Le terrorisme en Birmanie

par Élizabeth Juneau-Courcy

Le terrorisme en Birmanie peut certainement avoir des similarités avec celui de la Thaïlande à première vue. En effet, les aspects ethniques et religieux sont essentiels à sa compréhension. À l’inverse de la Thaïlande, c’est toutefois la religion qui joue un rôle plus important. Il y a un conflit violent entre la majorité de la population bouddhiste et la minorité religieuse musulmane. Plus précisément, il s’agit de la minorité ethnique musulmane Rohingya (de descendance bengalie) dans l’État d’Arakan en Birmanie. Il faut préciser que le conflit n’est pas à sens unique; tant les bouddhistes que les musulmans posent des actions terroristes.

État d'Arakan (Rakhine) en rouge

État d’Arakan (Rakhine) en rouge

Le terrorisme en Birmanie est donc caractérisé par son aspect religieux et sa complexité. En effet, il ne s’agit pas vraiment d’une organisation (ou de quelques organisations) majeure qui pose des actes terroristes; les « groupes » sont nombreux et de divers milieux.

Un groupe qui semble être derrière une partie de la violence est le Mouvement 969, un mouvement nationaliste qui désire la Birmanie pour les bouddhistes (spécifiquement de la majorité ethnique bama/birmane) (1). Le moine Wirathu, considéré comme le leader spirituel de ce mouvement, a un message antimusulman très fort, comparant les musulmans à des chiens enragés, les traitant de fauteurs de troubles (2). Celui qui se surnomme lui-même le ben Laden birman dit que les musulmans cherchent à occuper « son pays », se reproduisant rapidement, volant leurs femmes et les violant et qu’il faut garder la Birmanie bouddhiste (3). Il encourage donc la violence contre le musulmans (particulièrement les Rohingyas), qu’il considère justifiée.

Le Mouvement 969 combine fanatisme religieux bouddhiste, nationalisme birman et chauvinisme ethnique (4). Cette combinaison peut sembler farfelue aux yeux des observateurs occidentaux; à première vue, le bouddhisme semble être une religion pacifiste, centrée sur la personne (et l’amélioration de soi). Toutefois, il faut comprendre que la politisation du bouddhisme en Birmanie n’est pas récente.

En effet, le début du nationalisme lors de la colonisation britannique était lié au Bouddhisme. Par exemple, le Young Men’s Buddhist Association (YMBA) s’est politisée peu après sa création en se positionnant sur la capacité des Britanniques à déterminer ce qu’est un comportement acceptable dans la société birmane (5). Le nationalisme birman s’est donc développé dès le début en ayant des liens avec la religion bouddhiste. Ne Win, militaire qui a pris le pouvoir après un coup d’État en 1962, a tenté de dépolitiser le bouddhisme, mais n’a pas tout à fait réussi; plusieurs monastères et moines ont voulu continuer de participer à la politique birmane (6).

Entre 1998 et 2013, plus de 5000 musulmans auraient été tués en lien avec la violence religieuse selon certaines sources (7). C’est sans compter tous ceux qui se trouvent maintenant dans des camps de réfugiés puisqu’ils ont fui la violence; il s’agit clairement d’un problème important. Les musulmans en Birmanie subissent discrimination, persécution, assauts paramilitaires et militaires, et expulsions; des mosquées sont détruites lors d’émeutes, à l’origine de nombreux morts (8).

Ces actions s’inscrivent donc dans un vaste courant nationaliste antimusulman. Ce sont principalement les Rohingyas qui sont victimes de violence, harcèlement et discrimination, bien que certains acteurs politiques semblent prêts à appliquer des formes de répression à tous les musulmans en Birmanie (9).

Selon Human Rights Watch, des acteurs internationaux demandent qu’une enquête soit faite sur des crimes de guerre et crimes contre l’humanité (10). Ce sont les mêmes actions qui incitent cette demande d’enquête qui causent aussi une forme de résistance de la part de la minorité rohingya. Celle-ci prend la forme de groupes insurgés plus que réellement terroristes (11).

