Nocturne et autres poèmes

Par Andrea Moorhead

avec des photo-paysages de l’auteure

 

Nocturne

C’est beau de se promener
quand les blessures saignent
et la marée monte lourdement,
pieds sur le sable, bras écartés
pour empêcher la chute inévitable
par une nuit d’orage
si loin de la ville
quand le corps anticipe le départ
le silence l’oubli
ou un alphabet réinventé
dont les autres ne sauront rien.

 

Connaissance

Friable comme tous les jours
laissés dans la pénombre des déclarations
d’amour et de solitude
de répit et de défaite,
aujourd’hui traverse les braises
se coince dans les replis de l’entente
imaginée de loin,
l’impossible accord des générations
qui s’aiment jusqu’à la saturation de la mémoire
à l’impatience de la compréhension,
une langue de feu lèche la nuit
réduit tout ce qui est vert
cousu au cœur du silence.

 

Sans ombres

 

Falaise

 

Rétroviseur

Quelle est cette douceur
anticipée dès le commencement
de cette existence de feuille et de pierre,
grammaire soulignée par le volcan et
le feu cachés dans les pétales de mémoire
dans les hautes falaises de la conscience
chute noire de velours et de soie,
les bras entourent l’absence
la blancheur du rêve et
les cristaux incendiaires
des mots perdus.

 

Paysage caché

 

Miracles

Jamais autant de froidure, de mouvement
les vagues de toutes les directions,
autour de la tête des signes arabesques
et le son des voyelles submergées,
le fond de l’océan est habité,
des teintes métalliques
des ondulations végétales
cachent une table de corail
où s’élongent les scribes sans squelette
se concentrant sur la disposition des marques
et les résonances hors de leur contrôle.

 

Cri planétaire

Je perds ma beauté, mes yeux, mes cheveux, ma bouche
mes feux mes neiges mes tempêtes mes avalanches mes inondations —
toute la splendeur de mes forêts, mes savanes, mes déserts, mes îles —
tu ne me regardes plus
même quand je crie qu’il faut m’aimer
qu’il faut marcher doucement sur mes os,
je ne suis pas morte, je gèle, j’inonde, je brûle
je féconde, je caresse —
je n’arrive jamais à te toucher
ni à te persuader de m’accompagner,
je saigne, je tremble, je n’explose pas
mes veines sont toutes blanches
mon ventre vide exposé au ciel,
il fait froid dans tes yeux, froid dans tes mains
la nuit est longue je ferai un feu éblouissant
aux limites de ta vie
si tu m’accompagnes encore une fois
avant que la mort nous saisisse
dans l’oubli de nos liens sacrés.

 

La mer la nuit

Nuit de béton de silence de verre brisé
la mer roule dans mon sang
je m’écoute sans comprendre,
des veines de mercure et de vitriol
traversent ma mémoire
pistes néfastes sans issue,
il y a des labyrinthes dans tes yeux
des lacunes entre chacun de tes mots
nous avons signé un contrat de passage
les eaux me remplissent les poumons
toutes mes nuits sont glauques et ternes
le bateau continue les îles disparaissent
nous sommes en pleine mer
protégés par les oiseaux blancs
envoyés par des prêtresses fantômes. 

 

Sauvetage

C’est mon âme qui est coincée
entre la pluie et la pierre
le corps sait flotter
le corps connaît le chemin
il est tout doré
il brûle de curiosité et d’angoisse
personne n’a parlé d’oxygène
personne n’a parlé de cet état mauve
entre le crépuscule et l’éblouissement
mes yeux ne sont pas encore fermés
je respire à peine
comment entourer mon âme
du feu solaire
des rayons bleu délicat des étoiles lointaines ?
tout me manquera
la parole la mémoire la certitude
de me retrouver aux pieds du Bouddha. 

 

Eaton Canyon

Le vent n’apporte rien
la fumée colle aux narines
empêche l’air de circuler librement,
les mains tiennent aux rochers
cherchent l’humidité
la sueur de la pierre
le lit des ruisseaux torrides,
tout est en flammes
dès le matin,
une atmosphère d’acier
s’étend sur tout,
l’un après l’autre
les arbres partent
suivis des oiseaux affamés.

 

Absence

                                                 à ma mère

Sous les veines de la nuit
on a découvert des cordes
murmurant dans les espaces vides,
j’ai pensé distinguer ta voix
parmi les arpèges sourds,
mais la nuit a mille formes
et ses veines n’ont ni cœur ni corps,
tout revient sans fin
sur les courants du rêve.

 

Ruisseau-énigme

 

À Canoe Creek

 

Cahiers oubliés

Restent les dessins en encre bleue
sur les feuilles raides du ciel
les lignes se croisent avec agilité
s’arrêtant ici et là
pour provoquer la fuite
stimuler la chute des feuilles dorées
que chaque enfant aurait imaginées
dans une mer turquoise
où vivent les poissons tigrés
porteurs de bonne chance
et longue vie.

 

Cœur atlantique

 

Biographie

Andrea Moorhead est directrice de la revue internationale Osiris. Elle a publié plusieurs recueils de poèmes dont Présence de la terre aux Écrits des Forges, De loin, Géocide et À l’ombre de ta voix aux Éditions du Noroît et The Carver’s Dream au Red Dragonfly Press. Sa traduction de Marie-Christine Masset, The Red Bird, vient de paraître aux Oxybia Éditions. Photographe amateure et naturaliste passionnée, ses photographies ont paru dans de nombreux livres chez Anterem Edizioni en Italie. Elle est lauréate du Prix international de poésie Antonio Viccaro 2018.

 

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