L’esclavage dans les pêcheries en Thaïlande

Par Marc-André Bilodeau

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Saviez-vous que la Thaïlande est le quatrième importateur de poissons en importance au Canada? Saviez-vous aussi qu’il y a des chances que ces poissons aient été péché par des esclaves? En effet, selon l’Organisation Internationale du Travail (OIT), environ 5% des pêcheurs en Thaïlande ne peuvent pas quitter leur travail par peur de subir de la violence ou de se faire déporter[1]. De plus, selon l’Organisation des Nations Unies (ONU), 59% des pêcheurs qui ont été victime de trafic humain disent avoir déjà vu un de leurs collègues se faire assassiner[2].

Ce nombre impressionnant de personnes devant faire des travaux forcés s’explique en bonne partie par l’importance des pêcheries dans l’économie thaïlandaise, alors que 4.2 millions de tonnes de poissons sont pêchées chaque année et que le taux d’exportation ce chiffre à 90%. Il y a donc une demande pratiquement continuelle de travailleurs peu coûteux dans ce domaine et ceux-ci sont principalement des immigrants victimes du trafic humain.

La méthode la plus utilisée par les patrons de ces travailleurs pour les garder sous leur contrôle est d’aller les recruter dans leur pays d’origine en leur promettant un travail en Thaïlande. Par la suite, les travailleurs doivent rembourser une dette extrêmement élevée et pratiquement impossible à rembourser à cause de leur maigre salaire[3]. Aussi, ils ne peuvent pas s’enfuir ou aller voir la police due au haut taux de corruption et la protection que ceux-ci offrent aux industries poissonnières[4]. Un autre moyen qui empêche les travailleurs de s’enfuir est dans la nature même du travail, alors qu’ils sont fréquemment en mer, et ce, pour de nombreux mois, cela allant parfois même jusqu’à une durée d’un an[5].

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Les conditions de vie sur les bateaux sont misérables, alors que les esclaves travaillent environ de 18 à 20 heures par jour sous le soleil équatorial ardant. Leur paie, s’ils en ont une, est souvent retenue, leur passeport est confisqué et ils sont témoins ou victimes de violence de façon fréquente[6].

En plus des salaires peu élevés, la situation est parfois pire pour les couples qui immigrent ensemble alors que certains d’entre eux vont recevoir un salaire commun, mais qui n’est pas nécessairement la somme de deux salaires individuels. Ainsi, ces couples vont travailler autant que les autres travailleurs, mais, en définitive, gagneront moins d’argent. Cette situation est, en général, pire pour les femmes, alors qu’elles reçoivent seulement une partie portion de ce salaire[7].

Du côté légal, le gouvernement thaïlandais a pris différentes mesures au fil des années pour améliorer la situation, mais celles-ci restent tout de même limitées. Ainsi, l’État a signé de nombreux traités internationaux pour limiter le trafic humain, dont celui sur le crime organisé international de l’ONU. Toutefois, c’est par la mise en place d’une loi contre le trafic humain que le gouvernement a fait son action la plus concrète pour enrayer le problème. En effet, cette loi rend illégale toutes les formes d’esclavage moderne, en plus de pénaliser les criminels, d’offrir des compensations aux victimes, et ce, même pour les immigrants[8].

Par contre, dans les faits, cette loi a des impacts plutôt limités, alors que le taux d’arrestations pour les crimes de trafic humain reste très bas. Par exemple, en 2011, il y a eu 67 arrestations et seulement 12 personnes ont été retrouvées coupables de trafic, ce qui est peu nombreux, mais aussi en baisse comparé à 2010[9]. Ces faibles résultats s’expliquent en bonne partie par l’absence d’un régime pouvant appliquer la loi de façon continue sur la grandeur du territoire. Par ce fait, la Thaïlande ne se soumet pas aux exigences internationales, non pas parce que leur loi est incomplète, mais plutôt parce que l’État n’est pas capable de l’appliquer et qu’il ne semble pas y avoir d’amélioration au fil du temps[10].

