Le terrorisme à Singapour

par Élizabeth Juneau-Courcy

Singapour est une Cité-État ayant très brièvement fait partie de la Malaisie avant d’obtenir son indépendance. Il s’agit d’une des 3 Cités-États qui existent dans le monde, avec Monaco et le Vatican. Sa population de 4,2 millions d’habitants est majoritairement de descendance chinoise, et les minorités ethniques les plus importantes sont malaises et indiennes. Le bouddhisme est la religion de la majorité, alors que l’islam, le christianisme, le taoïsme, l’hindouisme se partagent le rôle de religions minoritaires (1).

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Alors que plusieurs autres pays qui disposent d’une composition ethnique et religieuse similaire sont confrontés à de grandes difficultés, au terrorisme et aux insurrections notamment (comme c’est le cas de la Thaïlande et de la Birmanie), Singapour se trouve épargné. Quels sont les facteurs qui permettent d’expliquer un tel état de fait?

L’importance de l’harmonie est un des principaux facteurs explicatif. Le gouvernement met l’emphase sur une concorde tant sociale que religieuse. Les sphères privée et publique se doivent d’être séparées, la religion n’ayant pas sa place dans les écoles notamment(2). En favorisant la paix sociale, le gouvernement de Singapour tente d’empêcher l’émergence de tensions religieuses qui pourraient aboutir à des conflits violents.

De plus, les minorités sont représentées au gouvernement. Des mesures ont été prises après que Singapour ait obtenu son indépendance vis-à-vis de la Malaisie, afin que les minorités ethniques aient un minimum de représentants au Parlement (3). Celles-ci ne sont donc pas marginalisées, comme en Birmanie par exemple, ce qui évite leur radicalisation. Intégrées à la démocratie en place, et à sa participation, elles ne se tournent pas vers des moyens violents pour atteindre leurs buts.

Le gouvernement utilise aussi une approche idéologique afin de combattre les terroristes sur le territoire singapourien. Celui-ci a mis en place le Religious Rehabilitation Group (RRG) à cette fin. Il s’agit d’expliquer les interprétations erronées de l’Islam radical à la communauté musulmane, ainsi que de les éduquer par rapport à l’extrémisme religieux (4). Il est alors plus difficile à l’idéologie extrémiste de se propager, la population étant plus critique et moins propice à se radicaliser.

Un  autre élément qui permet à Singapour de lutter contre le terrorisme est l’intervention importante du gouvernement, par la législation. Plusieurs lois ont été passées pour encourager l’harmonie religieuse : le « Maintenance of Religious Harmony Act », le « Sedition Act » et la « Declaration of Religious Harmony » (5). De plus, ces deux notions font aussi partie du cursus scolaire (6). La population est donc exposée à ces idées dès son plus jeune âge et les citoyens les internalisent, ce qui aide réellement à éviter les tensions religieuses.

Le gouvernement intervient donc de façon directe (avec la création de groupes comme le RRG, mais aussi de manière indirecte. En effet, lorsque des terroristes sont arrêtés, le gouvernement aide leur famille financièrement, psychologiquement et émotionnellement. Le but est de permettre à ces familles de se réintégrer à la société et d’éviter la radicalisation de leurs enfants (7). Le gouvernement singapourien préfère donc agir de façon plus « douce » que ses voisins; il évite ainsi l’entrée dans un cercle vicieux où des musulmans précédemment modérés sont radicalisés par la lutte contre le terrorisme.

Le gouvernement prend aussi la peine de rassurer la population qu’il ne voit pas l’idéologie de groupes terroristes tel que Jemaah Islamiyah (qui a une cellule singapourienne) comme représentatifs de l’Islam (8). Ces interventions du gouvernement permettent donc d’avoir l’appui de la minorité musulmane, qui ne se sent pas menacée par la majorité.

Singapour coopère aussi à la lutte internationale contre le terrorisme, ayant déclaré son appui aux États-Unis après les attaques du 11 septembre 2001. C’est qu’il comprend le caractère transnational du terrorisme et des réseaux d’organisations terroristes (9). La Cité-État a donc des ententes avec les pays membre de l’ASEAN pour mieux se préparer à la lutte au terrorisme.

Enfin, une Cité-État est un territoire relativement petit; il s’agit après tout d’une ville ayant sa souveraineté et étant un pays en elle-même. Il est donc fort probable qu’il soit plus facile pour Singapour de lutter contre le terrorisme que dans un territoire plus large comportant de nombreuses régions rurales. Sans compter qu’il est plus difficile pour une organisation terroriste de se décentraliser; c’est généralement ce processus qui lui permet de se développer et de se renouveler même lorsque les leaders sont arrêtés. En effet, la décentralisation passe souvent par une organisation à travers plusieurs villes dans un grand territoire, ce qui n’est évidemment pas possible à Singapour.

Les terroristes qui sont arrêtés à Singapour ne sont pas des éléments de la société qui sont marginalisés, mal éduqués, vivant dans la misère ou privés de droit de vote; ce sont plutôt des gens qui cherchent des réponses spirituelles à travers des causes radicales (10). C’est un énorme contraste avec les insurgés Rohingyas en Birmanie ou la minorité malaise en Thaïlande.

Plusieurs pays de la région de l’Asie du Sud-est pourraient certainement apprendre des méthodes utilisées par Singapour dans la lutte contre le terrorisme. Cela pourrait être une piste de départ pour les États qui ne se concentrent que sur l’aspect militaire.

(1) Charlene Tan, p.133
(2) Ibid., p. 135-136
(3) Yong Mun Cheong, p. 126
(4) Muhammad Haniff bin Hassan, p. 461
(5) Charlene Tan, p. 135
(6) Idem
(7) Muhammad Haniff bin Hassan, p. 462-463
(8) Idem
(9) Andrew Tan, p. 8
(10) Barry Desker, p. 501-502

 

Bin Hassan, Muhammad Haniff & Kenneth George Pereire. 2006. « An Ideological Response to Combatting Terrorism – The Singapore Perspective ». Small Wars & Insurgency 17 (no 4) : 458-477. En ligne. http://www.tandfonline.com/doi/pdf/10.1080/09592310601060815 (page consultée le 12 mai 2016).

Cheong, Yong Mun. 1999. « The Political Structure of the Independent Sates ». The Cambridge History of Southeast Asia 4 : 59-131.

Desker, Barry. 2003. « The Jemaah Islamiyah (JI) Phenomenon in Singapore ». Contemporary Southeast Asia 25 (no 3) : 489-507. En ligne. http://www.jstor.org/stable/pdf/25798659.pdf?_=1466680469879 (page consultée le 12 mai 2016).

Tan, Andrew. 2002. « Terrorism in Singapore: Threat and Implications ». Contemporary Security Policy 23 (no 3) : 1-18. En ligne. http://www.tandfonline.com/doi/pdf/10.1080/713999756 (page consultée le 12 mai 2016).

Tan, Charlene. 2008. « Creating “good citizens” and maintaining religious harmony in Singapore ». British Journal of Religious Education 30 (no 2) : 133-142. En ligne. http://www.tandfonline.com/doi/pdf/10.1080/01416200701830921 (page consultée le 12 mai 2016).

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