Sortilèges

Par Andrea Moorhead

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Attentat de décembre

J’ai avalé la foudre qui t’a frappée
absorbé l’écarlate de ta mort
mon arbre de Noël tout en flammes
la crèche encore sous l’eau
le tonnerre logé dans mes oreilles saignantes
chanson de naissance chanson de merveilles
et toi, tu ne fais rien pour moi
ton squelette transparent laisse des lignes
blafardes sur mon ventre
impossible de crier
ma gorge n’a plus de force
et tu tiens à chuchoter
malgré le vacarme des flammes
et la rapidité de notre chute
imprévisiblement
froide.

 

Sacrifice

Murmure des veines détachées, murmure des vagues près des récifs, murmure des mots
clapotant dans la caverne de ma conscience… suspension et angoisse… la nuit est de
velours… aux profondeurs de la parole, la dernière explosion répercute…
Tu n’as rien apporté ce soir, tes artères pendent des pruches, offrent aux oiseaux
d’étroites balançoires, de petits ponts instables, filles du vent, fils des neiges à venir…

 

 

Sortilège

les cailloux ont des fleurs sanglantes… le tapis rose ne les cache plus… tu prends des
verres d’eau, les mets sur la table en faisant semblant que le ruisseau n’est pas loin.
murmure des pétales détachés, bourdonnement des abeilles… les scribes n’ont rien
écrit… ils ont perdu le goût de transmettre les opinions des abeilles, de guetter leur vol,
de retracer les lignes zigzaguant à travers le sol sacré.

 

Hiatus

Silence au coin de la rue, sous l’ombre des platanes aux cheveux bleu-pâle. Je perds mes
doigts lentement, les incendies s’approchent. J’ai quitté la maison hier soir, traînant avec
moi la laine des jours creux, des après-midi sans cœur. Dormir sous les cheveux bleu-pâle
d’un platane énorme… me taire sous le vent rouge qui m’habite… impossible et
souverain… flottant dans ce silence fluide et diaphane…

 

Disparaître sans point de départ

Une épinette bleue veille sur nous
nos traces s’effacent sous le remous des mots
couleur des sapins arctiques
qui hantent la rétine
dans l’impossibilité émerveillée
des désastres évités.

 

Vers l’oasis

Elle y est allée avec ses enfants
les nuages roses et gris dans son sa
au moment du départ elle a versé des gouttes amères
sur la surface limpide de son cœur.

 

Ce que les chercheurs ont découvert

À l’intérieur de son cœur ils n’ont rien trouvé
deux chambres complètement stériles
des échos d’une parole saccadée y vibraient encore,
confusion d’organe, déplacement des messages destinés au cerveau,
ils ont essayé de rétablir le courant électrique
aucune trace de sang, aucun conduit
l’espace avait l’air perforé par des cascades de météores
ayant laissé dans son cœur le parfum du nickel et du fer.

 

La voisine des rêves

Elle portait l’hiver dans les plis de sa jupe
l’été traînait derrière elle comme un arc-en-ciel
elle passait ses jours près du ruisseau
loin de la cacophonie de la ville
mettant tous vos mots dans un sac imperméable
avant de disparaître sous la fumée des rêves.

 

Trésors de la lampe

Elle a posé sa lampe au pied de l’arbre
renversant la caisse de trésors de son enfant,
ciel flamboyant de feux d’artifice
ses bras encore bleus et mauves des reflets,
les chats sauvages rôdent dans la forêt
jaunes et noirs comme dans les livres d’enfants
leurs dents brillent chaque fois
qu’elle change la position de la lampe
pour accueillir les ombres
et les flammes des jours inconnus.

 

Quel est son nom, le sais-tu ?

Naissance anonyme parmi les ombres
perte de clarté, atmosphère bleuâtre,
tu as écarté les feuilles pour mieux voir
cordon ombilical sur l’eau
des yeux de poisson curieux
tout s’attache aux fougères
la bouche le nez
les bras frêles
qui cherchent encore
la chaleur du corps abandonné.

 

Biographie

Andrea Moorhead, directrice de la revue internationale Osiris, a publié plusieurs recueils de poèmes dont Présence de la terre aux Écrits des Forges, Géocide et À l’ombre de ta voix aux Éditions du Noroît et The Carver’s Dream au Red Dragonfly Press. Elle est récipiendaire du Prix international de poésie Antonio Viccaro 2018. Étant aussi photographe amateure et naturaliste passionnée, ses photographies ont paru dans de nombreux livres à Anterem Edizioni en Italie.

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