Les relations diplomatiques nippo-thaïes : de leurs origines à la période impérialiste japonaise

Par Nicolas Chantigny

Les carrefours d’échanges qu’entretiennent les pays d’Asie du Sud-Est avec les nations voisines sont souvent source de richesses matérielles et commerciales. Dépendant des périodes historiques, elles sont parfois favorisées par des croissances commerciales grandissantes ou en d’autre temps stigmatisées par une montée du nationalisme. Dans le cas qui nous concerne, c’est-à-dire celui des relations diplomatiques nippo-thaïes et de leurs origines, l’implication japonaise a connu des effets retentissants sur divers aspects de la civilisation thaïe. Inversement, la Thaïlande a jouée un rôle collaboratif crucial aux campagnes militaires de l’impérialisme japonais. D’où découlent les relations nippo-thaïes et en quoi influencèrent-elles historiquement l’aspect culturel, social, diplomatique ainsi qu’économique de la Thaïlande?

L’objectif de ce biais est de déconstruire la collaboration des deux États afin de comprendre leurs rôles respectifs dans leurs processus de modernisation. À travers un survol historique des origines de leurs premiers contacts, entrecoupé par la période isolationniste puis de l’ère Meiji et enfin de la période militaire impérialiste du Japon, nous nous intéresserons à leurs évolutions.

Résultant de la politique expansionniste maritime de l’empire du soleil levant, les premiers contacts directs entretenus par la Thaïlande et le Japon remontent au XVIe siècle [1]. En effet, un engouement thaï pour des produits typiquement japonais vint faire concurrence à la Compagnie Néerlandaise des Indes Orientales qui les percevait comme des principaux compétiteurs [2]. De ces échanges découlèrent de nombreux rapprochements diplomatiques entre les deux nations qui aboutirent à l’avènement de la première délégation siamoise au Japon en 1616 puis de l’établissement d’une diaspora japonaise au sud d’Ayutthaya qui daterait de la fin de la période Tensho (1573-1591) et du début du Shogunat Tokugawa (1603-1867) [3]. Bénéficiant d’une zone d’habitation exclusivement japonaise, leur nombre atteint 1500 personnes à la fin du XVIIe siècle. En plus d’être d’ordre économique et démographique, l’influence japonaise s’incrusta culturellement et socialement en Thaïlande. L’immigration japonaise, divisée en trois groupes, c’est-à-dire « en marchands, marins et aventuriers ainsi qu’en chrétiens fuyant les persécutions au Japon et en anciens samouraïs déchus devenus mercenaires » [4], ajouta à la structure sociale de leur pays d’adoption. D’iconiques samouraïs vinrent marquer l’histoire de la Thaïlande et symbolisèrent ce métissage culturel, tel que Yamada Nagasama. Effectivement, ce personnage et sa notoriété susceptible d’avoir contribué à l’ascension de la migration japonaise en Thaïlande vinrent indirectement bouleverser l’histoire [5]. Pour ses habiletés de guerrier, il fut recruté par les rois siamois afin de jouer un rôle dans l’armée à travers le corps des volontaires japonais. Accédant à la noblesse, son influence se décupla, mais fut face à une trahison suite à une guerre de trône qui mena à sa perte. Son sort fut similaire à celui de la diaspora nippo-thaïe qui fut chassée du quartier japonais d’Ayutthaya [6]. Selon l’historien Gunji Kiichi, cette méfiance envers les Japonais étaient conséquente de son caractère chrétien qui engendrait de la xénophobie, de leur perception d’hommes d’armes et de la peur de la piraterie en Asie du Sud-Est qui constituait un fléau notable [7]. Suite à ces évènements, le régime des Tokugawa au Japon pratiqua une politique isolationniste qui priva les deux pays d’une majorité de contacts.

De la réouverture du Japon à sa modernisation durant l’ère Meiji, de nouvelles structures furent mise en place à la reprise des relations diplomatiques nippo-thaïe de 1887. Malgré des difficultés commerciales et l’échec du mouvement Nanshin, visant à consolider les Asiatiques autour d’une riposte à la colonisation occidentale, un flux de migration japonaise s’accentua en sol thaïlandais à Bangkok et dans les provinces. La première guerre mondiale en corrélation avec l’absence des Occidentaux en Indochine fut l’occasion pour les Japonais de s’implanter significativement dans les marchés thaïs [8]. Durant les années 30 à 40, la Thaïlande devint le premier partenaire économique du Japon qui se met à dos la communauté internationale dut à ses ambitions expansionnistes [9]. En 1936, on assiste à la création de la chambre du commerce et de l’industrie nippo-siamoise et les Japonais investissent en Thaïlande dans des industries de riz et de caoutchouc [10]. Le coup d’État en 1932 renforce la collaboration nippo-thaïe puisqu’elle rejoint les deux pays autour d’un patriotisme ethnique favorisant la souveraineté des Asiatiques sur l’Asie, au détriment des colonisateurs occidentaux [11]. De plus, à travers leur expansion en Mandchourie, la présence japonaise fut tolérée par la Thaïlande comme le témoigne le refus de la diplomatie siamoise de condamner le Japon à la Société des Nations [12]. En solidarité, le Japon exerça une pression sur la France pour libérer des territoires indochinois et les redistribuer à la Thaïlande [13]. Cette dualité nippo-thaïe fluctua à une migration en Thaïlande où la population japonaise passa de 336 en 1930 à 576 en 1939 [14]. Cette coopération se manifesta également sur la guerre, où les Japonais considéraient les Thaïlandais comme des alliés de premier ordre et où des terres birmanes furent léguées aux Thaïs dans cet esprit de collaboration, en redevance à leur permission de laisser circuler sur son territoire l’armée nippone [15].

En conclusion, les affinités nippo-thaïes se reflètent sur les relations diplomatiques entretenues entre les deux pays depuis leurs premiers contacts. En échangeant des produits, ils favorisèrent leur progrès mercantile et leur expansion démographique. Un engouement pour les produits d’origine japonais apporta un impact non-négligeable sur la sphère commerciale de la Thaïlande. En établissant des traités d’amitié, des politiques conjointes prirent naissance entre les nations. Découlèrent de ces relations l’ajout d’une diaspora japonaise qui modifia l’ordre social de la société thaïe en plus de l’enrichir culturellement. Bien qu’avec la défaite japonaise, leurs relations seront en rupture temporaire, l’influence de leurs contacts se démontre perpétuellement sur la sphère sociale et culturelle et économique d’hier à aujourd’hui.

[1] L’Ambassade du Japon en Thaïlande

[2] Idem.

[3] Arnaud Leveau, p.1

[4] Idem

[5] Ibid, p.2.

[6] L’Ambassade du Japon en Thaïlande

[7] Arnaud Leveau, p.2

[8] L’Ambassade du Japon en Thaïlande

[9] Philippe Mullender, p.217

[10] Idem.

[11] Arnaud Leveau, p.5

[12] Idem.

[13] Idem.

[14] Ibid. p.6

[15] Idem.

Bibliographie

L’Ambassade du Japon en Thaïlande, http://www.th.emb-japan.go.jp/en/policy/speech_komachi_tu.htm (consulté le 5 décembre 2014)

Arnaud Leveau, La communauté japonaise de Thaïlande, https://www.academia.edu/642662/The_Japanese_community_of_Thailand_La_communauté_japonaise_de_Thaïlande (consulté le 5 décembre 2014)

Philippe Mullender, L’évolution récente de la Thaïlande, http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/polit_0032-342x_1950_num_15_2_5757 (consulté le 5 décembre 2014)

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