Le colonialisme espagnol aux Philippines : une histoire aux multiples impacts

Par Amélie Gauthier

Juillet 2016 ; le président philippin Rodrigo Duterte accuse l’Église de corruption et d’hypocrisie1. Provoquant discordes et tensions, cette admonition a su catalyser les foules par son caractère subversif. Cependant, celle-ci est le fruit de polarisations multiples et éparses qui ont succédé au colonialisme espagnol (1521-1898) marquant l’actualité des Philippines. À la fois intrigantes et fascinantes, ces particularisations seront approfondies dans cet article en observant, au premier chef, l’histoire de la colonisation espagnole et les conséquences de cette période, puis, en second plan, ces polarisations émergées.

 

 

Avant toute chose, un plongeon dans l’histoire de la colonisation espagnole est exigé. Découverte en 1521 par le grand Ferdinand Magellan, l’occupation hispanique s’officialise toutefois en 1565 par Lopez de Legazpi, désireux de transformer l’archipel en un véritable centre pour le commerce mondial. Au menu : implantation d’infrastructures, d’écoles, d’hôpitaux, de villes, de terres agricoles et d’élevages2. Son succès révèle toutefois une ambigüité. En effet, selon l’historienne Clotilde Jacquelard (2012), les colons ibériques scandaient des discours dithyrambiques, vantant la puissance des Philippines tout en dissimulant les désavantages que comportait la région (problèmes de navigation, maladies, climat tropical difficile d’adaptation et tensions incessantes)3. De ce fait, une première polarisation émerge : les Philippines pouvaient-elles se considérer comme un espace récemment mondialisé ou comme une région en périphérie ?

 

Cette période a occasionné plusieurs répercussions toujours présentes dans notre réalité. D’abord, l’archipel sud-est asiatique a pu s’intégrer au cœur d’échanges commerciaux avec la Chine et le Mexique4, en usant d’une route commerciale (Galion de Manille). Cette route commerciale marque le début d’une amitié entre le Mexique et les Philippines. Aujourd’hui, des ambassades sont construites, une myriade d’accords bilatéraux sont entendus (dont la coopération dans les domaines scientifiques, culturels, technologiques, etc.) et un imposant commerce bilatéral (2,5 milliards de dollars américains en 2017) s’est forgé5. Ensuite, la culture hispanique s’est ancrée dans la communauté, et ce grâce à la frénésie des missionnaires espagnols qui a su évangéliser les Philippins. D’ailleurs, les statistiques de la « Central Intelligence Agency » (CIA) démontrent que 82,9% de la population des Philippines en 2018 est catholique6.

 

 

Alors, cette influence religieuse s’est avérée hégémonique et a manifesté ses intérêts dans plusieurs évènements en mobilisant ses convertis. Par exemple, le charme catholique a fait chuter le dictateur Marcos (1986) ainsi que le président Joseph Estrada (2001). De plus, cette mobilisation a optimisé la présidence d’Aquino (1986), de Ramos (1992) et d’Arroyo (2001)7. D’ailleurs, le successeur de Marcos, Cory Aquino, a établi plusieurs mesures axées sur la lutte contre la corruption et sur la destruction de monopoles (tabacs, télécommunications), guidant donc les Philippines vers une politique d’ouverture démocratique, où la nation collabore avec l’Asie du Sud-Est (ASEAN), les États-Unis, l’Espagne, etc.8.

 

Pourtant, l’institution catholique n’est pas un mélange homogène. Au contraire, celle-ci provoque diverses ségrégations imputables aux polarisations suscitées. D’une part, l’Église peut se comporter au nom de la passion ou de la rédemption, soit deux perceptions contraires9. A priori, l’Église de la passion proteste contre les ordres établis, pour la libéralisation des peuples opprimés et pour les valeurs chrétiennes fondamentales (authenticité, modestie, famille, etc.). En revanche, l’opulent catholicisme peut être charmé par l’obtention du pouvoir en envahissant l’arène politique et imposant son idéologie sur les peuples non convertis (autochtones, musulmans, etc.) : c’est ce que le sociologue Martin Verlet appelle « l’Église de la rédemption »10. D’autre part, le rôle de la religion ne fait pas l’unanimité aux Philippines. Trois groupes distincts proposent une conception différente concernant la participation idéale de la religion au cœur d’une société démocratique, formant ainsi quelques tensions. Cependant, le scientifique David Buckley affirme que 69% des catholiques philippins ne veulent pas que la religion interfère dans le processus électoral. Ainsi, force est de constater que, malgré la polarité, une majorité soutient la démocratie malgré sa Foi12. D’ailleurs, stipulant la liberté religieuse, la Constitution de 1987 évoque implicitement la séparation de l’État et la religion en égalisant toutes les religions13.

 

En dernière analyse, une distinction se dessine dans les relations entre le président actuel des Philippines et l’Église, créant des divisions dans la population. De toute évidence, Rodrigo Duterte (2016-…), dictateur dissimulé derrière un masque démocratique, exprime une aversion envers l’institution catholique, répugnance promulguée à travers ses idées politiques anti-catholiques (rétablissement de la peine de mort, exécution extrajudiciaire, favorisation du nucléaire, etc.)14. Terrifiée à l’idée de s’opposer à la nouvelle présidence, une vague de Philippins abandonne l’Église tandis que d’autres veulent conserver leur Foi au péril de leur vie15.

