Les Rohingyas, minorité la plus marginalisée en Asie du Sud-Est

Par Taïbou Diallo

Le 20 juin 2016, le Haut Commissariat des Droits de l’Homme des Nations Unies établissait un rapport sur la situation préoccupante des Rohingyas au Myanmar. Cette minorité ethnique musulmane vit dans l’État d’Arakan depuis plus d’un siècle. Les Rohingyas se voient privés de leurs droits fondamentaux, tout en subissant des violences qualifiées de crime contre l’humanité. Étant administrées par les autorités, les discriminations dont ils font l’objet sont institutionnalisées. L’identité ethnique des Rohingyas n’est pas reconnue par le gouvernement, ils n’ont pas de droit de nationalité, pas de droit de vote, pas de droit de libre-circulation, et font l’objet de restrictions excessives, ne leur permettant pas d’accéder aux biens publics essentiels tels que la santé ou l’éducation (Nations Unies 2016). Plus alarmant encore, une grande partie des violences à leur encontre est effectuée par les fonctionnaires de l’État. Pourquoi donc un tel niveau d’exclusion et comment s’est-il installé?

 

Des conflits ethniques historiques justifiés par le nationalisme bouddhiste

Le Myanmar est un pays d’Asie du Sud-Est où le nationalisme résonne le plus, 90% de sa population est bouddhiste, 4% musulmane et 4% chrétienne (Nations Unies 2016). Le nationalisme bouddhiste s’est naturellement emparé de la société civile, formant des groupes extrémistes très hostiles aux autres minorités et même aux bouddhistes modérés. Ils véhiculent régulièrement des messages haineux et des menaces de mort envers les Rohingyas. À leurs têtes, figurent des moines bouddhistes extrémistes influents. Non seulement ils prennent pour cible les Rohingyas, mais ils incitent la population bouddhiste à en faire de même, compromettant tout dialogue potentiel entre les communautés. C’est pourquoi, un banal conflit au sein de la population peut entrainer des bains de sang, tant l’identité religieuse et ethnique est devenue source de conflit. En 2013, une émeute antimusulmans est née, suite à un simple différend entre des commerçants d’or musulmans et des clients bouddhistes. Le bilan s’est soldé par 30 morts, des destructions de mosquées, d’écoles et d’habitations musulmanes.

Si l’attention des Nations Unies sur la persécution des Rohingyas est particulièrement récente, les violences ethniques entre les bouddhistes et les musulmans ne le sont pas. En effet, celles-ci ont vu le jour dès le 18ème siècle, où 20 000 Rohingyas furent réduits en esclavage et d’autres assassinées par les soldats birmans et portugais (Chan 2005). Le deuxième conflit eu lieu au cours de la période coloniale britannique. Le pouvoir colonial utilisa la diversité ethnique du Myanmar pour faire valoir ses intérêts. À la 2nde Guerre Mondiale, les Rohingyas ont privilégié l’option loyaliste contre les Birmans et les Japonais, dans la quête de disposer de pouvoirs politiques et administratifs dans l’État d’Arakan. Or, cette stratégie a très mal été perçue par les Birmans et s’est alors soldée par un génocide de Rohingyas en 1942 (Chan 2005). En 1948, l’État d’Arakan a fini par être annexé à la Birmanie, dès lors, les persécutions des Rohingyas par les militaires birmans ont sévis, provoquant de nombreux exodes de la communauté vers le Bangladesh. Or, ces violences de l’armée et des fonctionnaires de sécurité perdurent jusqu’aujourd’hui. Le rapport des Nations Unies dénonce leurs nombreux sévices. Les Rohingyas subissent : de la torture, des travaux forcés, des exécutions aléatoires, des arrestations injustifiées et abusives et les femmes font souvent l’objet d’agressions sexuelles (Nations Unies 2016).

 

L’impact des structures politiques maximalistes sur la situation des Rohingyas

Le Myanmar demeure en transition démocratique, les premières élections démocratiques depuis 1957 ont eu lieu en 2015 avec l’élection de Htin Kyaw. Auparavant, le pouvoir était concentré autour de la junte militaire de 1962 à 2012 (Chan 2005). C’est par ailleurs sous cette dictature qu’en 1982, les Rohingyas ont été réduit au statut d’apatride. Jusqu’à présent, l’armée dispose d’un pouvoir considérable en ayant 25% de sièges au Parlement et un droit de veto sur la modification de la constitution (Nations Unies 2016). Ces structures maximalistes ne privilégient pas la démocratie, les droits et libertés de la population, encore moins ceux d’une ethnie minoritaire marginalisée.

