Chine et Birmanie : D’ennemis historiques à amitié pragmatique

Nirmine El Chami

Les échanges entre la Chine et la Birmanie ont connu une remontée phénoménale, passant de 9,5 millions de dollars US en 1988 à environ 682 millions en 1995 puis à plus de 2 milliards en 2007 ! (Egreteau 2009, 260) En effet, depuis 1988, suite au renouvellement de la junte militaire, la Chine semble être le seul pays à pouvoir interagir efficacement avec la Birmanie. Par ailleurs, cette alliance a été fondamentale pour la survie de la junte militaire. La Chine octroyait d’importantes aides monétaires, militaires et institutionnelles à la Birmanie ce qui développa une relation étroite de dépendance entre les deux pays. Mais qu’en est-t-il de cette relation aujourd’hui ?

La ministre birmane des Affaires étrangères Aung San Suu Kyi et le Président chinois Xi Jinping le 19 août 2016

Un gagnant, un perdant ou un équilibre stratégique ?

Qui est gagnant dans cette relation ? Bien que le Myanmar ne soit pas un pantin de la Chine, la position stratégique du Myanmar entre l’Asie du Sud, l’Asie du Sud-Est et la Chine est néanmoins économiquement et stratégiquement significative. Sur le plan économique, le Myanmar est important pour la Chine puisqu’il servira de débouché commercial dans l’océan Indien. Avec ses provinces intérieures enclavées du Yunnan et du Sichuan, le Myanmar offre à la Chine une ouverture sur l’océan indien, échappant ainsi à l’encerclement des États-Unis et contenant l’influence indienne. Le Myanmar est ainsi la clé de la quête des ressources naturelles de la Chine. (Shee 2002, 50) Toutefois, cet enjeu stratégique est troublé par des questions de sécurité telles que l’accord de cessez-le-feu entre les armées ethniques et la junte birmane le long des zones frontalières qui doivent être résolues de manière coordonnée pour empêcher les déversements négatifs en Chine. (Asia Report 2009, 26) En effet, des combats pour la souveraineté éclatent continuellement dans les États Kachin et Shan, impliquant des groupes armés comme la Kachin Independence Army, Myanmar National Democratic Alliance Army (MNDAA), Ta-ang National Liberation Army (TNLA) ou encore Arakan Army (AA). L’inquiétude de la Chine à propos des combats découle en partie d’une de ses initiatives ayant pour objectif d’améliorer l’accès régional aux marchés mondiaux. Elle a ainsi l’intention d’investir dans un projet d’infrastructure de plusieurs milliards de dollars qui traverserait le Myanmar jusqu’à un port en eau profonde dans l’océan Indien. Les combats dans la région de Kokang entre les armées ethniques et les militaires du Myanmar perturbent le plan de route chinois. (Htike 2017) En outre, au-delà des tensions, la Birmanie est potentiellement importante pour la Chine pour augmenter sa présence stratégique dans l’océan Indien. D’un autre côté, le sens profond du nationalisme du Myanmar, sa capacité passée à traiter avec succès avec les puissances étrangères et sa détermination à préserver son indépendance et son identité culturelle font de la Birmanie un joueur de taille pour une puissance comme la Chine. Malgré l’influence croissante de cette dernière, il est peu probable que Rangoon devienne sa base satellite stratégique. (Shee 2002, 50-51) Ainsi, il est dans l’intérêt des deux puissances de maintenir un équilibre afin de favoriser l’harmonie interrégionale.

Les conflits ethniques dans l’État de Kachine, aux frontières de la Chine et de la Birmanie

Une influence aujourd’hui surestimée ?

Alors que la Chine a une politique substantielle au Myanmar, son influence est surestimée. En effet, les leaders insulaires et nationalistes du gouvernement militaire birman n’agissent qu’en fonction de leur propre volonté et ne prennent pas compte des demandes de Pékin. Certes, il ne peut être nié que la Chine a permis certaines concessions, mais elles ont toujours été mineures et n’ont pas eu d’impact politique important. En outre, on peut mentionner l’aide internationale après le cyclone Nargis ou l’acceptation des visites des envoyés de l’ONU. L’influence de la Chine est limitée par plusieurs facteurs. Premièrement, les généraux birmans abritent une méfiance envers la Chine en raison de son soutien historique au Parti communiste de Birmanie (CPB) et à la poursuite de ses liens étroits avec les groupes ethniques à la frontière sino-birman. Le gouvernement birman poursuit donc une politique étrangère dichotomique, d’un côté acceptant la protection politique et diplomatique chinoise et d’un autre côté, établissant une trajectoire politique de non-alignement. (Asia Report 2009, 26) Le gouvernement du Myanmar est également intensément nationaliste et xénophobe, ce qui freine les tentatives d’ouverture de la Chine et renferme la Birmanie dans une politique nombriliste. (Egreteau 2009, 263-264)  Le sens profond du nationalisme du Myanmar, sa capacité passée à traiter avec succès avec les puissances étrangères et sa détermination à préserver son indépendance et son identité culturelle rendront probablement le pays militaire encore plus résistant. (Shee 2002, 50-51)

Le ministre chinois des Affaires étrangères Wang Yi (G) avec le président Htin Kyaw (C) à Naypyidaw, le 20 novembre 2017

 

La relation sino-birmane : l’évolution jusqu’à aujourd’hui

Les relations extérieures entre la Birmanie et la Chine ont subi d’importants changements à partir de la fin des années 1980. Ses relations bilatérales avec la Chine en particulier sont devenues beaucoup plus fortes et plus étendues depuis lors. Pourtant, le Myanmar conserve une indépendance significative dans les relations bilatérales, limitant l’influence chinoise. La politique étrangère du Myanmar est éclairée par des considérations réalistes qui mettent l’accent sur la territorialité et la souveraineté, ainsi que sur l’acquisition et le renforcement du pouvoir au niveau national. (Ganesan 2011, 93)

 

Bibliographie

 Asia Report. 2009. « China’s Myanmar Dilemma » dans Crisis Group, 177 : 1- 41.

Egreteau, Renaud. 2009. « Pékin et l’épine birmane. La relation entre la Chine et la Birmanie à l’épreuve », Outre-Terre, 21 (no. 1) : 259-265.

Ganesan. N. 2011. « Myanmar–China Relations: Interlocking Interests but Independent Output »,  Japanese Journal of Political Science,  12 (no 1) :  95–111.

Htike, Theingi. 2017. « China Meets with Myanmar’s Ethnic Armies in Attempt to Quell Fighting ». dans VOA, https://www.voanews.com/a/china-myanmar-ethnic-armies-quell-fighting/3768437.html

Shee, Poon Kim. 2002. « The Political Economy of China-Myanmar Relations: Strategic and Economic Dimensions ». The International Studies Association of Ritsumeikan University (1) : 33-53.

 

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