Indonésie: des progrès trop lents dans la lutte contre le travail des enfants

Par Jade Lee Kui

Un enfant parmi des milliers à travailler dans des plantations de tabac en Indonésie.

Privant les enfants de leur enfance, santé et dignité, le travail des enfants est probablement la représentation la plus dramatique de la pauvreté dans le monde. Nombreux sont les enfants qui travaillent pour répondre à leurs besoins. En Indonésie, en 2012, ils étaient 2.3 millions, âgés de 7 à 14 ans[1]. Pourquoi ce chiffre est aussi élevé alors que le cadre politique du travail des enfants n’a jamais été aussi fort de toute l’histoire du pays[2] ?

 

De nouvelles lois contre le travail des enfants… mais inefficaces

Pendant plusieurs années, le gouvernement n’a pas reconnu officiellement l’existence du travail des enfants, souhaitant ignorer le problème. Néanmoins, face aux pressions internationales, le problème a été reconnu et un cadre politique a été mis en place pour y remédier[3]. En 1992, l’Indonésie figure parmi les premiers pays à signer l’IPEC (International Program for the Elimination of Child Labour). À partir de ce point tournant, l’attention sur le travail des enfants augmente sans précédent. Beaucoup d’ONG pour la lutte contre le travail des enfants[4] s’installent sur le territoire – en grande partie grâce au financement de l’IPEC. Un Plan d’action national contre le travail des enfants est mis en œuvre juste après la ratification du pays de la Convention sur l’élimination des pires formes de travail des enfants (2000). En fait, l’Indonésie est un produit de la communauté internationale dans le sens où ses points de vue et politiques concernant les problèmes liés au travail des enfants sont façonnés par l’international[5].

Or, si des nouvelles lois sont entrées en vigueur, elles manquent de rigueur. Ainsi, elles sont faiblement mises en application[6] et ne s’attaquent pas à la source du problème – soit les difficultés économiques des ménages. Effectivement, les enfants contribuent à une partie du revenu du ménage. En les permettant de travailler uniquement trois ou quatre heures après l’école[7], ils risquent de ne plus avoir un revenu suffisant – pouvant provoquer un déplacement d’enfants travailleurs vers le secteur informel.

 

L’éducation : la solution au problème ?

En assurant un meilleur avenir aux enfants, l’éducation permet de briser le cercle vicieux de la pauvreté. Cependant, l’Indonésie semble faire exception à la règle. Bien que l’accès à l’éducation de base s’est amélioré dans les dernières décennies – la part des dépenses en éducation dans le PIB ayant globalement augmenté de 2000 à 2014[8]  – des défis entravent ses retombées positives.

L’éducation primaire publique est gratuite mais les coûts des livres, des uniformes et du transport sont un fardeau économique pour les plus pauvres[9]. C’est pourquoi une collaboration entre l’OIT et le Bureau public de planification a été initiée pour élaborer un programme pilote d’allocations sous conditions visant à veiller à ce que les familles envoient leurs enfants à l’école[10]. Or, même si elle est accessible, la qualité de l’éducation est faible – les taux d’abandon sont élevés et les redoublants nombreux[11].

 

L’agriculture : un secteur représentatif des difficultés du pays à combattre le problème

Quand bien même le pays a ratifié en 1999 la Convention no.138 de l’OIT sur l’âge minimum qui interdit aux mineurs d’exécuter des tâches dangereuses[12], on estime que plus de 1.5 millions d’enfants âgés de 10 à 17 ans travaillent dans le secteur risqué[13] de l’agriculture (plantations d’huile de palme, de caoutchouc) – principal bassin du travail des enfants en Indonésie[14].

Pourquoi ? Prenons l’exemple de la culture de tabac. Le pays n’interdit pas explicitement aux enfants de manipuler le tabac[15], qui expose pourtant leur peau à la nicotine – toxine ayant des conséquences néfastes et durables sur la santé[16]. Aussi, les inspections du travail ne se font pas dans le secteur agricole informel ou à petite échelle. Or, c’est là où la grande majorité d’enfants travaille[17]. En outre, il existe un manque de traçabilité dans les chaînes d’approvisionnement par les compagnies de tabac, locales ou transnationales, faisant qu’elles contribuent parfois au travail des enfants sans même le savoir.

