un membre des Nations Unies, ni une partie contractante de l’UNCLOS, […] ni un membre de l’ASEAN+1 » [5]. En plus de cela, Taïwan est aussi le seul de ces six pays à ne pas entretenir de relations diplomatiques avec les autres pays dans la région [6].

 

Dans un contexte comme celui-ci, difficile de mener une politique étrangère efficace, qu’elle soit bilatérale ou multilatérale. Il serait possible d’affirmer que Taipei a relativement négligé ses intérêts en Mer de Chine méridionale, découragée devant ses revers diplomatiques et placée face à des enjeux plus pressants comme l’état des relations inter-détroit avec la RPC.

 

D’après Fu-Kuo Liu, « la plus grande question pour Taïwan est de savoir si la Chine et l’ASEAN accepteront qu’elle joue un rôle en Mer de Chine méridionale, suivi par la manière avec laquelle le processus de négociation pourrait commencer » [7]. Nous pouvons remarquer, par exemple, une exclusion totale de Taïwan de la Déclaration sur la conduite des parties en Mer de Chine méridionale (DOC) signée en novembre 2002 entre la RPC et l’ASEAN [8].

 

Itu Aba, ou Taiping Island, île contrôlée par Taïwan. Source : Johnson Lai/Associated Press via New York Times.

 

L’année 2008 marqua un tournant. L’amélioration des relations inter-détroit a permis d’élargir la marge de manoeuvre dont dispose Taïwan, qui commença à poursuivre une politique plus active en Mer de Chine méridionale [9]. Le président taïwanais Chen Shui-bian annonça en février 2002 une « Spratly Initiative » (ou « Nansha Initiative ») visant à encourager (1) l’établissement d’une zone de protection écologique maritime et (2) la formation de Centres de recherche de la Mer de Chine méridionale, le tout dans un effort d’établir un dialogue régulier entre les différentes parties et la réduction des tensions existant dans la région.

 

Fu-Kuo Liu, quant à lui, fait remarquer que « même si cette initiative n’a pas pu recevoir beaucoup d’attention au sein du pays ou à l’étranger, elle témoigne d’une réelle volonté taïwanaise d’ouvrir la discussion sur la situation dans la région » [10].

 

Chen laissa la place trois mois plus tard au nouveau président Ma Ying-jeou. Ce dernier déclara en mai 2015 une « South China Sea Peace Initiative » destinée à résoudre les disputes existantes et encourager le développement conjoint des ressources en Mer de Chine méridionale [11].

 

Quelles perspectives existent-elles aujourd’hui pour Taïwan ? Il serait une bonne idée de continuer sur cet élan et de maintenir la Mer de Chine méridionale comme un enjeu de premier plan. Les initiatives de coopération axées sur le développement conjoint de ressources ou la protection de la biodiversité maritime peuvent potentiellement servir de premiers pas dans l’intégration de Taïwan au sein de l’architecture régionale.

 

Notes

[1] Jinming et Dexia 2003, p. 290

[2] Liu 2014, p. 224

[3] Lin 2016, p. 242

[4] Republic of China (Taiwan), Ministry of Foreign Affairs 2013

[5] Lin 2016, p. 242

[6] Republic of China (Taiwan), Ministry of Foreign Affairs [n.d.]

[7] Liu 2014, p. 224

[8] Association of Southeast Asian Nations 2002

[9] Liu 2014, p.229

[10] Ibid.

[11] Republic of China (Taiwan), Ministry of Foreign Affairs 2015

 

Bibliographie

Association of Southeast Asian Nations. 2002. Declaration on the Conduct of Parties in the South China Sea. En ligne. http://asean.org/?static_post=declaration-on-the-conduct-of-parties-in-the-south-china-sea-2 (page consultée le 15 juin 2018).

Jinming, Li et Li Dexia. 2003. « The Dotted Line on the Chinese Map of the South China Sea: A Note ». Ocean Development and International Law 34, 287-95.

Lin, Ting‐Hui. 2016. « South China Sea Disputes : Taiwan’s Opportunities and Challenges ». Dans David W.F. Huang, dir., Asia Pacific Countries and the US Rebalancing Strategy. New York : Palgrave Macmillan, 241-57.

Liu, Fu-Kuo. 2014. « Taiwan’s South China Sea Policy Revival ». Dans Entering Uncharted Waters ? : ASEAN and the South China Sea. ISEAS-Yusof Ishak Institute, 223–44.

Republic of China (Taiwan), Ministry of Foreign Affairs. [n.d.]. Diplomatic Allies. En ligne. https://www.mofa.gov.tw/en/AlliesIndex.aspx?n=DF6F8F246049F8D6&sms=A76B7230ADF29736 (page consultée le 15 juin 2018).

Republic of China (Taiwan), Ministry of Foreign Affairs. 2013. « The Republic of China (Taiwan) protests Vietnam law claiming South China Sea Islands ». Statements. En ligne. https://www.mofa.gov.tw/en/News_Content.aspx?n=0E7B91A8FBEC4A94&sms=220E98D761D34A9A&s=9D31DA5243EEFED1 (page consultée le 15 juin 2018).

Republic of China (Taiwan), Ministry of Foreign Affairs. 2015. « President Ma proposes South China Sea Peace Initiative ». Foreign Press Liaison Office. En ligne. https://www.mofa.gov.tw/en/News_Content.aspx?n=8157691CA2AA32F8&sms=4F8ED5441E33EA7B&s=F71CA7963F189938 (page consultée le 15 juin 2018).

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