Singapour: Les avantages d’un État fort

Par Félix Pepin

Aujourd’hui, Singapour représente, à travers le monde, l’un des emblèmes de la prouesse économique asiatique. Une telle réussite doit être grandement attribuée au People’s Action Party (PAP), et plus particulièrement à son chef Lee Huan Yew qui dirigea le développement de cette cité état de l’indépendance en 1965 jusqu’en 1990. Sous son « règne », Singapour s’est métamorphosée : de la colonie « entrepôt » qu’elle était sous la colonisation britannique, elle est aujourd’hui considérée parmi les plus grandes cités de la planète, au même titre que le sont Londres, New York ou Tokyo (voir ce vidéo pour une brève introduction). Avec ses 4,9 millions de citoyens répartis sur moins de 700 km²[i], plusieurs affirment que « Singapour peut être considérée comme un modèle d’aménagement urbain, même selon les plus hauts standards des pays développés[ii] ». C’est donc ce que je tenterai de vous démontrer tout au long de ce billet en définissant d’abord le rôle primordial qu’a joué le gouvernement singapourien dans cette réussite et les résultats auxquels il est parvenu avant de terminer avec les défis et les enjeux qu’il a d’ores et déjà à gérer afin de soutenir un tel développement.

Tout d’abord, au lendemain de l’indépendance, Singapour souffrait déjà de nombreux problèmes au niveau du développement urbain. Parmi ceux-ci, nous pouvions noter les problématiques liées à la pénurie de logements (surpeuplement des milieux urbains et développement de bidonvilles), celles liées au manque de services publics (ramassage des déchets, pollution de l’eau) et toute une panoplie d’autres problèmes de diverses natures (pollution de l’air, déficience des infrastructures de transports, etc.). C’est donc dans ce contexte que Lee Huan Yew et son gouvernement durent se mettre à la tâche. Leurs premières interventions consistèrent à créer bon nombre d’emplois afin de combattre la pauvreté, augmenter considérablement l’offre en logement abordable (à travers sa société d’habitation, le Housing Developement Board) et améliorer la desserte en infrastructures de transport[iii].

Pour ce faire, l’État disposait d’un outil extrêmement intéressant qui datait de l’époque coloniale : l’expropriation. En effet, sous le régime britannique, il existait des textes légaux facilitant grandement l’expropriation par l’État. Lors de l’indépendance, le PAP conserva ces textes, les compléta et les utilisa au point où, en 2002, il détenait de 80 %[iv] à 90 % du territoire singapourien comparativement aux 31 % qu’il possédait en 1949[v]. Étant propriétaire, l’État contrôle « la quantité, l’emplacement ainsi que le temps de remise des terres sur le marché[vi] ». Ainsi, il devient pratiquement l’unique acteur à même de dicter l’organisation du territoire, le privé ne participant que par appel d’offres aux projets du gouvernement. Cette démarche est exactement à l’opposée de celle que nous pouvons observer dans une ville comme Bangkok, par exemple.

Une fois cet outil maîtrisé, l’État pouvait développer son territoire comme bon lui semblait. Il choisit de miser sur les réseaux de transport. En tant que planificateurs futés, les dirigeants comprirent rapidement que la valeur d’un secteur était intimement liée à son accessibilité (donc, à la qualité de sa desserte en infrastructures de transport). En développant ses réseaux de transports collectifs, l’État forçait du même coup les promoteurs privés à se concentrer dans les secteurs qu’il avait lui-même choisis! Il devenait donc à même de développer le territoire en suivant précisément son plan. C’est ainsi que Singapour développa un réseau d’autobus efficace (1978) et son réseau de métro (1984)[vii]. Dans la lignée des stratégies de transport, notons que dès 1975, Singapour instaura l’Area Licensing Scheme, qui, en relation avec des frais exorbitants d’acquisition et d’immatriculation de voitures, décourageait grandement l’accès automobile dans la zone centrale de Singapour. D’autres grandes métropoles ont par la suite suivi son exemple, dont Londres, en 2003 et Stockholm, en 2007[viii], réduisant ainsi considérablement leurs propres problèmes de congestion comme l’avait fait Singapour 25 ans plus tôt. À quand le tour de Montréal?

Ces grandes interventions ont grandement changé le milieu urbain du pays. Déjà, vers la fin des années 1960, les bidonvilles avaient été repoussés en périphérie. L’offre en logement fut, quant à elle, grandement améliorée et le Housing Developement Board mit en place plusieurs incitatifs menant à l’acquisition d’un logement, si bien que, de nos jours, 75 % des habitants sont propriétaires de leur logement[ix]. Les transports en commun, eux, contribuent chaque jour à réduire la congestion et favorise l’intégration sociale au sein de la population dans les espaces publics.

En somme, la clé du développement urbain de cette cité état résidait dans son appropriation du territoire et dans l’omnipotence du gouvernement. Ces deux éléments, combinés à une très bonne compréhension des mécanismes de développement urbain, permis à Singapour d’appliquer fermement et systématiquement ses politiques telles qu’il les avait conçus. Aujourd’hui un des pays les plus riches de la planète en revenu par habitant[x], il devra faire face à plusieurs défis s’il désire soutenir des niveaux de développement aussi élevé que par le passé, en commençant par la pénurie de territoire. La région métropolitaine de Singapour s’étend maintenant sur trois pays (Malaisie et Indonésie). C’est dans celle-ci qu’elle concentrera ses futurs investissements en infrastructures et en industries afin de combler son manque en superficie territoriale ainsi qu’en main d’œuvre. Malgré tout, si l’histoire de ce pays peu nous apprendre quelque chose, c’est qu’il ne faudrait surtout pas sous-estimer les capacités de ce petit pays de nous surprendre, car ce ne serait pas la première fois!


[i] En ligne: http://app.www.sg/who/1/Singapore-at-a-Glance.aspx

[ii] Rimmer et Dick (2009), p.253

[iii] Ibid, p.56

[iv] Rimmer et Dick (2003), p.240

[v] Lorrain, p.87

[vi] Rimmer et Dick (2009), p.244

[vii] Ibid, p.67

[viii] En ligne: http://grandparis.over-blog.com/article-5288128.html

[ix] Lorrain, p.87

[x] Rimmer et Dick (2009), p.76

Bibliographie

LANGELIER, Jean-Pierre et Olivier Truc (2007). Stockholm et Londres, deux expériences plutôt concluantes. En ligne : http://grandparis.over-blog.com/article-5288128.html (page consultée le 21 octobre 2009)

LORRAIN, Dominique (2004). Singapour Inc. Flux 2004/4, No 58, p.85-96. Aussi disponible en ligne : http://www.cairn.info/article.php?ID_REVUE=FLUX&ID_NUMPUBLIE=FLUX_058&ID_ARTICLE=FLUX_058_0085# (page consultée le 21 octobre 2009)

Ministère de l’information, de la communication et des arts (2009). Singapor at a glance. En ligne: http://app.www.sg/who/1/Singapore-at-a-Glance.aspx (page consultée le 21 octobre 2009)

RIMMER, Peter J. et Howard Dick (2003). Cities, Transport and Communications : The integration of Southeast Asia since 1850. New York: Palgrave Macmillan

RIMMER, Peter J. et Howard Dick (2009). The city in southeast Asia : Patterns, Process and Policy. Honolulu : University of Hawai’i Press.

 

 

 

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