Une éducation sous contrôle

Par Blandine Maindiaux

Pour le gouvernement birman, l’éducation est à double tranchant. D’un côté, la mise en place d’un système éducatif est un moyen de bâtir une unité nationale ainsi que de former des citoyens plus instruits et donc de faciliter le développement du pays. Or, l’éducation est aussi un facteur d’émancipation et de revendication. Etudier le système éducatif de la Birmanie permet d’apporter une réflexion sur les enjeux et les impacts que cela provoque sur le développement du pays et ainsi comprendre pourquoi l’éducation est un enjeu essentiel pour le pouvoir autoritaire en place. Je m’intéresse particulièrement au système universitaire car il représente l’éducation au niveau le plus élevé et représente un indicateur considérable dans le renouvellement des élites.

Sous le gouvernement socialiste de Ne Win, des campagnes de scolarisation de masses ont été mises en place.[1]La volonté était de nationaliser l’éducation pour quelle soit identique et accessible au plus grand nombre. Les universités, localisées dans les grandes villes, rassemblaient pour la première fois des étudiants de régions différentes, renforçant le sentiment d’appartenance à un même pays. De plus, le birman a été instauré en 1964 comme l’unique langue d’enseignement [2] dans le but également de renforcer l’identité nationale en partageant une langue commune. Benedict Anderson soutient l’idée d’une nation birmane comme étant une « communauté imaginée » [3]c’est-à-dire que le sentiment d’appartenance à la nation n’est pas inné mais construite et que l’éducation participe à cette construction.

Les universités sont avant tout des lieux de réflexions et de savoir, ce qui représente un danger pour les régimes autoritaires. Dans le contexte birman, les étudiants ont été à plusieurs reprises des éléments moteurs de mouvements de revendication pour plus de libertés. La junte craint de nouvelles protestations, c’est pour cela qu’elle surveille particulièrement ces établissements. Suite aux manifestations de 1962, le Ministère de l’éducation a fermé l’université de Rangoon pour créer des antennes dans les différentes régions de la Birmanie.[4]Officiellement, le ministre de l’éducation argumentait la volonté de redynamiser les régions, mais des raisons politiques semble davantage justifier cette décision. Cela permettait d’éclater les mouvements étudiants en les éparpillant loin des centres urbains. Les fermetures universitaires se sont répété depuis à de nombreuses reprises, devenant un véritable moyen de gérer les crises étudiantes pour le gouvernement. En quatorze ans, de 1987 à 2000, les établissements d’enseignement supérieur ont été fermés pendant près de dix ans. [5]

Lorsque les universités étaient ouvertes et que l’enseignement y étaient autorisé, la junte les surveillaient de près. Pendant de nombreuses années, une de leur priorité était que la politique reste en dehors du cadre scolaire. Ainsi, lors de leurs inscriptions, les étudiants devaient apporter la preuve de leur non-politisation, en fournissant un certificat du bureau de leur quartier qui témoigne de sa loyauté envers le régime. [6]

La situation a considérablement évolués ces dernières années. Le rôle social et éducatif de l’université qui a été pendant de nombreuses années censuré et contrôlé par la junte militaire semble aujourd’hui être sur la bonne voie pour retrouver sa liberté d’expression et d’opinion. Conscient de la nécessité des études supérieures pour le développement du pays, le Ministère de l’Education a mise en place certaines réformes en 2013. La censure est moins présente, les étudiants retrouvent les bancs de l’école et de nouveaux cours ont été proposés. Ainsi, à partir de décembre, un certificat en Science politique sera offert à l’Université de Yangon.[7] Un pas de plus vers la démocratie ?

L’éducation a un rôle important à jouer dans la transition démocratique et le développement de la Birmanie. Mais Rome ne s’est pas construite en un jour, et il est de même pour les réformes scolaires qui présentent toujours de nombreuses lacunes. L’enseignement supérieur est encore aujourd’hui un lieu de discorde qui aspire a se libérer de l’emprise de l’Etat pour retrouver son autonomie.

[1] Lubeigt, Guy, 1975 Que sais-je La Birmanie. Paris : Presse Universitaire de France.
[2] Ibid.
[3] Anderson, Benedict. L’imaginaire national : réflexions sur l’origine et l’essor du nationalisme, Paris, La Découverte, 2002.
[4] Steinberg, David I. Turmoil in Burma : contested legitimacies in Myanmar. Norwalk : EastBridge, 2006.
[5] Defert, Gabriel. Birmanie contemporaine. Les Indes Savantes, Paris 2008
[6] Ibid.
[7] Lone, Wa. School’s in : Hundred apply for politics classes, november 2014. (consultation en ligne) http://www.mmtimes.com/index.php/national-news/12394-hundreds-apply-for-place-in-new-politics-course.html (consulté le 13 décembre 2014)

Bibliographie :

Anderson, Benedict. L’imaginaire national : réflexions sur l’origine et l’essor du nationalisme, Paris, La Découverte, 2002.
Defert, Gabriel. Birmanie contemporaine. Les Indes Savantes, Paris 2008
Lone, Wa. School’s in : Hundred apply for politics classes, november 2014. (consultation en ligne) http://www.mmtimes.com/index.php/national-news/12394-hundreds-apply-for-place-in-new-politics-course.html (consulté le 13 décembre 2014)
Lubeigt, Guy, 1975 Que sais-je La Birmanie. Paris : Presse Universitaire de France.
Steinberg, David I. Turmoil in Burma : contested legitimacies in Myanmar. Norwalk : EastBridge, 2006.

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