Birmanie : vers la fin du travail forcé institutionnalisé ?

Par Gabriel Fonlladosa

            La Birmanie fut pendant longtemps l’un des pays les plus fermés d’Asie du Sud-Est. Toutefois, cette dictature militaire consolidée semble montrer des signes de démocratisation. En effet, en 2007 une brève révolution portant le nom de « révolution de safran » éclata et déstabilisa quelque peu le pouvoir. Par ailleurs, un autre évènement marquant est la libération d’Aung San Suu Kyi, certainement la plus célèbre opposante au régime et prix Nobel de la paix en 1991 (1). Toutefois, la démocratisation n’est en rien un processus rapide; en effet, l’opposante qualifia de « mascarades » les élections birmanes de 2010. Aussi, il faut savoir que la démocratisation n’est pas un cheminement linéaire et l’une de ses caractéristiques essentielles est l’existence d’un grand degré d’incertitude quant à son aboutissement (2). La Birmanie se trouve aujourd’hui être dans la première phase de ce processus : la libéralisation, à savoir : « le moment où le régime autoritaire entreprend de relâcher son emprise sur la société en autorisant des libertés civiles et politiques jusque-là réprimées » (3).

La Birmanie n’est donc aujourd’hui en rien un État démocratique. Cela se traduit par un État aux moyens coercitifs très développés. En effet, la junte possède un réseau de camps de travaux forcés à travers le pays. Bien que celle-ci en aie fermés 36 en 2004, il en existe encore 46 rebaptisés : « Centres de Formation à l’Élevage et à l’Agriculture », un véritable euphémisme, lorsqu’on sait que plus de 1000 personnes périrent dans ces camps entre 2004 et 2014 (4). Avant cela, 4100 personnes trouvèrent la mort entre 1978 et 2004 dans les camps birmans, aussi appelés « yebet ». Le gouvernement rejette toute accusation et argue que les décès ne sont en rien dus à leur exploitation. Il y aurait actuellement encore 10 000 personnes travaillant au sein des yebets. Le gouvernement a aussi récemment affirmé qu’il était hors de question de fermer ces camps, cette triste situation risque donc de ne guère évoluer. De plus, le travail forcé n’est pas réservé aux camps.

En effet, les violentes intempéries de 2008 firent 130 000 morts en Birmanie, notamment à cause de l’attitude du gouvernement qui refusa en partie, l’aide humanitaire internationale. Suite à ces violentes intempéries qui ravagèrent le pays, il fallut reconstruire et la junte, n’hésita pas à utiliser ses moyens coercitifs, ô combien efficace, afin de mettre son peuple au travail (5). Le travail forcé touche donc aussi bien les camps que la société civile. De plus, il arrive que certains prisonniers soient victimes d’une violence bien plus extrême. En effet, le gouvernement birman a utilisé des prisonniers en tant que « dragueurs de mines » humains (6). Cela témoigne bien de la terreur que fait régner le régime et va bien au-delà de l’esclavage des camps.

Ce qui est frappant avec la Birmanie, c’est que le travail forcé y est institutionnalisé. Contrairement à ses pays voisins (Cambodge, Indonésie) où la faiblesse de l’État explique en partie l’influence importante des organisations criminelles dans l’essor des différentes formes d’esclavages, ici nous constatons clairement que l’État est la cause directe du travail forcé. Alors, qu’est-ce qui pourrait mettre fin à ces camps de travaux forcés, ces réquisitions, ces tortures ?