Il y a plusieurs groupes musulmans, dont le plus important est le Rohingya Solidarity Organisation (RSO). Toutefois, aucune organisation n’a jamais posé un réel danger au gouvernement militaire birman (12). Certaines semblent avoir des liens avec des groupes terroristes à l’international, tels que Al Qaeda (par le passé) ou l’organisation indonésienne Jemaah Islamiyah, mais ces liens ne semblent pas avoir d’effet réel en Birmanie (13).

Il y a donc un questionnement à savoir quelle est l’importance réelle du terrorisme musulman en Birmanie. Certains observateurs mentionnent que le gouvernement birman ne fait pas la distinction entre les terroristes et le reste de la communauté ethnique; tous les Rohingyas (et par extension tous les musulmans) sont « salis » (14). Il n’est donc pas impossible qu’il y ait une certaine forme d’exagération de la part du gouvernement pour justifier et légitimer leurs actions vis-à-vis des Rohingyas et des autres musulmans.

Il y a donc potentiellement un cercle vicieux où cette minorité organise une résistance à la suite des discriminations et des violences du gouvernement, des bouddhistes et du reste de la population, ce qui « justifie » ensuite ces mêmes actions à leurs égards. Les conditions insupportables des Rohingyas, causées par les actes de terreurs bouddhistes et les actions du gouvernement, en poussent plusieurs à poser des actions violentes dans l’État d’Arakan.

(1) Peter A. Coclanis, p. 28
(2) Thomas Fuller
(3) Hannah Beech
(4) Peter A. Coclanis, p. 27
(5) Paul Kratoska, p. 282
(6) Yong Mun Cheong, p. 119
(7) Andrew Selth, p. 110
(8) Peter A. Coclanis, p. 32
(9) Idem
(10) Martin Smith, p. 224
(11) Andrew Selth, p. 113
(12) Idem
(13) Ibid., p. 115-116
(14) Ibid., p. 119

 

Beech, Hannah. 2013. « The Face of Buddhist Terror ». Time 182 (no 1) : 42-45. En ligne. http://web.a.ebscohost.com/ehost/detail/detail?sid=16fb4c3d-964d-442e-99ac-86a742185b05%40sessionmgr4005&vid=1&hid=4209&bdata=Jmxhbmc9ZnImc2l0ZT1laG9zdC1saXZl (page consultée le 15 juin 2016).

Cheong, Yong Mun. 1999. « The Political Structure of the Independent Sates ». The Cambridge History of Southeast Asia 4 : 59-131.

Coclanis, Peter A. 2013. « Terror in Burma: Buddhists vs. Muslims ». World Affairs 176 (no 4) : 25-33. En ligne. http://www.jstor.org/stable/pdf/43554876.pdf?_=1466650934134 (page consultée le 12 mai 2016).

Fuller, Thomas. 2013. « Extremism Rises Among Myanmar Buddhists ». The New York Times (New York) 20 juin. En ligne. http://www.nytimes.com/2013/06/21/world/asia/extremism-rises-among-myanmar-buddhists-wary-of-muslims-minority.html? r=0 (page consultée le 15 juin 2016).

Kratoska, Paul. 1999. « Nationalism and Modernist Reform ». The Cambridge History of Southeast Asia 3 : 245-314.

Selth, Andrew. 2004. « Burma’s Muslims and the War on Terror ». Studies in Conflict & Terrorism 27 (no 2) : 107-126. En ligne. http://www.tandfonline.com/doi/pdf/10.1080/10576100490275094 (page consultée le 12 mai 2016).

Smith, Martin. 2010. « Ethnic Politics in Myanmar: A Year of Tension and Anticipation ». Southeast Asian Affairs. En ligne. http://www.jstor.org/stable/pdf/41418568.pdf (page consultée le 12 mai 2016).

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