Djitendelèle (prière du Muntu)

Par Lomomba Emongo

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1.

Seigneur igné que plus digne
plus puissant parmi les puissants
fixer ne peut
Muntu-a-Bend de Maweja Nangila me voici
ombre parmi les ombres en déroute
à la porte de la forêt sacrée me voici
simple orant à l’élan brisé
au bord de l’heure hermaphrodite oublié

Nu comme déesse lune au cœur de sa splendeur
je viens à toi
qui es plus haut que ciel d’au-delà des cieux
la bouche saoule du dit caché d’avant la parole
vide mes mains de l’antique clé de l’huis secret

À toi je viens
car j’ai vu jusqu’à satiété jusqu’à en vomir
haut la voix fier le port
nos doctes à monocle
D’or et de pourpre saupoudrés
en sacrificateurs de la déesse Sottise

Gorgés de latin, de grec imbus
ils étaient
et pieux et saints sur l’écorce sans plus
Ne les voilà-t-il pas porteurs à l’autel cannibale
de l’offrande sanglante
de la mémoire sacrée de nos morts immortels !

 

2.

À toi je viens
Maweja Nangila
qui es plus pur que l’étoile avant-courrière de crépuscule
Sur mes lèvres gercées par ce temps aride
verse le Verbe géniteur du premier de nos pères
Et me donne d’encore réciter le dit d’origine :
« L’orage aux longues dents de feu gronde
La pluie d’orient sur nos toits déjà
Dans nos cœurs, la peur de la terre bue par les eaux »

De cet âge sans issue, sauve-nous
Maweja Nangila
Des nés d’impures amours de l’hydre et des basses ténèbres
sauve l’enfant du Congo meurtri
lui qui point n’a bâti sa case la bouche au couchant tournée
Des assermentés des libations incestueuses
me sauve
Muntu-a-Bend de Mvidi Mukulu !

Que devant ta face
s’efface la face hideuse de nos princes de la honte
le papillon au cou quand ce n’est la queue de pie
tous des vampires de nos veillées sans pain
la lame amère des tueurs d’enfants
sur les rives en lambeaux de nos matins sans espoir

 

3.

Novice j’étais, t’en souvient-il ?
dans les méandres de la voie initiatique
quand tu m’appris avant terme
les sept vertus de Kasongo
les neuf noms de Nkongolo-Lukanda-Mvula-wa-Mudimbi

Trois et cinq fois
ma langue tu humectas de ta salive
Et mes lèvres osèrent dire le nom de l’Innommable
Tu ouvris mes pupilles –
t’en souviens-tu Seigneur ? –
au séjour de la nuit des seuls élus habité
dans le monde outre-le-monde-profane

Nous étions alors
l’aurore à peine à l’horizon
nos pieds jusqu’à la cheville
dans l’écume de la mythique Munkamba
et en paix nos virunga(1) du commencement du monde

4.

Entends le coq au bord du réveil
à l’embouchure du jour dans la nuit
quand homme mue l’enfant
quand l’initié renaît divinité

Debout au seuil du lever
devant la cime mûre de la saison Ténèbres
vois, moi
Muntu-a-Bend de Maweja Nangila
la peine sans nom du Kivu dépecé
plein les mains

Sur mes lèvres pourtant
un unique regret :
N’avoir pas été du silence primordial
au temps du Soleil-aîné de bien avant le soleil !
De l’immense néant n’avoir pas su être
au temps d’avant le temps d’avant le commencement !
Et perdu le fil des choses d’au-delà des choses

 

5.

Maweja Nangila plus vaste que les cieux réunis
Mukalenga-Bien-Aimé
que ceux de l’ombre nomment Kabeya Nkongolo
Entends la voix de la prière sur mes lèvres
avant que le tonnerre sur nos têtes avant
que la foudre dans l’enclos

C’est toi-même
qui me pris la main dans ta main jadis
Mon pas sur la trace subtile du tien nous allâmes
Jusqu’à Lubilanji nous marchâmes
de l’autre côté du matin où tu bâtis
dans le sein des nues dans le ventre des vents
avec l’argile dans la lumière d’En-Haut puisée
la lignée sublime des enfants du Congo
Jusqu’à Djulu-dja-katongobela
là où l’ombre des palmiers interdits est don
à qui cherche un gîte
parmi les mikishi (2) précurseurs d’aujourd’hui

Et mes yeux virent
le lieudit des origines l’outre-lisière du secret

Elle était là
tranquille majestueuse de mystère drapée
la génitrice essentielle le ventre tatoué
Sang’a Lubangu
la sainte vierge-mère de Bend de Mvidi Mukulu

 

6.

Ô toi Kabeya Nkongolo
mort qui tuas la mort
saint ami de mon fils fiancé divin de ma fille
reçois l’humble offrande
de moi
Muntu-a-Bend de Maweja Nangila
rien que mon cantique avec Kabanga avec Mbuyi :

« Kamulangu wa Kabeya Nkongolo : kamulangu ! »(3)

Car j’ai vu ce jour la source intime du Congo
Et bu aux mamelles vives de Sang’a Lubangu
la sainte vierge-mère le Mwanz’a Nkongolo
J’ai vu sur l’autre rive de cet an
la Lumière-aînée du Premier, père-de-nos-pères
sur le Congo mien à grands flots

Toi,
reviens immortel Kabeya Nkongolo :
la femme en larmes déjà sous l’orage proche
Reviens Bien-Aimé-Mukalenga :
la pluie sur nos têtes la peur dans nos âmes
Reviens, mort-vivant Mwanz’a Nkongolo :
le tonnerre au bout du village la foudre à l’horizon

Moi
Muntu-a-Bend de Mulopo Maweja Nangila
à genoux t’implore
à l’entrée trouble de la case aux mystères

(écrit à Eppelheim, Allemagne, en décembre 1995 ; redit à Brossard, Québec, Canada, en août 2019)

 

Biographie

Lomomba Emongo, écrivain publié aux éditions Mémoire d’encrier et professeur de philosophie au Cégep Ahuntsic, chargé de cours en théologie à l’Université de Montréal, auteur et cofondateur du Laboratoire de recherche en relations interculturelles. Depuis 1996, il vit en exil de son pays d’origine, le Congo. Le Québec est sa terre d’accueil.

Notes                                                                                                                                  

[1] virunga : volcan, montagne de feu
[2] mikishi (pluriel de mukishi) : esprits (de morts) bienveillants
[3] Kamulangu … : mots d’une chanson populaire chez les Baluba

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