La question démocratique au Cambodge, entre reconstruction et instabilité

Défilé de partisans du CNRP dans les rues de Phnom Penh pour les élections du 28 juillet

Par Clara Florensa

Les élections législatives du 27 juillet dernier au Cambodge ont encore démontré la fragilité de la stabilité politique dans ce petit royaume asiatique. Elles ont été remportées sans surprise par le Parti du Peuple, qui ne cesse de gagner du soutien auprès de la population cambodgienne,  conteste cette victoire et revendique la majorité des sièges à l’Assemblée Nationale (1). Ces désaccords se traduisent par des manifestations demandant la révision des résultats électoraux, et par un appel au calme de la communauté internationale, qui craint une escalade des tensions pouvant mener à la violence.Cambodgien (PPC), parti au pouvoir depuis la création de l’État cambodgien et dirigé par Hun Sen, premier ministre depuis 28 ans. Mais le principal parti d’opposition, le Parti du Sauvetage National Cambodgien (CNRP)

Cette crainte de la communauté internationale n’est pas sans fondement, car depuis l’établissement de la démocratie au Cambodge, les élections ont toujours été source de conflits et de violences parfois meurtrières.

On ne peut pas comprendre les enjeux politiques actuels du Cambodge sans tenir compte de son histoire récente et de son processus transitionnel vers la démocratie. Le Cambodge est une démocratie récente, c’est en partie ce qui explique son instabilité ; mais ce sont les modalités  du règlement de la guerre civile et du génocide des Khmers Rouges qui vont donner tout leur sens aux problèmes rencontrés sur la scène politique.

La guerre civile, le régime khmer et l’occupation vietnamienne ont détruit l’appareil étatique cambodgien. Ce n’est qu’en 1989 avec la mise sous tutelle du Cambodge par l’ONU que va s’engager la reconstruction politique. L’Autorité Provisoire des Nations Unies au Cambodge (APRONUC) va se charger de développer des structures adéquates à la création de la démocratie au Cambodge. Ainsi, l’élaboration d’une nouvelle constitution, la mise à pied des leaders khmers rouges et la restauration de la monarchie vont permettre en 1993 de tenir les premières élections libres. 1993 marque donc le départ de l’Apronuc et la récupération de la souveraineté étatique pour le Cambodge (2). Le premier enjeu du régime va dès lors être lié à son passé : comme dans tous les cas de guerre civile, et qui plus est de génocide, la question sera de savoir s’il faut adopter une politique de réconciliation nationale ou plutôt de rétablissement de la justice ? La résolution du débat sur l’amnistie serait le principal garant de la stabilité politique et de la paix au Cambodge. Or même si les instances internationales ont incité à la création d’un tribunal international pour juger les crimes contre l’humanité commis durant la période des Khmers Rouges, le gouvernement a toujours eu tendance à protéger et à accepter, dans la sphère administrative, les anciens dirigeants Khmers Rouges en vue  de la réconciliation nationale (3). Le débat reste donc une des plus grandes sources de conflit sur la scène politique cambodgienne, notamment dans les rapports du pays avec la communauté internationale.

La question que l’on peut se poser est la suivante : l’ONU a-t-elle atteint son objectif d’établir une démocratie au Cambodge ? En 1993, le Cambodge devient une monarchie parlementaire et comme la constitution l’atteste: « une démocratie libérale multiparti » (4). Sur le papier, le Cambodge est donc bien une démocratie, reconnue par la communauté internationale, avec la tenue d’élections tous les 5 ans et un multipartisme affiché. Mais beaucoup dénoncent une « démocratie de façade » (5). En effet, depuis 1993, l’hégémonie du PPC et de son leader Hun Sen est incontestée. Ayant dû composer à plusieurs reprises avec le parti royaliste, le PPC a néanmoins toujours réussi à se démarquer en absorbant la concurrence et en obtenant par des alliances stratégiques, la majorité aux 2/3 nécessaire au Parlement, afin d’élire son premier ministre Hun Sen. Bien que la forme de la démocratie soit maintenue,  de nombreux observateurs et membres de l’opposition dénoncent les abus du régime au pouvoir. Ont été constatées des irrégularités dans la tenue des événements démocratiques, ainsi que des pratiques visant à l’intimidation telles que l’assassinat de représentants politiques,  l’achat de votes, des arrestations injustifiées, la dispersion violente de manifestations, des menaces d’expulsion… L’on peut aussi questionner la liberté de presse et d’expression (le PPC détient le monopole des chaînes de télévision et de radio du pays, contrôle les déclarations des journalistes…) (6). Malgré le contrôle de l’État, l’instabilité et le trouble politique continuent de se manifester, notamment en période électorale, montrant ainsi la fragilité de la démocratie cambodgienne. Lors des élections municipales de 2002, les violences, manifestations et répressions ont causé la mort de dizaines de civils (7).

La communauté internationale, à travers les organismes d’observation de l’ONU et des agences indépendantes, garde un œil sur le processus démocratique au Cambodge. L’ONU rapporte que des avancées ont été faites ces dernières années (rapport PNUD 2009). Mais les revendications de l’opposition et d’une partie croissante de la population se concentrant dans les villes, ne cessent pas. Est-ce là l’émergence d’un dialogue politique national dans le cadre d’une démocratie naissante ou l’expression d’un mal-être face à un régime qui n’est pas ce qu’il réclame être?

(1)  Le Monde

(2)  Le Cambodge de 1945 à de nos jours, p.93.

(3)  « Justice transitionnelle, où en est le Cambodge ?»

(4)  Le Cambodge de 1945 à de nos jours, p.120.

(5)  Cambodge contemporain, p.142.

(6)  « Cambodge, une démocratie de façade ? »

(7)  Le Cambodge de 1945 à de nos jours p.119

Références


Richer, Philippe. 2009. Le Cambodge de 1945 à nos jours. Paris : Presses de la fondation nationale des sciences politiques.


Mikaelian, Grégory. 2008.   « Pour une relecture du jeu politique cambodgien : le cas du Cambodge de la reconstruction ». Dans Alain Forestier dir., Cambodge contemporain. Paris : Les Indes savantes, 141-189.


“Cambodge, une démocratie de façade?” L’après génocide au Cambodge.2008.En ligne: http://www.apres-genocide-cambodge.com/index.php?option=com_content&view=article&id=59&Itemid=16&dcdf8914d8e18b58fa711d2fb251e4c6=129426d85f10b3ad7897c422a9f1c453

(page consultée le 12 octobre 2013)

“Des milliers de manifestants contre les résultats des élections au Cambodge” Le Monde. 2013.En ligne: http://www.lemonde.fr/asie-pacifique/article/2013/09/07/des-milliers-de-manifestants-contre-les-resultats-des-elections-au-cambodge_3472788_3216.html?xtmc=elections_cambodge_2013&xtcr=1

(page consultée le 14 octobre 2013)



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