Les relations entre la Birmanie et la Thaïlande: les défis diplomatiques d’un régime en transition

Salutations entre le président de la Birmanie Thein Sein et le Sultan Hassanal Bolkiah du Brunei au dernier sommet de l'ASEAN - Reuters

Alex Chartrand

Historiquement, les rapports entre la Birmanie et la Thaïlande ont toujours été difficiles et sont caractérisés par des conflits datant d’avant l’arrivée des puissances coloniales sur le territoire. À l’heure actuelle, bien que les tensions existent toujours, un climat de coopération s’est installé entre les deux pays, principalement depuis la mise en place de réformes par le régime birman. Toutefois, cette coopération demeure extrêmement fragile et est ainsi révélatrice d’un enjeu majeur auquel doit faire face la Birmanie, soit l’importance de gagner la confiance non seulement de la Thaïlande,  mais de la communauté internationale.

Plus récemment, les conflits entourant les relations entre la Birmanie et la Thaïlande se sont regroupés autour des problèmes de pêcheries illégales et de la protection des réfugiés birmans sur le territoire thaïlandais [1]. Ces préoccupations, plus particulièrement la question des réfugiés, occupent toujours une place prédominante dans leur relation diplomatique, la Thaïlande étant toujours l’hôte de milliers de réfugiés birmans, notamment de la minorité Karen [2]. Ainsi, il n’est pas évident pour le gouvernement thaïlandais de gérer ces groupes d’individus, ce qui a contribué à l’augmentation des rapports tendus avec son voisin [3]. De plus, le régime militaire a plus d’une fois irritée la Thaïlande, par exemple avec l’incarcération d’Aung San Suu Kyi, ce qui l’a amené à formuler plusieurs demandes de réformes. Toutefois, cela n’a pas empêché le développement d’un rapprochement récemment [4].

Nouveaux rapports, nouvelles attentes

En effet, depuis que la Birmanie a pris la décision de développer de nouvelles réformes au régime militaire en place, ce qui a d’ailleurs été mis encore plus fortement de l’avant avec l’instauration d’un régime présidentiel [5], la Thaïlande est devenue une source de support non négligeable tant sur la scène internationale qu’au sein de l’Association des Nations de l’Asie du Sud-Est (ASEAN) [6]. Cet appui nouveau de la part de la Thaïlande marque bien un apaisement dans leurs contacts, considérant que cette dernière a critiqué et condamné sensiblement les décisions du régime dans le passé [7]. Toutefois, le but poursuivi par la Thaïlande à l’heure actuelle est de construire un rapprochement et de se réconcilier avec la Birmanie [8].

Alors, avec cette confiance, bien que relativement nouvelle, il est pertinent de se demander si la Birmanie sera plus fortement incitée à poursuivre les réformes déjà présentées en plus de créer de nouvelles mesures afin de démocratiser davantage leur régime. Effectivement, à plusieurs niveaux, économique notamment, de meilleurs rapports avec la Thaïlande comprennent de nombreux avantages. Alors, il est pertinent pour la Birmanie de consolider cette base d’entraide et de la développer davantage. De plus, considérant que les sources de tension antérieures existent toujours, notamment en ce qui concerne les minorités et le processus démocratique, un retour à des rapports conflictuels pourrait nuire à la Birmanie en freinant son développement et son ouverture sur les autres. Sur le plan international, d’autre part, un retour en arrière et le non-respect des réformes pourraient se transformer en un retour en force des sanctions contre le régime, ce qui n’est pas non plus à  son avantage. Ainsi, sans trop se baser sur des suppositions alarmistes, il apparaît qu’avec le rapprochement actuel du pays et de son voisin, la pression pour poursuivre les réformes et se diriger vers une forme plus stable de démocratie sera de plus en plus grande et enfin plus difficile à éviter.

D’un autre côté, en se rapprochant de la Thaïlande, la Birmanie pourra désormais compter sur son aide et son expertise afin de trouver des solutions aux enjeux actuels. De plus, sous ce type de rapports, la Birmanie elle-même risque d’être plus réceptive aux recommandations que pourraient lui formuler la Thaïlande et la communauté internationale.

Le véritable défi diplomatique birman

De manière plus générale, ce développement de relations cordiales avec la Thaïlande illustre une nouvelle réalité du régime birman, soit une ouverture diplomatique marquée par de plus grandes responsabilités et des attentes plus élevées envers le pays. Ce nouveau défi est encore plus important depuis que la Birmanie a été nommée présidente de la prochaine rencontre de l’ASEAN en 2014. Ce rôle qu’elle devra occuper l’a contraint à moderniser plusieurs de ses structures, surtout au sein de sa récente capitale, Naypyidaw [9]. Cette position permettra, entre autres, à la Birmanie de se distancier davantage de l’ancien régime autoritaire et est donc un événement déterminant dans sa période de transition [10]. Conséquemment, le défi qui attend le gouvernement birman est de taille, puisqu’après toutes ces années où le pays a été relativement fermé aux autres, il lui faut prouver que maintenant, cette période est révolue et qu’il est possible de lui faire confiance à nouveau.

Par contre, pour que ce climat devienne solide entre la Birmanie et d’autres nations, il faudra encore attendre que plusieurs problèmes soient réglés. D’abord, la Birmanie doit s’occuper de la question des conflits avec les minorités et tant que cela ne sera pas effectué, il y aura toujours des doutes quant à la sincérité de son gouvernement. De plus, l’organisation des élections de 2015 et le respect des résultats obtenus seront une étape importante pour les autres pays afin de déterminer si les réformes birmanes sont bien en voie de se concrétiser.

Enfin, il est clair que l’ouverture de la Birmanie est marquée par de nouvelles attentes et responsabilités difficiles à éviter. Ainsi, bien que certaines résistances puissent être rencontrées en cours de route, il semble peu probable que la Birmanie ne s’y conforme pas dans un avenir proche.

Références

[1]Ganesan, 2001; Helen, 2004.

[2]Ganesan, 2001, p.140

[3]Helen, 2004, p.541

[4]Ganesan, 2001, Helen, 2004

[5]MacDonald, 2013

[6]Helen, 2004, p. 540

[7]Ganesan, 2001, p. 139

[8]Haacke, 2008, 357

[9]Reuters, 2013

[10]Idem

Photo: Reuters

Ganesan, N. 2001. « Thailand’s Relations with Malaysia and Myanmar in Post-Cold War Southeast Asia ». Japanese Journal of Political Science, vol. 2, no 1, pp. 127-146.

Haacke, Jürgen. 2008. « ASEAN and Political Change in Myanmar : Towards a Regional Initiative? ». Contemporary Southeast Asia, vol. 30, no 3, pp. 351-378.

Helen, James. 2004. « Myanmar’s International Relations Strategy: The Search for Security ». Contemporary Southeast Asia, vol. 26, no 3, pp. 530-553.

Macdonald, Adam P. 2013. « From Military Rule to Electoral Authoritarianism: The Reconfiguration of Power in Myanmar and its Future ». Asian Affairs: An American Review, vol. 40, no. 1, pp. 20-36.

Reuters. 2013. « Myanmar takes long-awaited ASEAN chair, but can it cope? ». Reuters (États-Unis). En ligne. http://www.reuters.com/article/2013/10/10/us-asia-summit-myanmar-idUSBRE9990DV20131010

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