 

En conclusion, comment ces diverses polarisations se manifestent au sein de la diplomatie internationale des Philippines ? D’une part, touchant tous les continents, le catholicisme favorise les relations internationales. Effectivement, les pays possédant des similarités culturelles seront plus susceptibles d’entretenir des accords et une amitié. C’est pourquoi les Philippines cultivent une myriade de relations bilatérales avec des nations catholiques, dont le Mexique, la France, le Brésil, la Guinée Équatoriale, etc16. D’autre part, caractérisé par sa forte émigration, donnant près de 27 milliards de dollars US au pays (2014), l’archipel possède une diaspora permettant à celle-ci de promouvoir la culture philippine dans les sphères politiques et socioculturelles17. Bien entendu, c’est en usant du pouvoir du « soft Power » des Philippines18 qu’il est possible de diffuser les distinctions religieuses et politiques, autant l’amour de l’Église que les divisions entre passion et rédemption, démocratie et catholicisme, proéglise ou pro-Duterte.

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1 Marianne Dadard, « Aux Philippines, relations tumultueuses entre l’Église et le pouvoir ».

2 Annick Transvaux, p. 192-223.

3 Clotilde Jacquelard, en ligne.

4 Annick Transvaux, p. 192-223.

5 Departement of Foreign Affairs, en ligne.

6 CIA, en ligne.

7 Michel Klen, p. 745.

8 Michel Klen, p. 747.

9 Martin Verlet, p. 413-438.

10 Martin Verlet, p. 438.

11 David Buckley, p. 325.

12 David Buckley, p. 332.

13 Rorie R. Fajordo, « Le triste sort des « negritos » philippins, squatters dans leur propre pays ».

14 Thomas Headlands et Janet Headland, p. 84.

15 AED France, « L’observatoire de la liberté religieuse », en ligne.

16 Departement of Foreign Affairs, en ligne.

17 AED France, « Philippines : une nouvelle forme de persécution », en ligne.

18 AED France, « L’observatoire de la liberté religieuse », en ligne.

 

 

Bibliographie

AED France. L’observatoire de la liberté religieuse. 2016. Philippines. En ligne.                                     http://www.liberte-religieuse.org/philippines/ (page consultée le 27 mai 2018).

AED France. 2016. Philippines : une nouvelle forme de persécution. En ligne. https://www.aed-          france.org/philippines-nouvelle-forme-de-persecution/ (page consultée le 27 mai 2018).

Buckley, David. 2014. « Catholicism’s Democratic Dilemma Varieties of Public Religion in the             Philippines ». Philippine Studies: Historical & Ethnographic Viewpoints, 62(3/4).               Manille : Ateneo de Manila University, 313-39.

CIA. The World Factbook. 2018. East and southest Asia : Philippines. En ligne.                                               https://www.cia.gov/library/publications/the-world-factbook/geos/rp.html (page consultée          le 27 mai 2018).

Dardard, Marianne. 2016. « Aux Philippines, relations tumultueuses entre l’Église et le pouvoir                       ». La Croix (Bruxelles), 29 août : A21.

Diaspora diplomacy : influences from Philippines migrants. 2014. En ligne.        http://www.publicdiplomacymagazine.com/diaspora-diplomacy-influences-from-   philippine-migrants/ (page consultée le 28 mai 2018)

Jacquelard, Clotilde. 2012. « Les Philippine, périphérie ou nouveau centre d’un espace                         mondialisé (XVIe – XVIIe siècle) ? ». Dans : e-Spania, En ligne.        https://journals.openedition.org/e-spania/21914#quotation

Klen, Michel. 2002. « L’exception philippine ». Études 2002/6 : 739-750.

Republic of the Philippines. Department of Foreign Affairs. 2018. En ligne.        https://www.dfa.gov.ph (page consultée le 11 juin 2018)

Tranvaux, Annick. 2006. Colonisation et politique urbanistique espagnole aux îles Philippines. Île de la Réunion : Université de la réunion.

Verlet, Martin. 1991. « Passion et rédemption : enjeux politiques du religieux dans l’univers                 catholique philippin (1986-1990) ». Revue Tiers Monde : 413-438.

 

Hyperliens 

https://www.cia.gov/library/publications/the-world-factbook/geos/rp.html

https://www.la-croix.com/Religion/Monde/Aux-Philippines-relations-tumultueuses-entre-lEglise-pouvoir-2016-08-29-1200785231

https://fr.wikipedia.org/wiki/Galion_de_Manille

 

Photographie

Ferdinand de Magellan. 2018. En ligne. https://fr.wikipedia.org/wiki/Fernand_de_Magellan                  (page consultée le 28 mai 2018)

Langues, religions et éducation aux Philippines. 2017. En ligne.    http://www.voyagesphotosmanu.com/langues_religions_philippines.html           (page consultée        le 28 mai 2018)

 

 

 

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