La multiplicité des nationalismes au Vietnam

Par Charles-Antoine Michel

De part les nombreux événements qui ont fait l’histoire du Vietnam, et notamment une constante occupation, on verra au cours de ce billet que le nationalisme, soit la manifestation de la conscience nationale, a pris différentes formes, allant de la simple idéologie à la guérilla.

Depuis toujours, le pays attire les convoitises étant perpétuellement en proie à l’occupation. Dès 111 av. J.-C., le Vietnam est envahi par le puissant voisin Chinois. Incorporés à l’Empire des Hans, ces derniers, ainsi que leurs successeurs vont imposer aux Vietnamiens coutumes et mœurs chinoises pendant près de mille ans. On assiste durant cette période à la diffusion du confucianisme, du taoïsme et surtout du bouddhisme dans le pays. En 938, la révolte conduite par Ngô-Quyên aboutit à la formation d’un territoire indépendant. La fin du règne des Ngô est marquée par le partage du pays en fiefs féodaux. Dinh Bo Linh s’impose. Se succèderont par la suite les grandes dynasties nationales telles que les Ly, les Tran, les Lê, les Tay Son et les Nguyen qui resteront en place jusqu’en 1945 avec comme dernier représentant, l’empereur Bao Daï [1]. Ces faits historiques doivent être mentionnés pour comprendre la réaction des populations locales lors de l’arrivée des premiers colons et leur volonté d’imposer une nouvelle culture tout en tirant un trait sur le passé.

En 1858, les Français arrivent près des côtes vietnamiennes et s’emparent de la Baie de Da Nang. Le territoire est annexé à l’empire colonial français en 1883. Très vite, les colons tentèrent de mettre en place le catholicisme, ce qui entraîna immédiatement un fort sentiment anticolonial, voir xénophobe [2]. En effet, le catholicisme rejetait les doctrines taoïstes et bouddhistes qui s’étaient pourtant fondues dans les mentalités vietnamiennes. En ne tenant nullement compte de ce passé culturel, les chrétiens subirent une véritable « chasse à l’homme » (Lê 1975, 83). « Le christianisme était considéré, à tort ou à raison, comme un instrument d’asservissement progressif des nations européennes » [3]. Les prêtres accentuèrent un peu plus le reniement de la culture vietnamienne en apprenant, non pas les caractères traditionnels de la langue, mais les nouveaux caractères du quôc ngu, une transcription phonétique et romanisée de la langue. Ils tentèrent en d’autres termes de créer une nouvelle langue afin de diffuser leurs idées.

Jusqu’aux années 20, on voit évoluer deux types de nationalismes dans le pays. Ils sont tous deux de types réformistes et restent assez modérés dans le sens où ils ne font pas appel à la violence. Le premier, un nationalisme anticolonial, est le fruit de l’intelligentsia, des lettrés, et est incarné par des hommes tels Phan Bội Châu et Phan Châu Trinh [4]. Ils revendiquaient l’indépendance de leur pays en écrivant lettres, pamphlets ou tracts appelant à la libération. Le second est moins courant puisqu’il s’agit d’un nationalisme pro-colonial qui peut être représenté par des intellectuels tel que Nguyen Van Vinh [5]. Ce dernier percevait la colonisation française comme le moyen de moderniser le pays économiquement, politiquement ou encore culturellement. Il faisait partie de cette élite vietnamienne fascinée par les richesses occidentales. Ses activités littéraires étaient pour lui le moyen de décrier certaines institutions qu’il voyait comme archaïques, ainsi qu’un modèle chinois perçu comme trop envahissant. Christopher E. Goscha écrit qu’ Nguyen Van Vinh « avait étroitement collaboré avec le pouvoir colonial français, défendu l’administration directe des français sur le Vietnam […] » (Goscha 2001, 321).

À partir des années 20, la tendance réformiste indépendantiste laisse place peu à peu à des mouvements plus révolutionnaires. Ceux-ci sont violents et répressifs. La création du Parti Communiste Indochinois en 1930 par Ho chi Minh va être à l’origine de nombreuses manifestations qui seront durement réprimées par le régime de l’empereur Bao Daï, allié des Français. Mais c’est véritablement lors de la Seconde Guerre mondiale, pour faire face à l’invasion japonaise, que vont se durcir les mouvements indépendantistes et anticoloniaux. On assiste en 1941 à la création de la ligue Viêt Minh, soit la ligue d’indépendance du Vietnam, par le Parti Communiste Indochinois. Après la capitulation japonaise en 1945, Ho chi Minh (photo 1) proclame l’indépendance du Vietnam le 2 septembre 1945 [6].

Lors de la guerre du Vietnam contre les Etats-Unis, un tout autre mouvement se met en place, nettement plus violent, celui de la guérilla. La classe paysanne se soulève et tente de faire chuter l’occupant. On assiste à une véritable résistance, organisée et quasi impossible à démanteler. Complètement opposé au nationalisme défendu par les élites jusqu’aux années 2, celui-ci est nettement plus radical et provient du peuple. C’est un nationalisme territorial et non plus culturel. En 1973 les Etats-Unis d’Amérique capitulent et en 1975 les troupes américaines quittent définitivement un pays meurtri et décimé mais victorieux.

Ainsi, le Vietnam, constamment occupé, est passé par plusieurs nationalismes. Ceux-ci se sont traduits par la manifestation de la conscience nationale, un sentiment xénophobe, par des mouvements anticoloniaux, des mouvements indépendantistes ou encore de véritables guérillas. Ce nationalisme est encore présent aujourd’hui, à l’heure de la mondialisation. En effet, le régime communiste vietnamien s’ouvre peu à peu mais avec prudence à l’économie mondiale, tout en faisant en sorte de protéger au maximum sa culture.

Bibliographie

[1] France. Ambassade de la République Socialiste du Viêt-Nam en France. 2007. Aperçu général sur l’évolution de l’histoire du peuple vietnamien. En ligne. http://www.vietnamembassy-france.org/fr/nr070521170056/nr070821155949/ (page consultée le 12 novembre 2009).

[2] Lê, Nicole-Dominique. 1975. Les Missions-Étrangères et la pénétration française au Viêt-Nam. Institut d’Études et de Recherches Interethniques et Interculturelles.

[3] Cadière, Léopold. 1924. « Le quartier des arènes ». Bulletin des Amis du Vieux-Huê 11è année, no 4, (octobre-décembre).

[4] Viêt-Nam. En ligne. http://www.memo.fr/Dossier.asp?ID=194 (page consultée le 12 novembre 2009).

[5] Goscha, Christopher. 2001. « « Le barbare moderne » : Nguyen Van Vinh et la complexité de la modernisation coloniale au Vietnam colonial ». Outre-Mers, Revue d’Histoire, no. 332-333, tome 88, (décembre): 319-46.

[6] Fall, Bernard. 1960. Le Viet-Minh: la République Démocratique du Viet-Nam 1945-1960 (Paris: Librairie Armand Collin).

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