Mieux vaut être paresseux et réfléchi, qu’aventureux mais inconscient : la Birmanie

Par Sophianne Do

« La Birmanie sera encore là pendant de nombreuses années, alors […] rendez-nous visite plus tard. Nous rendre visite maintenant reviendrait à cautionner le régime actuel » – Aung San Suu Kyi, dans le cadre du régime de dictature militaire en 1999.

Tourisme de masse rime rarement avec écoresponsabilité ou responsabilité sociale. Les destinations populaires peuvent parfois être le théâtre de tensions qui déchirent la population locale, situations qui sont souvent ignorées des visiteurs étrangers. Suivre les dernières tendances touristiques sans prendre conscience de la situation à l’intérieur même du pays où l’on se rend peut être perçu comme étant une pratique irresponsable. Comment expliquer que la mondialisation du tourisme affecte ainsi la société birmane? Quels sont les facteurs qui expliquent qu’il faut réfléchir deux fois avant de choisir cette destination?

Sur les sites gouvernementaux canadien et français, les avertissements ne passent pas inaperçus dans la section consacrée à la sécurité des voyageurs. On y retrouve toutes sortes de conseils et de mesures de prévention : tensions interethniques, frontière thaïlandaise à éviter, états dangereux, etc. (France Diplomatie). Pourtant, cela n’a pas freiné les ardeurs touristiques. En effet, en 2011, les autorités birmanes ont reporté une augmentation de visiteurs étrangers qui se traduit par un bond de plus de 22% (Le Petit Journal 2012).


Éviter la Birmanie, d’accord, mais pourquoi?

Comment expliquer que l’essor du tourisme au Myanmar est tant redouté, au point même où les autorités ont déconseillé et tenté de décourager les éventuels visiteurs? Certes, avoir une meilleure visibilité sur la scène internationale a ses avantages, mais la mondialisation du tourisme, dans ce cas précis, ne semble pas être bien accueillie. En effet, « jusqu’à la fin de 2009, la Birmanie était redoutée par les voyageurs britanniques et était majoritairement ignorée des flux touristiques. La visiter était vu comme une approbation de la dictature militaire en place » (Kerr 2012).

Bien que la dictature militaire ne contrôle plus le pays, ce dernier est encore dans une situation fragile, que ce soit économiquement, socialement ou politiquement. Avec un régime instable et une société en évolution, le pays est désorganisé. Le Myanmar traîne de l’arrière dans le classement mondial du respect des Droits de l’Homme et la hausse de visiteurs encouragerait indirectement l’utilisation d’une main-d’œuvre exploitée (Info-Birmanie 2011, 3).

Quels sont les impacts du tourisme sur les principales sphères de la politique birmane?

Au niveau social, l’arrivée de touristes qui cherchent à se dépayser tout en suivant certaines tendances a pour effet de faire gonfler les prix dans les pays moins développés. En réaction à la hausse de la demande, le prix du logement en Birmanie a récemment augmenté de 300% (Info-Birmanie 2013, 3). Cela rend les logements proches des lieux touristiques plus difficiles d’accès pour les locaux.

Au niveau du gouvernement, le Myanmar souffrant de problèmes politiques intérieurs tels que la corruption, la transparence était de mise lors des élections en 2012 du Président Thein Sein. La promesse d’améliorer l’efficacité du fonctionnement gouvernemental est difficilement réalisable alors que le nombre de touristes ne cesse d’augmenter. Pourquoi? Simplement car en Birmanie, l’évasion fiscale est une pratique récurrente (Myanmar Responsible Business 2014, 81). Le tourisme étant une des principales sources financières de l’État, si les commerçants déclarent un revenu faussé, le gouvernement en retirera moins. La corruption est également une pratique courante dans le secteur touristique, car l’acquisition de terrains et de contrats pour la construction d’hôtels, de terrain de golf, etc. est facilitée lorsque les contracteurs sont des amis proches des autorités (Myanmar Responsible Business 2014, 80-81). Cela veut donc dire que la lutte pour la transparence n’est pas sans obstacle. L’habitude qu’ont les touristes à ne pas demander la facture, ou à négocier un prix plus bas en proposant de payer en espèces, encourage l’évasion fiscale (Myanmar Responsible Business 2014, 81). Ceci n’aide pas le pays à sortir de son impasse économique, politique et sociale. En tant que touriste, afin de minimiser l’impact négatif, il faut donc adopter de bonnes habitudes de consommation une fois sur place.

