Par Régis Coursin et Nadine Jammal
« Il y a beaucoup d’intellectuels qui mettent en question le monde ; il y a très peu d’intellectuels qui mettent en question le monde intellectuel. » (Bourdieu 2004 : 37).
Philosophe profondément attachée à la liberté de pensée, Hannah Arendt est également l’une des auteures contemporaines à avoir le plus réfléchi à la « crise » de la culture. Cette « crise » nous oblige, selon elle, à distinguer l’actualité de l’évènement. La première s’inscrit dans une historicité continue et causale. Le passé est relié avec le présent, le présent avec son passé. Rien ne bouge. La temporalité s’écoule, une étape à la fois. Le second marque au contraire une rupture : il révèle une irrégularité exemplaire et donne donc à penser la nouveauté qu’il a en germe.
Si l’on jette un regard attentif sur l’actualité de 2020, l’université est abordée sous les angles habituels de l’équité ou de la privatisation. Puis vint la COVID-19. Il est désormais question de la fermeture de ses portes, de l’annulation des cours et de la reconnaissance des crédits, des pertes financières, des réticences face à l’enseignement à distance, de la possibilité d’une formule hybride, de la santé mentale des étudiants.es, chargés de cours et professeurs.es, puis de la fin des illusions avec l’arrivée de la deuxième vague, qui contraint une nouvelle fois les universités à fermer physiquement leurs portes. Elles sont appelées, si ce n’est exhortées, par le ministre Roberge, à s’adapter rapidement à cette conjoncture inédite.
Fin octobre, l’Université est de nouveau au centre du débat public autour de la « polémique sur le mot en N**** ». Après Concordia, c’est au tour de l’Université d’Ottawa d’en être le théâtre. La réaction de l’opinion publique est à la mesure de la réplique étudiante et institutionnelle : brutale, lapidaire et polarisante. Pourtant, la question de la liberté d’expression à l’université n’est pas nouvelle. Elle suit d’ailleurs l’esprit du temps et s’inscrit dans une ligne temporelle qui a sa propre logique : retrait de pièces de théâtre, déboulement de statues, mise à pied de professeures… Pourquoi donc alors avons-nous le sentiment qu’il y a, dans cette polémique, quelque chose d’important en jeu, une agonistique, pour parler comme Bourdieu ?
En un an, l’Université semble être passée d’une crise à une autre ; d’une crise sanitaire, envers laquelle elle n’a aucune prise, à une crise académique, qui réintroduit en son sein la question de la normativité, c’est-à-dire de ce qui doit être et ne pas être. Or, si la crise sanitaire est inévitable, étant donné la situation actuelle de pandémie, la crise académique est, pour sa part, pour le moins surprenante, du moins dans le contexte où elle s’est produite récemment. En effet, l’Université est ou devrait être, après tout, un espace de discussion qui n’exclut aucun sujet d’office et où tous les débats devraient être libres et exempts de préjugés. De plus, dans l’enceinte universitaire, la discussion est censée se baser sur la méthode scientifique, méthode qui a fait ses preuves : observer la réalité, y extraire des faits, puis les analyser et les interpréter sans biais, ou, du moins, de la manière la plus neutre possible. Donc, comment interpréter les faits sans préjugés, comment prendre du recul face à nos propres a priori et appliquer la méthode scientifique dans un tel contexte de polarisation des débats ? Et, question importante s’il en est une, comment préserver cet espace de discussion qu’est l’université et empêcher que les débats ne tournent à vide, si chaque personne se fige sur ses positions et si, au lieu d’écouter le point de vue de l’autre, on n’écoute que les positions de son propre camp ?
Si la crise nous oblige à revenir aux questions elles-mêmes, à les reposer en des termes nouveaux parce que les idées et les réponses que nous en avions ne conviennent plus, alors nous pouvons dire, sans grand risque de nous tromper, que l’Université est doublement en crise, sur le plan institutionnel et intellectuel. En ce sens, les débats que nous vivons présentement ne sont pas nouveaux, pas plus, d’ailleurs, que le cul-de-sac auquel ils pourraient mener si nous ne changeons pas notre façon de fonctionner. Toutefois, ces débats, s’ils étaient posés autrement et si nous prenions la peine de pousser plus loin certains de nos questionnements, nous obligeraient à réfléchir, à nous réinventer et à tirer le meilleur parti possible de la situation actuelle. À travers ce numéro, nous tâcherons d’apporter des éclaircissements aux questions suivantes : pourquoi l’Université actuelle sort-elle de ses gonds ? Que s’est-il passé pour en arriver là ? Comment pouvons-nous, à la fois, rester rigoureux sur le plan scientifique et maintenir des débats ouverts et stimulants en période de crise sanitaire et institutionnelle ?