Pour que la situation change, l’ONGI Human Rights Watch produit des rapports afin d’informer tous les acteurs du système international. Si les actions doivent être prises par les gouvernements et les entreprises, chaque personne – militants ou consommateurs – peut exercer une pression sur eux afin que des mesures soient prises pour mettre fin à cette enfance qui part en fumée.

 

Bibliographie :

Ali, Dayang Haszelinna binti Abang, et G. Reza Arabsheibani. 2016. “Child Labour in Indonesia: Supply-Side Determinants.” Economics and Finance in Indonesia 62(3): 162–79.

Bessell, Sharon. 2014. “Child Labor in Indonesia”. Dans Hindman, Hugh D., et Hugh Hindman, The World of Child Labor: An Historical and Regional Survey. Abingdon-on-Thames, Royaume-Uni: Routledge, 898-903.

Bureau International du Travail. 2008. Exécution du programme de l’OIT en 2006-07. Genève: Bureau International du Travail.

Human Rights Watch. 2016. The Harvest is in my blood: Hazardous Child Labor in Tobacco Farming in Indonesia. New York: Human Rights Watch.

Phan, Dung. 2016. Child Labour in Vietnam: Trapped in Two-Minded Policies. En ligne. https://www.aseantoday.com/2016/06/child-labour-in-vietnam-trapped-in-two-minded-policies/ (page consultée le 03 Juin 2018).

Rahim, Shafinah, et Bakar Fatin Nur Nadia. 2017. « The Impact of selected macro variables on child labor in Indonesia”. Journal of Emerging Economies and Islamic Research 5 (3): 21-31.

Tjandraningsih, Indrasari. 2014. “Development of Child Labor Policy in Indonesia”. Dans Hindman, Hugh D., et Hugh Hindman, The World of Child Labor: An Historical and Regional Survey. Abingdon-on-Thames, Royaume-Uni: Routledge, 910-12.

Understanding Children’s Work. 2012. Understanding children’s work and youth employment outcomes in Indonesia. En ligne. http://ucw-project.org/attachment/Child_labour_Youth_employment_Indonesia20120625_162630.pdf. (page consultée le 09 Juin 2018).

 

Notes de bas de page:

[1] Understanding Children’s Work, Understanding children’s work and youth employment outcomes in Indonesia, 1.

[2]  Bessell, Sharon, “Child Labor in Indonesia”, 902.

[3]  Tjandraningsih, “Development of Child Labor Policy in Indonesia”, 910.

[4]  Bessell, Sharon, “Child Labor in Indonesia”, 902.

[5] Tjandraningsih, “Development of Child Labor Policy in Indonesia”, 911.

[6] Tjandraningsih, “Development of Child Labor Policy in Indonesia”, 910.

[7] Ibid., 912.

[8] Rahim et Bakar Fatin Nur,  » The Impact of selected macro variables on child labor in Indonesia », 22.

[9] Human Rights Watch, The Harvest is in my blood: Hazardous Child Labor in Tobacco Farming in Indonesia, 10.

[10]  Bureau International du Travail, Exécution du programme de l’OIT en 2006-07, 29.

[11] Understanding Children’s Work, Understanding children’s work and youth employment outcomes in Indonesia, 8.

[12] Human Rights Watch, The Harvest is in my blood: Hazardous Child Labor in Tobacco Farming in Indonesia, 77.

[13] Toute personne qui travaille dans le secteur de l’agriculture fait face à une gamme de graves dangers : opérationnalisation d’équipements dangereux, exposition aux pesticides et lourdes charges. Phan, Child Labour in Vietnam: Trapped in Two-Minded Policies.

[14] Ali et Arabsheibani, « Child Labour in Indonesia », 163.

[15] Ibid., 75.

[16] Ibid., 79.

[17] Ibid., 81.

Lien pour marque-pages : Permaliens.

Les commentaires sont fermés