Lois anti-corruption: le cas de Singapour

Par Chloé Bérubé

Dans le palmarès des pays les moins corrompus au monde, Singapour se situe au cinquième rang selon l’organisation allemande Transparency International[i]. En Asie du Sud-Est, les résultats de Singapour demeurent un cas unique sachant que tous les autres États de la région connaissent un taux de corruption beaucoup plus élevé.

Transparency International Corruption Perception Index 2012

Rank Country

Score

Surveys

CI – Low

CI – High

5 Singapore

87

9

83

90

46 Brunei

55

3

40

70

54 Malaysia

49

9

44

55

88 Thailand

37

8

34

40

105 Philippines

34

9

30

37

113 Timor-Leste

33

3

23

42

118 Indonesia

32

9

27

37

123 Vietnam

31

8

27

35

157 Cambodia

22

7

17

27

160 Laos

21

3

19

23

172 Myanmar

15

4

9

21

La corruption n’échappe pas à Singapour

Dans la région de l’Asie du Sud-Est, le cas de Singapour au niveau de la lutte anti- corruption est unique. Cependant, à l’époque coloniale britannique, la situation était pour le moins très différente où la corruption était devenue un mode de vie. Durant cette période, il est possible de déterminer deux causes principales qui permettent d’expliquer l’émergence de ce problème durant la période coloniale. Tout d’abord, le salaire très bas des fonctionnaires, principalement des forces policières, est un des principaux facteurs favorisant la corruption[ii]. De plus, l’émergence de la corruption dans le pays s’explique principalement, à cette époque, par le fait que la corruption comportait de très faibles risques et des avantages relativement élevés. Ainsi, les fonctionnaires impliqués étaient rarement accusés et lorsque c’était le cas, la peine était généralement clémente[iii].

Bien que la corruption ait été rendu illégale à partir de 1871, aucune mesure concrète n’a été mise en place par la suite. C’est en 1937, que la première loi anti-corruption fut introduite à Singapour[iv]. Toutefois, de 1942 à 1945, le problème n’a aucunement diminué sous l’occupation japonaise alors qu’avec l’inflation rampante, il était difficile pour les fonctionnaires de vivre avec leurs faibles salaires[v]. C’est avec l’arrivée au pouvoir du Parti d’action populaire (PAP), en juin 1959, que des mesures concrètes ont été prises afin de mettre un terme au problème de corruption dans la cité-État. Aux yeux du PAP, la corruption ne permettait pas d’atteindre les objectifs de développement du pays présentés par le parti. Ainsi, leurs objectifs initiaux étaient de faire diminuer la corruption au sein de l’État et de changer la perception générale sur la corruption d’une activité à faible risque et forte récompense à une activité à haut risque et faible récompense.

Réduire la corruption

Singapour a connu un énorme développement économique et une croissance industrielle majeure qui ont permis à la cité-État de s’afficher comme l’un des quatre dragons asiatiques à partir des années 1990. Ainsi, dans les années suivant son indépendance,  la lutte contre la corruption demeurait un avantage concurrentiel important afin d’attirer les entreprises étrangères à investir dans le pays. Dans les années 1960, la cité-État était particulièrement pauvre avec un produit national brut par habitant d’à peine 443$US[vi]. Ainsi, avec ce faible taux, le PAP ne pouvait se permettre d’augmenter les salaires des fonctionnaires. Il a donc été question principalement de renforcer les lois existantes sur le sujet, de réduire les opportunités et d’augmenter les sanctions[vii]. Depuis que Singapour a accédé à son indépendance en 1959, la lutte contre la corruption a été à la tête de l’agenda du gouvernement[viii]. Parmi les autres mesures majeures, en mars 1985, l’ancien Premier ministre Lee Kuan Yew justifie l’approche de son gouvernement pour lutter contre la corruption en supprimant les incitations à travers l’amélioration des salaires des dirigeants politiques et des hauts fonctionnaires affirmant que ceux-ci doivent être payés avec des meilleurs salaires afin d’assurer un gouvernement transparent et honnête[ix].

Temple of Corruption Control

Encore aujourd’hui Singapour se base sur les mêmes quatre piliers que sous Lee Kuan Yew.  Tout d’abord, c’est la volonté politique des dirigeants qui permet d’affirmer les bases de la lutte anti-corruption dans la cité-État. En effet, le cas de Singapour est particulièrement unique à ce sujet. Peu d’État ayant connu une forte corruption ont réussi à éliminer celle-ci dans un cours intervalle de temps. Tout d’abord, le système anti-corruption se base sur des lois efficaces qui ont permis de définir clairement les infractions de corruption et leurs peines. À Singapour, la principale loi, the Prevention of Corruption Act (PCA), est révisé périodiquement afin de s’assurer qu’elle soit à jour[x]. Toutefois, avoir des lois sévères ne garantit pas leurs respects. Le deuxième pilier qui entre en jeu est donc l’application effective de ces règlements. Dans la cité-État, il sera question de consacrer en priorité son attention sur la mise en place d’une agence d’exécution efficace[xi]. À Singapour, le Corrupt Practices Investigation Bureau (CPIB) est la seule agence habilitée à enquêter sur des infractions de corruption. À ces deux piliers s’ajoutent celui d’un système judiciaire transparent, juste et équitable[xii]. Pour terminer, le dernier élément essentiel à Singapour afin de lutter efficacement contre la corruption est une bonne gouvernance et une administration efficace[xiii].

Bref, les mesures prises pour lutter contre la corruption dans la cité-État sont reconnues, encore aujourd’hui, pour leur efficacité. Avec à sa base une volonté politique venant du gouvernement de mettre un terme à ce problème, le cadre de la lutte contre la corruption se base sur quatre paliers essentiels à son succès passant par l’efficacité des lois, des agences anti-corruption, de l’administration gouvernementale et de l’arbitrage des procès[xiv]. Toutefois, ce qui demeure encore contradictoire pour certains ce sont les salaires très élevés des fonctionnaires. Sans toutefois être le seul facteur en cause, nous ne pouvons nier le lien direct, dans le cas de Singapour, entre des salaires élevés de l’administration publique et une baisse de la corruption dans l’entreprise étatique.

Références

Hin, Koh Teck. Corruption Control in Singapore. En ligne. http://www.unafei.or.jp/english/pdf/RS_No83/No83_17VE_Koh1.pdf (Page consultée le 20 septembre 2013).

Quah, Jon S. T. 1999. « Corruption in Asian Countries : Can it be minimized? ». Public Administration Review 59 (6) : 483-94.

Quah, Jon S. T. 2001. « Combating Corruption in Singapore: What can be learned? ». Journal of Contingencies and Crisis Management 9(1) : 29-35.

Transparency International. 2012. Corruption by country/territory. En ligne. http://www.transparency.org/country#SGP (Page consultée le 22 octobre 2013).


[i] Transparency International 2012

[ii] Quah 2001, 30

[iii] Quah 2001, 29

[iv] Ibid.,31

[v] Quah 1999, 490

[vi] Quah 2001, 32

[vii] Id.

[viii] Hin, 122

[ix] Quah, 2001, 33

[x] Hin, 124

[xi] Ibid., 125

[xii] Ibid.,126

[xiii] Ibid.,127

[xiv] Ibid.,123

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