En 1987, la revue Possibles a abordé la « question universitaire » de façon volontairement interpellative : « Quelle université ? », autrement dit : « Quelle université voulons-nous ? ». Chose intéressante pour les contemporains que nous sommes, l’éditeur, Marcel Fournier, parle d’une « crise » de l’institution. Bien loin de sa vocation originelle, cette institution serait désormais dirigée par une bureaucratie qui en appelle uniquement aux critères de rentabilité et de productivité. Dans le même numéro, Guy Bourgeault brosse un portrait qui nous est étrangement familier : sous-traitance et accessibilité de l’enseignement, exigence et quantification de la rentabilité et de l’excellence, concurrence dans l’attraction de la clientèle et des subventions universitaires, prééminence et autorité non questionnée des critères d’évaluation et de performance, transformation des professeurs en « bêtes d’université »…
En 1995, Michel Freitag emboîte le pas en publiant Le naufrage de l’université. Il y montre comment l’institution rentre dans la logique de régulation technocratique et comment ce rapport nouvellement instrumental contraste avec sa vocation normative originelle (Freitag 1995). Toujours dans une perspective postmoderne, Bill Reading publie deux ans plus tard son livre The University in ruins (traduit en 2013 aux éditions Lux). Il y développe l’idée d’une Université ayant failli dans la poursuite de son projet humaniste. Elle est selon lui traversée par une crise de légitimité à la fois interne (autour de la nature du savoir produit dans les humanités et de la prolétarisation du corps enseignant notamment) et externe (de la part de certains médias populaires dénonçant une université coupée des réalités).
Le constat actuel de cette perte d’autonomie, et avec elle, de la décadence de l’université en général, a été récemment relayé par Christopher Newfield (2016). Ce dernier parle de « cycle dévolutionnaire ». Ces manifestations nous sont connues : coupures budgétaires, gonflement des dettes, poids grandissant des entreprises privées, augmentation des frais de scolarité, sous-traitement de l’enseignement… Ce tableau peint depuis maintenant près de trente-cinq ans est celui de l’Université-entreprise (Bessner 2020). C’est celui que dresse dans ce dossier Jean-Claude Roc. Il l’aborde par le prisme des rapports de travail de l’administration universitaire avec les chargées et chargés de cours et des stratégies mises en œuvre pour attirer la clientèle universitaire. Bien qu’étant à l’origine aux antipodes l’une de l’autre, universités et entreprises se rejoignent dans les rapports d’exploitation et de concurrence.
Nombreux au Québec sont ceux et celles qui ont dénoncé ses dérives et ses abus. Mentionnons entre autres le livre de Marie-Ève Maillé, publié en 2018. Jeune chercheuse à l’Université du Québec à Montréal, elle a personnellement subi les tentatives d’une entreprise privée de s’approprier ses données de recherche au moyen d’un recours judiciaire. Le plus déroutant dans cette affaire est de voir l’indifférence de son milieu universitaire et de sa bureaucratie trop soucieuse de préserver son image et trop frileuse de prendre la défense d’un membre de sa communauté, aussi injuste soit l’attaque.
Dans un style plus polémique, pensons aux Carnets jaunes de Valérien Francœur écrits par André C. Drainville, alors professeur de science politique à l’Université Laval. Ce roman est un réquisitoire au vitriol contre la révolution néo-libérale qui s’est imposée sournoisement dans la vie universitaire, ne provoquant ni questionnements, ni résistances autres que sous la forme de frustrations et de détresses individuelles. Quant aux essais, on notera le livre de la professeure de l’Université d’Ottawa Aline Giroux, Le Pacte faustien de l’université en 2006 et celui de Normand Baillargeon, Je ne suis pas une PME, sorti en 2011. Ce dernier, alors professeur à la faculté d’éducation de l’Université du Québec à Montréal (il démissionne de son poste en 2015), dénonce à son tour l’esprit de soumission et le mépris du savoir qui règne en maître dans l’institution universitaire, en pointant du doigt les « ennemis intérieurs » qui ont trahi l’institution en acceptant benoîtement ce nouveau paradigme.