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Il y a fort à parier que dans un système démocratique, l’État ne pourrait jouer un tel rôle. La démocratisation jouerait donc un rôle clé, car malgré les efforts de libéralisation entrepris par l’État birman, cela reste bien trop insuffisant. Les pressions internationales commencent à se faire de plus en plus fortes (7), surtout depuis la tempête de 2008 et sa gestion catastrophique par la junte. La Birmanie semble bien être rentrée dans une phase de libéralisation démocratique, caractérisée notamment par les élections législatives partielles de 2012 qui ont vu le parti d’Aung San Suu Kyi remporter 43 sièges sur 45. Ce signe plutôt encourageant, fût d’ailleurs confirmé par les législatives de 2015 qui permirent à La Ligue Nationale pour la Démocratie (LND) d’obtenir 348 sièges supplémentaires. Cela fit espéré à Aung San Suu Kyi : « l’aube d’une ère nouvelle ». Toutefois, un conseiller de l’ex-président, U Soe Thane, nous rappelle que la démocratisation est un parcours semé d’embuches : « Nous vivons dans l’ombre de notre passé. Nous souffrons de capacités institutionnelles extrêmement limitées et plus encore de mentalités et d’états d’esprit forgés par l’isolement et l’autoritarisme. Ces choses-là ne peuvent changer du jour au lendemain. » (8) Les efforts doivent être accentués, enfin cela pourrait aussi être l’occasion pour l’ASEAN de s’illustrer (9).

Désormais, il convient donc d’attendre patiemment les effets de cet embryon de démocratisation, si ce processus abouti il y a fort à parier que les camps de travaux forcés seront fermés. Toutefois, les défis à relever pour les prochains gouvernements birmans sont nombreux. Notamment celui concernant l’oppression de la minorité Rohingya, l’une des plus persécutées selon l’ONU, la Birmanie se trouvant être « au bord d’un génocide » (10).

Références

  1. http://perspective.usherbrooke.ca/bilan/servlet/BMEve?codeEve=1093
  2. La politique comparée : fondements, enjeux et approches théoriques.
  3. La politique comparée : fondements, enjeux et approches théoriques.
  4. https://www.dvb.no/news/over-one-thousand-die-in-labour-camps-over-decade-burma-myanmar/44996
  5. http://www.newstatesman.com/asia/2008/06/forced-labour-burma-work
  6. http://www.telegraph.co.uk/news/worldnews/asia/burmamyanmar/8257478/Burmese-prison-inmates-used-as-human-mine-sweepers.html
  7. http://www.lemonde.fr/asie-pacifique/article/2014/11/14/obama-appelle-a-des-elections-libres-en-birmanie_4523556_3216.html
  8. http://www.nytimes.com/2014/11/14/opinion/myanmar-needs-time.html?_r=1
  9. Myanmar in 2013: At the Halfway Mark.
  10. Ethnic Minorities and the Future of Burma.

Bibliographie

Bangkok, By Ian MacKinnon in. « Burmese prison inmates “used as human mine sweepers” », 13 janvier 2011. http://www.telegraph.co.uk/news/worldnews/asia/burmamyanmar/8257478/Burmese-prison-inmates-used-as-human-mine-sweepers.html.

Bray, John. « Ethnic Minorities and the Future of Burma ». The World Today 48, no 8/9 (1 août 1992): 144‑47.

Gazibo, Mamoudou, Jane Jenson. La politique comparée : fondements, enjeux et approches théoriques, Montréal : Les presses de l’Université de Montréal, 2004.

« Burma’s forced labour ». Consulté le 4 décembre 2014. http://www.newstatesman.com/asia/2008/06/forced-labour-burma-work.

« Obama appelle à des élections libres en Birmanie ». Le Monde.fr. Consulté le 4 décembre 2014. http://www.lemonde.fr/asie-pacifique/article/2014/11/14/obama-appelle-a-des-elections-libres-en-birmanie_4523556_3216.html.

« Over one thousand die in labour camps over last decade ». DVB Multimedia Group. Consulté le 4 décembre 2014. https://www.dvb.no/news/over-one-thousand-die-in-labour-camps-over-decade-burma-myanmar/44996.

Thane, U. Soe. « Myanmar Needs Time ». The New York Times, 13 novembre 2014. http://www.nytimes.com/2014/11/14/opinion/myanmar-needs-time.html.

Than, Tin Maung Maung. « Myanmar in 2013: At the Halfway Mark ». Asian Survey 54, no 1 (1 février 2014): 22‑29. doi:10.1525/as.2014.54.1.22.

Wood, Graeme. « A Countryside of Concentration Camps ». The New Republic, 21 janvier 2014. http://www.newrepublic.com/article/116241/burma-2014-countryside-concentration-camps.

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