Singapour : Dictature ou démocratie ? Surveillance, censure et autocensure

Par Samuel Barbas

Pour faire suite au premier billet portant sur le monopole gouvernemental concernant les élections, il sera question ici du contrôle du gouvernement sur sa population et les médias. Pour mieux comprendre ce dont il s’agit, rappelons simplement l’illégalité des rassemblements de cinq personnes ou plus à des fins politiques, ainsi que les poursuites judiciaires systématiques par le gouvernement pour diffamation [1]. Malgré ces lourdes mesures, les Singapouriens ne sont que très peu à quitter le pays.

Les Singapouriens
Le PAP (People’s Action Party) s’est muni au fil du temps d’une panoplie d’outils afin de bien encadrer sa population, du taux de natalité aux déplacements en passant par une myriade de petites actions quotidiennes des habitants. Par exemple, les amendes sont salées pour quiconque laisse traîner ses détritus sans respecter les normes instaurées par la ville. Il en va de même pour les graffitis et cela va jusqu’à faire payer ceux qui oublient de tirer la chasse d’eau dans les toilettes publiques (Houseman 2000). Il est par ailleurs, interdit de jeter sa gomme à mâcher sur le sol. L’amende pour ce délit est de 1000 dollars Singapouriens, mais les cas sont rarissimes puisqu’il est quasi-impossible de s’en procurer sur l’île. De plus, « malgré le fait que la quasi-totalité des résidants soient propriétaires de leurs logements, c’est toujours le HDB, la régie du logement, qui délivre les autorisations de vendre, acheter, louer, résider, rénover, bref qui contrôle tout » (Koninck 2006, 165).

Étant une cité-État à la fine pointe de la technologie, Singapour à tout ce dont elle à besoin pour établir un réseau de surveillance efficace. C’est ce qu’elle a fait avec son Expressway Monitoring and Advisory System. Cette innovation, qui sert à la base à signaler les accidents et les conditions routières, permet au gouvernement de connaître l’itinéraire des conducteurs par le biais d’un système de photographie implanté en plusieurs lieux dans la vile. Ce dernier voit les plaques photographiées à plusieurs endroits et moments de la journée [2].

Les médias
La majorité, voire la totalité des médias à Singapour est contrôlée par ou appartiennent aux dirigeants du gouvernement. S’ils n’en sont pas les propriétaires, ce sont des membres de leur entourage qui le sont (Gomez 2000, 86). La presse est particulièrement touchée par la censure gouvernementale. Puisque la presse locale sert les intérêts du gouvernement, il n’y a que la presse étrangère pour offrir un peu d’objectivité. Or, le PAP a sut imposer à ces derniers un contrôle tout aussi efficace. Cette main mise remonte au début de la création de la république. Dès 1971, les journaux défavorables au PAP furent forcés de fermer. En 1974, puis en 1986, la loi évolua en faveur d’un resserrement de l’encadrement des médias (surtout étrangers). Comme c’est le cas pour les opposants politiques, la méthode adoptée par l’État pour contrer la critique reste la poursuite judiciaire. C’est ainsi que le Time, l’Asian Wall Street Journal, l’Asiaweek et le Far Eastern Economic Review (FEER) ont été confrontés devant les tribunaux. « Pour le [FEER] punir, le gouvernement de Singapour contraignit le périodique à limiter pendant un temps sa distribution locale à 500 exemplaires au lieu de 10 000 » (Koninck 2006, 153). La plupart des poursuites intentées contre des médias étrangers sont réglées hors cours. Pour s’assurer de la bonne intention de ces derniers le gouvernement exige dorénavant, d’une part, la présence d’un représentant permanent (qu’on peut poursuivre) à Singapour, d’autre part, un dépôt de 200 000 dollars Singapouriens, afin de s’assurer d’un éventuel paiement en cas de litige. Le même type de surveillance est ressenti à la télé, au cinéma et même sur Internet. Par exemple, le succès « Eyes Wide Shut » de Stanley Kubrick, n’a jamais franchi la barrière de la censure (Kuzmanovic 1999). Dans le cas d’Internet, les sites qui sont jugés provocateurs ou au contenu inadéquat (raciste, pornographique, etc.), sont interdits d’accès. De plus, pour la brève période des élections les blogues et la baladodiffusion sont interdits (Burgis 2006).

Exemple d’un film anti PAP banni

[youtube=http://www.youtube.com/watch?v=f_DRoUOcupo&hl=en]

et bande-annonce bannie

[youtube=http://www.youtube.com/watch?v=3ZcDena8fkY&hl=en]

Tout cela a comme résultat que l’autocensure devient la norme. Non pas par idéologie ou par appui envers le pouvoir en place, mais simplement afin d’éviter de perdre le droit de publier dans le pays ou simplement pour éviter les poursuites pour diffamation. Cette autocensure est également exercée par la population. Afin d’échapper à tout problème que pourrait engendrer l’expression d’opinions politiques ou de tenir des propos controversés, les gens sont majoritairement apolitiques; ceci n’est pas aidé par le fait que le gouvernement incite les citoyens à dénoncer leurs voisins. Notons aussi que Reporters sans frontières a classé Singapour 141e sur 169 pays en ce qui a trait à la liberté de presse. Finalement, même si les Singapouriens ont le droit de quitter le pays, la majorité n’en fait rien. Selon Gerald Houseman, les résidants sont plutôt satisfaits de leur système et quand vient le temps de s’exprimer, les Singapouriens suggèrent de simplement ignorer la politique.

Notes

[1] Consultez le site d’Amnistie Internationale pour en apprendre davantage sur l’utilisation injustifiée des tribunaux par le PAP : www.amnesty.org/en/library/asset/ASA36/004/1997/en/dom-ASA360041997en.pdf

[2] Le même système était censé voir le jour à Hong Kong. Cependant, les pressions des groupes défenseurs de la vie privée étaient parvenues à empêcher ce projet.

Ressources en ligne

Kuzmanovic, Jasmina. 1999. Singapore has yet to shed its authoritarian image, Associated Press.
Reporters sans frontières, Singapour : Rapport annuel 2007

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