Maillé, Drainville, Giroux et Baillargeon sont les relais au Québec d’une question universitaire présente à l’échelle mondiale. Elle s’est fait connaître au Canada à travers les réflexions de Jamie Brownlee (2015), aux États-Unis de Sheila Slaughter, de Gary Rhoades (2004) et de Noam Chomsky (2011), au Chili de José Joaquín Brunner (2005), en France de Derrida (2001), Jean-Hervé Lorenzi et Jean-Jacques Payan (2003), en Angleterre de Stefan Collini (2017) et aux Pays-Bas de Willem Halffman et Hans Radder. Ces derniers ont d’ailleurs publié en 2015 un « Manifeste académique » qui a fait grand bruit. Il a été téléchargé près de 30 000 fois à ce jour, chose assez rare dans le milieu universitaire pour le souligner. De nombreux scientifiques lui ont d’ailleurs emboîté le pas1, comme ce fut le cas de Michel Lacroix, professeur de littérature à l’UQAM, auteur d’une réponse et traducteur du « Manifeste2 ». Tous sont animés par le même esprit et la même urgence : bâtir une université créatrice d’un savoir socialement engagé et partagé, visant le bien commun, formant des citoyens.nes éclairés.ées et aiguisant les étudiants.es à l’esprit critique.
Bon nombre de ceux et celles qui ont pris publiquement la parole pour dénoncer les dérives de l’université-entreprise proposent des pistes de solution. Toutes promeuvent, à leur manière, le renouveau de l’université publique. Pierre Bourdieu est convaincu qu’il ne peut y avoir de « véritable Université » sans autonomie réelle, à la fois financière et directionnelle (1985). Normand Baillargeon, à la suite de Chomsky et de Derrida, défend un retour aux Humanités. Maggie Berg et Barbara K. Seeber donnent la part belle au mouvement slow. Elles veulent ainsi s’inscrire à contre-courant de la logique productive et quantitative, jugée responsable de l’augmentation de la cadence de travail, du surmenage et des symptômes dépressifs chez les enseignants.es et les étudiants.es. Il n’y a qu’à penser au récent rapport sur la santé psychologique étudiante publié le 19 novembre 2019 par l’Union étudiante du Québec pour se convaincre que cette logique a chez nous des conséquences bien réelles3.
Dans le présent numéro sur l’université, nous pouvons retrouver des critiques semblables à celles formulées par les années passées. Ainsi, prenant le relais de Michel Freitag et de son ouvrage sur le naufrage de l’université, Lyse Roy nous montrera, dans son article sur l’université médiévale, que cette double tension n’est pas inhérente à l’université contemporaine. Elle a toujours été en interaction avec les lieux de pouvoir, l’État et l’Église en l’occurrence. C’est sur la base de cette configuration dynamique et instable qu’elle a d’ailleurs gagné sa propre autonomie.
Pour Marie-Christine Williams, étudiante à la maîtrise en travail social à l’Université du Québec en Outaouais, c’est en prenant en compte et en luttant contre les barrières structurelles opérantes à l’université qu’il sera possible de les remettre en question dans l’ensemble de la société. S’appuyant sur la théorie des points de vue, elle avance dans son texte que l’université devrait laisser plus de place aux savoirs expérientiels des personnes non binaires et transsexuelles pour mettre de l’avant une vision du monde qui tiendrait compte de la diversité des genres et des sexualités.
Même perspective défendue dans ce numéro par Olivier Bégin-Caouette, Silvia Nakano Koga et Laurence Pelletier. En prenant l’université à la lumière de l’ère post-vérité, ils nous expliquent comment elle sera en mesure d’affronter ce nouveau défi en plaçant l’équité, la diversité et l’inclusion au centre de ses préoccupations. L’université de demain ne pourra regagner sa crédibilité qu’en favorisant le dialogue et la complémentarité des savoirs. C’est également la thèse défendue par André Thibaut. À partir de sa quarantaine d’années d’expérience dans ce milieu, il veut rappeler que l’université se définit comme un lieu de rencontre et de débats. Il questionne aussi la tendance actuelle à vouloir transmettre le savoir sous forme de certitudes établies une fois pour toutes plutôt que de l’envisager comme étant le résultat de questionnements multiples, de réflexions ouvertes et d’échanges interdisciplinaires.