Économiquement, il est certain que la Birmanie bénéficierait du tourisme de masse grâce aux revenus engendrés par ce secteur. Le chiffre d’affaires touristique est passé de 319 millions $US en 2011 à 1789 millions $US en 2014 (Myanmar Tourism 2015). En trois ans, le secteur a fait 5 fois plus de gains, faisant du tourisme une source de revenus indispensables quant au développement du pays. Cependant, les touristes ne sont pas tous conscients des conséquences de leur passage. En effet, les compagnies qui autrefois hésitaient à proposer la Birmanie comme choix de destination, ont changé de cap en voyant une forte demande depuis que le parti d’Aung San Suu Kyi a lancé un appel de visite aux touristes éthiques (Atwool 2012). L’industrie touristique birmane n’est toutefois pas encore prête à répondre à la forte demande.

Pour conclure, être un touriste éveillé et conscientisé est prioritaire aux yeux des autorités birmanes. Ce que les touristes vivront et verront n’est pas nécessairement représentatif de la réalité d’un natif ou de son pays. Pour le cas birman, il s’agit tout simplement de comprendre qu’une importante hausse de visiteurs étrangers encouragerait certaines pratiques non éthiques. En mai 2011, la Ligue nationale pour la démocratie (NLD) a lancé un avertissement aux visiteurs intéressés : « We welcome visitors who are keen to promote the welfare of the common people and the conservation of the environment and to acquire an insight into the cultural, political and social life of the country while enjoying a happy and fulfilling holiday in Burma » (Kerr 2012).

 

 

 

 

Bibliographie

 

Atwool, Jolyon. 2012. « Tour firms ‘overwhelmed’ by visitor interest in Burma ». Dans The Telegraph. En ligne. http://www.telegraph.co.uk/travel/news/Tour-firms-overwhelmed-by-visitor-interest-in-Burma/ (page consultée le 25 mai 2017).

France Diplomatie. 2017. Birmanie. En ligne. http://www.diplomatie.gouv.fr/fr/conseils-aux-voyageurs/conseils-par-pays/birmanie/ (page consultée le 24 mai 2017).

Info Birmanie. 2011. Report on Tourism in Burma. En ligne. http://www.burma.no/noop/file.php?id=4917 (page consultée le 24 mai 2017).

Info Birmanie. 2013. Rapport sur le tourisme en Birmanie. En ligne. http://www.info-birmanie.org/wp-content/uploads/2007/03/Rapport_sur_le_tourisme_en_Birmanie_2013.pdf (page consultée le 23 mai 2017).

Kerr, Michael. 2012. « Burma: how can holidaymakers visit ethically? ». Dans The Telegraph. En ligne. http://www.telegraph.co.uk/travel/advice/Burma-how-can-holidaymakers-visit-ethically/ (page consultée le 25 mai 2017).

Le Petit Journal. 2012. Birmanie : Une nouvelle destination touristique à la mode pas encore prête. En ligne. http://www.lepetitjournal.com/bangkok/birmanie-myanmar/actualite/112520-birmanie-une-nouvelle-destination-touristique-a-la-mode-pas-encore-prete (page consultée le 24 mai 2017).

Myanmar Centre For Responsible Business. 2014. Sector Level Impact. En ligne. http://www.myanmar-responsiblebusiness.org/pdf/SWIA/Tourism/05-Sector-Level-Impacts.pdf (page consultée le 24 mai 2017).

 

 

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