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Ainsi, la situation est restée plutôt stable dans les dernières années, alors que la Thaïlande reste toujours classée dans le deuxième tiers et comme État à surveiller (le troisième tiers étant la note la plus négative), dans le classement des pays fait par les États-Unis quant au trafic humain[11]. Il y a toutefois un certain espoir pour l’avenir, puisqu’en ce moment un envoyé des Nations Unies aide le gouvernement thaïlandais à écrire une nouvelle loi dans le but de se conformer aux obligations internationales[12]. Certaines des pistes de solutions envisagées sont l’augmentation du salaire des policiers et douaniers, dans le but de réduire la corruption, mais aussi de leur donner des formations sur le trafic humain et les droits humains, alors qu’il n’y en avait pas auparavant[13].

Il n’est donc pas impossible que vous ayez cet enjeu en tête la prochaine que vous achèterez du poisson à l’épicerie ou que vous irez dans votre restaurant de sushi préféré.

Si vous voulez plus d’informations sur le sujet, je vous conseil ce reportage du Global Post, ainsi que ce vidéo d’une dizaine de minutes fait par Environnemental Justice Foundation.

[1] International Labour Organization. 2013. Employment practices and working conditions in Thailand’s fishing sector. Genève : International Labour Organization.
[2] Environmental Justice Foundation. 2013. Sold to the Sea : Human Trafficking in Thailand’s Fishing Industry. Londres : Environmental Justice Foundation.
[3] International Labour Organization. 2013. Employment practices and working conditions in Thailand’s fishing sector. Genève : International Labour Organization.
[4] Human Rights Watch. 2010. From the Tiger to the Crocodile : Abuse of Migrants Workers in Thailand. New York : Human Rights Watch.
[5] Environmental Justice Foundation. 2013. Sold to the Sea : Human Trafficking in Thailand’s Fishing Industry. Londres : Environmental Justice Foundation.
[6] International Labour Organization. 2013. Employment practices and working conditions in Thailand’s fishing sector. Genève : International Labour Organization.
[7] Resurreccion, Bernadette P. et Edsel E. Sajor. 2010. « ‘‘Not a Real Worker’’: Gendering Migrants in Thailand’s Shrimp Farms ». International Migration 6 (Vol 48) : 102-131.
[8] États-Unis. Department of State. 2014. Trafficking in Persons Report 2014. Washington : Department of State.
[9] Pink, Ross Micheal. 2013. « Child Trafficking in Thailand : Prevention and Prosecution Challenges ». Asian Affairs : An American Review 40 : 163-174.
[10] Ibid.
[11] États-Unis. Department of State. 2014. Trafficking in Persons Report 2014. Washington : Department of State.
[12] Pink, Ross Micheal. 2013. « Child Trafficking in Thailand : Prevention and Prosecution Challenges ». Asian Affairs : An American Review 40 : 163-174.
[13] Ibid.

Bibliographie
Canada. Fisheries and Oceans Canada. 2013. Trade. Ottawa : Fisheries and Oceans Canada.

Environmental Justice Foundation. 2013. Sold to the Sea : Human Trafficking in Thailand’s Fishing Industry. Londres : Environmental Justice Foundation.

États-Unis. Department of State. 2014. Trafficking in Persons Report 2014. Washington : Department of State.

Human Rights Watch. 2010. From the Tiger to the Crocodile : Abuse of Migrants Workers in Thailand. New York : Human Rights Watch.

International Labour Organization. 2013. Employment practices and working conditions in Thailand’s fishing sector. Genève : International Labour Organization.

Pink, Ross Micheal. 2013. « Child Trafficking in Thailand : Prevention and Prosecution Challenges ». Asian Affairs : An American Review 40 : 163-174.

Resurreccion, Bernadette P. et Edsel E. Sajor. 2010. « ‘‘Not a Real Worker’’: Gendering Migrants in Thailand’s Shrimp Farms ». International Migration 6 (Vol 48) : 102-131.

Walk Free Foundation. 2013. Global Slavery Index : Thailand. En ligne. http://www.globalslaveryindex.org/country/thailand/#note-342-14 (page consultée le 20 septembre 2014).

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