Marcus Ford relaye à son tour cet argument en développant dans son article l’idée qu’il s’agit là de la faute majeure, et originelle, de l’université moderne. En se faisant le relais du « matérialisme scientifique » réifiant et de « l’économisme » utilitaire, elle a non seulement alimenté une réflexion partiale et partielle sur le monde, mais elle est également devenue la complice de l’injustice sociale et de la crise climatique en évacuant le sens moral de son giron. C’est la raison pour laquelle Ford propose de reconstruire l’université sur la base d’une vision « constructive-postmoderne » centrée sur le vivant, tant sur le plan humain qu’environnemental.
C’est dans cette veine que se situent également les réflexions de Jean-Marc Fontan. Il explique comment l’institution universitaire est née de la convergence entre un ordre ancien et nouveau qui lui a permis de répondre à un triple besoin (formation, études, corporation). Il nous invite à la repenser à la lumière de l’enjeu écologique actuel qui représente le principal défi du XXIe siècle. Il nous convie à la réinventer dans le respect de l’environnement et des autres espèces animales et végétales avec lesquelles nous devons cohabiter. L’université devra, selon lui, jouer un rôle moteur dans le virage écologique à venir et anticiper sa nécessaire implication dans le champ éthique, esthétique et politique pour pouvoir être en mesure de contribuer à changer la donne civilisationnelle.
En dehors de l’enceinte institutionnelle et dès la fin du XIXe siècle, se développent en France les Universités Populaires (UP). Influencées par la pédagogie libertaire, celles-ci veulent dispenser une éducation au service du peuple, par le peuple et pour le peuple comme le souligne Hugues Lenoir dans son texte consacré aux UP. Organisées sur le principe d’autogestion, elles refusent l’idée conventionnelle d’une hiérarchie entre maître et élève et entendent lier intimement l’éducation libre et accessible avec la critique et la transformation sociale.
La critique de l’université prend une autre dimension avec le mouvement étudiant de Mai 68. Il est au cœur du mouvement social le plus important de la France du XXe siècle de par la radicalité de sa critique, l’intensité de sa contestation, l’ampleur de sa mobilisation et de ses répercussions sociales, internationales et historiques. Le mouvement étudiant prend racine dans les grèves étudiantes et dans leurs revendications qui procèdent à une attaque en règle et conjuguée contre la vieille Université, la marchandisation du savoir, la répression policière et l’iniquité structurelle du système social. Elle trouve certainement son expression la plus radicale à travers le mouvement situationniste. Ses attaques anticipées (le premier éclat date de 1966) ont fait de ce courant une avant-garde dans la lutte générale contre les institutions et les discours établis :
« L’Université a pu se prendre pour une puissance autonome à l’époque du capitalisme de libre-échange et de son État libéral, qui lui laissait une certaine liberté marginale. Elle dépendait, en fait, étroitement des besoins de ce type de société : donner à la minorité privilégiée, qui faisait des études, la culture générale adéquate, avant qu’elle ne rejoigne les rangs de la classe dirigeante dont elle était à peine sortie. D’où le ridicule de ces professeurs nostalgiques, aigris d’avoir perdus leur ancienne fonction de chiens de garde des futurs maîtres pour celle, beaucoup moins nobles, de chiens de berger conduisant, suivant les besoins planifiés du système économique, les fournées de ‘cols blancs’ vers leurs usines et bureaux respectifs. Ce sont eux qui opposent leurs archaïsmes à la technocratisation de l’université, et continuent imperturbablement à débiter les bribes d’une culture dite générale à de futurs spécialistes qui ne sauront qu’en faire.
Plus sérieux, et donc plus dangereux, sont les modernistes de la gauche […], qui revendiquent une ‘réforme de structure de l’Université’, une ‘réinsertion de l’Université dans la vie sociale et économique’, c’est-à-dire son adaptation aux besoins du capitalisme moderne. De dispensatrices de la ‘culture générale’ à l’usage des classes dirigeantes, les diverses facultés et écoles, encore parées de prestiges anachroniques, sont transformées en usines d’élevage hâtif de petits cadres et de cadres moyens. » (Khayati 1995 [1966] : 14)
Dans le sillage de la Révolution tranquille, le Québec a aussi eu son Mai 68 : à cette époque, près de 10 000 étudiants.es se sont mobilisés.es pour défendre la création d’une deuxième université francophone, mobilisation qui a débouché, en avril 1969, sur la création de l’UQAM. Le Québec n’a dès lors cessé d’être parcouru par des frissons étudiants : 1974, 1983, 1988, 1990, 2005 (Lacoursière 2007), et bien sûr, 2012…
Le présent numéro sur l’université de la revue Possibles est donc à la fois une entrée en matière et un relais des questionnements sur, dans et autour de l’université. L’ensemble des textes ici compilés montre comment la question universitaire implique, en dernière instance, la question sociétale.