D’autre part, la justice ne peut constituer un moyen pour les Rohingyas de faire valoir leurs droits, en plus de l’inexistence de représentants politiques. Les plaintes des Rohingyas sont condamnées à rester sans suite. En effet, la justice n’est pas indépendante du pouvoir exécutif Nations Unies 2016). L’armée et ses fonctionnaires disposent donc d’une protection telle que leurs crimes restent impunis. La justice fait aussi face à des problèmes fréquents de corruption et de mauvaise administration. Les restrictions économiques et géographiques auxquels ils font face contribuent également à les éloigner du procédé juridique.

Finalement, les politiques discriminantes du gouvernement visent volontairement à priver les Rohingyas de développement économique et social. Les Rohingyas ne sont pas autorisés à se déplacer librement dans l’État d’Arakine qu’ils occupent majoritairement. Ils doivent par exemple obtenir une autorisation pour se déplacer dans un autre village. Or, ces restrictions ont des effets néfastes sur leur accès à la santé et l’éducation, qui sont des droits indispensables et des ressources fondamentales à leur survie. Par exemple, en plus d’une pénurie d’écoles dans leur localité, les Rohingyas avec leur statut d’apatride, ne sont pas autorisés à suivre des études pour exercer des professions libérales (Nations Unies 2016, 11). De même pour les soins de santé, en plus d’un manque d’hôpitaux dans leur région, l’accès aux services médicaux est restreint. Par exemple, une urgence médicale à l’hôpital de Sittwe nécessite une autorisation dispendieuse comprenant une escorte policière et un voyage en bateau (Nations Unies 2016, 11).

Si les minorités ethniques et les populations indigènes d’Asie du Sud-Est souffrent d’exclusion sociale, le cas des Rohingyas au Myanmar est le plus extrême. Leur marginalisation est le fruit de politiques et de tensions ethniques qui durent depuis un siècle. Les violences à leur égard ne sont pas uniquement physiques, les barrières économiques et sociales engendrent leur exclusion totale. D’après les Nations Unies, les Rohingyas font partie des ethnies les plus persécutées au Monde.

 

Bibliographie

Chan, Aye. 2005. « The Development of a Muslim Enclave in Arakan (Rakhine) State of Burma (Myanmar) ». SOAS Bulletin of Burma Research, Vol. 3, No. 2, Autumn 1479- 8484

Nations Unies. 2016. Situation des droits de l’homme des musulmans Rohingyas et d’autres minorités au Myanmar. Rapport du Haut-Commissaire des Nations Unies aux droits de l’homme.

Houeix,  Romain. 2017. « Birmanie : l’ONU dénonce un « crime contre l’humanité » envers les Rohingyas ». France24, le 10 mars. http://www.france24.com/fr/20170310-birmanie-rohingyas-onu-crime-contre-humanite (page consultée le 19 juin)

Suaed, Ahmad et Muhammad Haz. 
2015. «Citizenship Challenges in Myanmar’s Democratic Transition: Case Study of the Rohingya-Muslim ». Studia Islamika : Indonesian Journal For Islamic Studies, Vol 22 : 29.

Tuscangate, Kosak. 2013. Birmanie. « Des bouddhistes extrémistes attisent la haine contre les musulmans.» En ligne. http://www.courrierinternational.com/article/2013/03/26/des-bouddhistes-extremistes-attisent-la-haine-contre-les-musulmans. (page consultée le 19 juin)  Courrier international, 13 mai 2013

Macnamara, Kelly. 2015. Birmanie: la haine du moine bouddhiste Wirathu nuit aux musulmans. En ligne. http://www.lapresse.ca/international/asie-oceanie/201509/06/01-4898236-birmanie-la-haine-du-moine-bouddhiste-wirathu-nuit-aux-musulmans.php. (page consultée le 19 juin) Lapresse.ca

Htay Hla-Hla et Kelly Macnamara. 2016. Htin Kyaw, proche d’Aung San Suu Kyi, élu président de la Birmanie. En ligne.http://www.lapresse.ca/international/asie-oceanie/201603/15/01-4960832-htin-kyaw-proche-daung-san-suu-kyi-elu-president-de-la-birmanie.php (page consultée le 19 juin)

AFP. 2016 « Birmanie: violées, deux soeurs rohingyas racontent leur martyre .» En ligne. http://www.leparisien.fr/flash-actualite-monde/birmanie-violees-deux-soeurs-rohingyas-racontent-leur-martyre-25-11-2016-6374724.php. (page consultée le 19 juin) LeParisien, 25 novembre

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