Par Stéphane Despatie
Il y avait cette poignée de terre
coulant dans mes veines
fuyant de petites thromboses
et paralysant la moitié de ma bouche
déposé sur le quai ce morceau de panache
vestige d’une époque
où j’accrochais aux bois des médailles de bronze
qui me sert aujourd’hui de rame et de pelle
l’écho des rêves sur le lac Moore
crie aux chevreuils
l’importance de se méfier
des changements brusques de l’homme
ça machine ça tangue ça frappe
sur le roc des falaises
celles de la route vers le vrai nord
des graffitis jusqu’ici ramènent une autre lecture
des Jean love Madeleine des IM 2013 et des numéros
ceux d’émondeurs de couvreurs de casseurs de pierre
sauvages comme le temps
ils côtoient de petites croix avec des dates
dispersées comme la mémoire
au milieu des Salomé suce et des je t’aime Marie
des Shred4Hugo et des signes cabalistiques
des gens sont morts ici et des bêtes
vu hier un chat ce qu’il en restait
peint rose fluo par la voirie qui le ramassera plus tard
pris par la queue ce matin un écureuil noir
broyant l’avenir jusqu’au compost
entendu dans le firmament une menace d’hydravion
contre le miroir d’un lac et le soleil qui s’y perd
on ne sera donc jamais en paix
même enroulé de tourbe
toucher demain le fond
nager entre deux eaux en oubliant
avoir vu des hommes nous quitter ici
où autrefois il y avait des rails
et là où le chemin Duplessis se sauve
on oublie les parfums de misère
l’usine de la Standard Chemical
devenue humus devenue trouble
une cicatrice repose sur la pyrolyse du hêtre
acétate de chaux alcool d’érable brut
la matière ligneuse se fait charbon
et toi tu pars dans les vapes
imagine des balles des explosions
scieurs de bois et porteurs d’eau
traversant les odeurs suffocantes
les traces de goudron de cordite
tu choisis une souche aux racines sans fin
Six cordes de bois franc séchées à tes côtés
tu attends l’original un éclat de vie
une preuve de beauté un baume sur les éraflures
quelque chose de majestueux
tu observes le fossé
y vois la possibilité d’une île
un lieu de rencontre entre nos états-limites
ton héron et le mien regardent vers nulle-part
ils prendront le nord jusqu’à la déchirure
ça crée la plus belle mélodie qui soit
ça dessine la cartographie des émeutes
celles valsant au rythme des neurones qui éclatent
mais c’est doux comme un paradoxe blanc
je me souviens avoir perçu
dans l’œil noir de ma mère un reflet
l’horizon comme l’assise d’un cadre
où se posent doucement des taches de lucidité
où se prennent délicatement par la main
des parcelles de mémoire fragiles
nous marchons dans la vase
mais le tableau est clair
l’amour est partout
et ça sent la flanelle propre
dans la tête un torrent
au corps un escalier
nous jouons paranoïaques au piano à queue
un train fou fonçant dans l’obscurité
accords dissonants
n’y a plus de rails que du perpendiculaire
des vibrations hantées et la lumière
entre les jalousies signe
en lettres d’or les dominos qui tombent
du bout des lèvres tu
me demandes where are you Syd
tu ne sais plus mon nom
ni la langue qui t’écrit
if it’s in you
tu me prends pour mon frère
à la fenêtre qui te séduit
t’appelle te prendra
t’éclatera d’une seule lueur
tremblants on murmure
à l’entrée du terrier des mots
regroupés en nœuds
un Précis de décomposition
un souffle différent une répétition
un grand orchestre est bien meilleur que toi
disais-tu le visage écrasé comme Francis Bacon
dans la vitre sale du mouroir qui servait d’hôpital
où je jouais Que calor la vida sur une corde seule
je ne cherchais plus à chanter
voulais assommer le tableau
retrouver le nord et ce qu’il reste de glaise
aux terrains escarpés où tu caches tes idées
hush now don’t you cry tu dis
soutenant le silence la balance du vent
et ce qu’il y a de juste entre
la langue de départ celle d’arrivée
your mind tricked you to feel the pain
m’entends-tu courir dans tes mots
je t’appelle debout sur la frontière
l’esprit cherche l’équilibre
la villa de branches qui t’accueillera
ta réserve ta rivière ton écorce
le délire qui sourd aux portes du sanctuaire
tremblant je plonge
les mains au corps de la forêt
empoigne le cœur
mes doigts forment une grotte une chapelle
entre l’index et le pouce une ouverture
y chuchoter n’importe quoi de doux
quelque chose que tu comprendras
Biographie
Stéphane Despatie participe activement à la vie littéraire et culturelle depuis le début des années 1990, d’abord en tant qu’éditeur de la revue Entracte consacrée aux arts de la scène et au spectacle. Puis, il est successivement chroniqueur littéraire et théâtral, directeur d’une collection de poésie, directeur général d’une maison d’édition, directeur administratif d’un festival multidisciplinaire, directeur général de l’orchestre Arion et directeur général de La Girafe en feu, compagnie dédiée au travail de Salvador Dalí. Cofondateur du Marché de la poésie de Montréal, il dirige la revue Exit.
Son œuvre comprend plusieurs recueils dont Engoulevents (Écrits des Forges, 2000), Ceux-là (Écrits des Forges, 2008), Mauve chaconne (Écrits des Forges, 2012), et un récit, Réservé aux chiens (XYZ, 2002). En 2021, paraîtra Paroles biologiques aux Écrits des Forges.