La politique de neutralité de la Thaïlande jusqu’à la 2e Guerre Mondiale

Par Pierre Fiola

Être bien intentionné ne garantit pas de bons résultats.  Cette théorie s’applique aussi bien en matière de relation personnelle qu’en matière de relations internationales.  Voici comment un pays stable et relativement prospère, tentant d’agir pour le mieux, s’est retrouvé dans une situation difficile.

La Thaïlande a réussi pendant la période coloniale de l’Asie du Sud-Est à conserver à la fois son indépendance et une certaine neutralité.  Elle put ainsi conclure des ententes commerciales avec la Grande-Bretagne et la France, mais également avec le Japon et la Chine et plus tard avec les États-Unis.   On pourrait dire que le roi de Thaïlande, Rama IV, en concluant des ententes bilatérales avec presque tous ces pays, fut un précurseur du néolibéralisme en relations internationales qui prétend que la multiplication des liens commerciaux entre les États et l’interdépendance créée entre eux diminue les risques de guerre.  Le ministre des Affaires étrangères du Siam déclara même en 1937 :

« Les tendances de la politique étrangère de mon pays, guidés par la ferme volonté du gouvernement sont de maintenir sur les bases d’un égal et stable équilibre des rapports amicaux vis-à-vis des puissances avec lesquelles le Siam est en relation.  Mon gouvernement n’accorde ni n’accordera aucun traitement de faveur à un État en particulier et il ne fait ni ne fera aucune concession à une puissance quelconque au détriment d’une autre ». [1]

Cette politique de la neutralité lui permit d’éviter la colonisation, mais une fois la 2e Guerre mondiale amorcée, elle fut de plus en plus difficile à maintenir.  Comme le mentionne Kusuvarn :

« Tant que les grandes puissances sont en paix, cette politique d’équilibre a du succès.  Mais une fois que les grandes puissances s’engagent dans la guerre cette politique échoue ».[2]

Kusuvarn décrit d’ailleurs très bien les difficultés qu’a traversées la Thaïlande au long de la 2e Guerre mondiale, qui s’est retrouvée à la fois en état de guerre contre la Grande-Bretagne et les États-Unis et impliquée dans des conflits armés avec la France et le Japon.

Ayant donc involontairement froissé de nombreux pays, la Thaïlande fut contrainte, pour rétablir sa crédibilité internationale, d’entrer à l’ONU, et de conclure des accords qui n’étaient pas à son avantage.   Entre autres, l’accord signé à Singapour le 1er janvier 1946 [3] où la Thaïlande devait livrer 1 500 000 tonnes de riz gratuitement.  L’accord du 7 décembre 1946 [4] conclu, la Grande-Bretagne, l’Australie et les États-Unis pénalisaient également la Thaïlande entre autres sur la question de l’étain.  Ces accords eurent un effet négatif sur l’économie de la Thaïlande, mais surtout rendaient la vie très difficile aux paysans Thaïlandais.  Ceux-ci avaient vu leurs cultures ravagées par la 2e Guerre mondiale et l’occupation japonaise.  Alors, en plus de devoir reconstruire leurs cultures à partir de presque rien, ils devaient également vendre à perte pour honorer les ententes prises par leur pays.

On peut trouver plusieurs raisons à l’instabilité politique que vit la Thaïlande après la 2e guerre mondiale.  Mais comme le disait Diane Éthier en parlant des relations internationales néo-libérales: « …les transformations du système international ont un impact sur la dynamique interne de chaque société ». [5] Les difficultés économiques vécues par la population thaïlandaise ne peuvent qu’avoir exacerbé leur frustration face au gouvernement en place.  Cette frustration fut donc alimentée par les accords désavantageux conclus entre la Thaïlande et les grandes puissances, qui ont elles-mêmes été la conséquence de la politique de neutralité de la Thaïlande pendant la 2e guerre mondiale.

Références

[1] Institute of Pacific relations, Recent developments in Thailand, (1942), 6

[2] Kravud Kusuvarn, La deuxième guerre mondiale et l’évolution de la politique extérieure de la Thaïlande  (Université d’Aix-Marseille, 1971), 68

[3] United Kingdom of Great Britain and Northern Ireland, India and Siam. Agreement for the termination of the state of war. Signed at Singapore, on 1 january 1946. En ligne. (page consultée le 1er juin 2008).

[4] Kusurvan, 119.

[5] Diane Éthier,  Introduction aux relations internationales (Les Presses de l’Université de Montréal, 2006), 51.

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