Ce numéro se concentre sur une certaine idée de l’Université en Occident – à proprement parler « moderne », bien que cette idée ne se réduise pas, ou plus, à cet espace, du fait de l’importation de son modèle à travers la colonisation, puis la mondialisation. Conscient de ses limites, ce numéro aurait voulu aborder certaines questions plus en profondeur, et se pencher, entre autres, sur le coût des études et l’endettement des étudiants.es, leur situation précaire, la dégradation des conditions de travail du personnel administratif, les limites de la formation pédagogique des enseignants.es, le dogmatisme et le clientélisme universitaire, la course à l’excellence, les influences du mécénat privé, l’inaction des universités envers les grandes maisons d’éditions scientifiques et leur marge de profit mirobolant, les conséquences des mesures sanitaires prises contre la COVID-19 sur la qualité de l’enseignement et de l’apprentissage, la polémique sur le mot en N****…
Ce numéro aurait également voulu poser des jalons à la question de la santé mentale au sein de la communauté université. Il aurait voulu apporter des éléments de réponse à la question « à qui profite l’université ? » ; savoir si elle est l’espace de la critique sociale et non seulement celui du savoir critique, celui de la liberté d’expression, ou encore s’il est possible de créer une université en dehors des critères du marché dans une société néo-libérale ? Nous aurions aimé formuler des propositions, peut-être un programme, pour répondre à la question « Que faire ? », et non seulement « Comment, en quoi et pourquoi ? ». À ce titre, ce numéro n’est qu’une ébauche et son ambition, si modeste soit-elle, est plutôt d’amorcer une remise en question de l’université et de son modèle, tout en dépassant le champ de la rhétorique et en dessinant des avenues de réflexion.
La crise s’exprime à la hauteur des questionnements qu’elle suscite. Les atténuer serait limiter artificiellement l’ampleur de la crise et refuser d’apporter de nouvelles réponses aux problèmes profonds qui traversent notre temps. Pour reprendre les mots de Arendt, la crise « fait tomber les masques » (Arendt 1972, 224). Ce numéro veut donc contribuer à mettre ces masques en lumière et éviter à tout prix que la crise actuelle ne contribue à clore les débats, à fermer les portes de l’institution universitaire et ne dégénère en sclérose. Nous souhaiterions plutôt que les réflexions amorcées ici dessinent des pistes de solution pour construire, dans l’avenir, des alliances possibles avec tous ceux et celles que l’université a laissés de côté et exclus au fil des années. Ainsi, ce numéro peut être envisagé dans la continuité des objectifs de la revue, comme un des jalons de son parcours d’autogestion et de solidarité sociale, et il pourrait aussi contribuer, bien modestement, à alimenter les réflexions pour sortir de la crise actuelle.
- http://wp.me/p1Bfg0-3FV
- https://spuq.uqam.ca/documents/x_documents/456_spuq-info_305.pdf
- https://unionetudiante.ca/wp-content/uploads/2019/11/Rapport-UEQ-SP-VF-FR-1.01.pdf
Biographies
Régis Coursin est co-coordonnateur de la revue Possibles, chercheur au Centre de recherches et d’études internationales de l’Université de Montréal et boursier postdoctoral du Fonds de recherche du Québec – Société et Culture. Ses intérêts de recherches portent sur les révolutions atlantiques de la fin du 18e siècle, et plus particulièrement sur le phénomène d’entrée en révolution d’abord étudié d’un point de vu transnational. Nadine Jammal fait partie du comité de rédaction de la revue Possibles depuis plusieurs années. Elle a aussi enseigné au niveau collégial et elle est actuellement chargée de cours à l’université du Québec en Outaouais, où elle enseigne depuis l’automne 2008. Ses intérêts de recherche et d’enseignement portent sur les rapports de genre et sur les questionnements théoriques touchant l’identité et les relations interculturelles.
Références :
Arendt, Hannah. 1972. La crise de la culture. Paris : Gallimard.
Baillargeon, Normand. 2011. Je ne suis pas une PME. Plaidoyer pour une université publique. Montréal : Les Éditions Poètes de brousse.
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