L’Université et la Science à la croisée des chemins

Par Jean-Marc Fontan

Voir le PDF

L’université est une institution plusieurs fois centenaire. Apparue au 13e siècle, elle a été pensée et développée par des communautés d’étudiants ou d’enseignants (Verger, 1973). La naissance de l’université découlait du besoin de dispenser l’enseignement supérieur d’une façon novatrice. Elle répondait alors à un triple besoin. Un premier besoin en matière de formation. Il s’agissait de transmettre des savoirs de haut niveau. Un deuxième besoin lié à l’étude (on parlerait de recherche aujourd’hui). On visait la transmission et le développement des connaissances par des commentaires, des débats et des mises en action pragmatiques (Arts, Droit et Médecine). Le troisième besoin était d’ordre organisationnel; il s’agissait de constituer un milieu de vie sous la forme d’une corporation (un corps social) indépendante du pouvoir des communes, de la papauté ou de la royauté. 

La grande famille des universités est donc née en réponse à ces besoins. Elle s’est constituée sous la forme d’organisations autonomes, fondées sur des « communautés » d’appartenance représentant les intérêts « d’étudiants » (regroupés en nations) ou de « maîtres » autour de deux grands corpus : de base, composé des sept arts libéraux hérités de l’Antiquité (arithmétique, astronomie, dialectique, géométrie, grammaire, musique et rhétorique) ; et supérieur dans trois domaines appliqués (droit, médecine et théologie) (De Meulemeester, 2011). 

Dès son origine, l’université s’est inscrite dans le mouvement social des « corporations ». Cette grande mouvance associative permettait de tisser du contre-pouvoir face aux instances supérieures d’un ordre social féodal en déclin et en reconstruction. L’émergence des universités rejoignait nombre de nouvelles formes organisationnelles et institutionnelles qui ont contribué à modeler le lent et sinueux processus de métamorphose de la féodalité vers la « modernité ». 

L’université a donc pris naissance à la croisée de chemins séparant un ordre évanescent d’un ordre en émergence. Pour cheminer dans cette transition, deux orthodoxies ont été mobilisées et ont joué coude à coude jusqu’à l’âge des Lumières. Une première, la scholastique, fut mise en œuvre par des représentants de l’Église chrétienne. La scholastique peut se définir comme l’étude rigoureuse et approfondie de textes nouveaux, sacrés ou anciens. L’exploration de nouvelles connaissances par l’étude se voulait au service de l’ordre divin, en hommage à son esprit et au service de son œuvre (Favier, 2016). Une deuxième orthodoxie, plus ancienne, occultée sous le Bas Moyen-Âge, a été remobilisée ou redécouverte sous le Haut Moyen-Âge. Elle est devenue dominante au passage du 16e au 17e siècle. Cette dernière était l’héritière des traditions helléniques matérialistes, lesquelles ont été relayées et bonifiées par les travaux de penseurs arabes (De Meulemeester, 2011). Cette orthodoxie scientifique, actuellement dominante, fait des sciences – par l’observation, l’expérimentation et la validation d’hypothèses et de théories – le mode central de production des croyances qui guident les communautés humaines dans l’exploitation de la matière inerte et vivante.

De nos jours, les universités et les sciences du 21e siècle se retrouvent également à la croisée des chemins. Le dilemme auquel elles font face tient au choix : 

  • d’une part, de continuer d’accompagner les processus de conservation et de bonification d’un modèle de développement des sociétés centré sur l’exploitation des ressources naturelles dans et par l’excroissance des inégalités sociales et le pillage des écosystèmes ; ou, 
  • d’autre part, de participer à la définition et à l’implantation d’un autre modèle civilisationnel qui reposerait sur des principes fondés sur la solidarité, sur la démocratie, sur le respect des différences et sur l’écologie.

Pourquoi les universités et les sciences se trouvent-elles devant ce dilemme ?

En réponse à cette question, posture critique oblige, nous sommes d’avis que le modèle de développement actuel, auquel les sciences et les universités sont redevables, est socialement et écologiquement non viable à moyen et à long terme. Le modèle de développement dominant à l’échelle planétaire, malgré des différences civilisationnelles observables entre les grandes ères culturelles en présence, repose sur l’inégalitarisme, la différenciation aliénante et l’exploitation en profondeur des écosystèmes terrestres (Rist, 2013). Il engendre des maux sociaux importants, détruit les écosystèmes et génère un réchauffement climatique (Latouche, 2018).

Présentement, la crise environnementale modifie grandement l’équilibre en place et fait en sorte que les avantages que procure le modèle de développement extractiviste ne permettent pas de combler les désavantages qu’il génère. Le rapport entre les deux s’avère hautement négatif, comme en attestent les différents rapports du Groupe d’experts international sur l’évolution du climat (GIEC). Si, historiquement, des crises sociales, économiques et politiques ont été surmontées en permettant des avancées civilisationnelles importantes, la crise environnementale actuelle est d’une tout autre facture. La nature des disfonctionnements générés représente une menace réelle pour la survie même de l’espèce humaine. 

Face à une crise sociale et environnementale de grande envergure, outre la voie du barbarisme, deux voies sont à portée de main (Raskin et al., 2002).

La première est une invitation à une grande transformation de nos façons d’être, de penser et d’agir (Beaud, 1997). Elle s’inscrit dans une volonté de réorganisation profonde de notre rapport à autrui, à la société et à l’environnement. À l’image du nouvel ordre sociétal qui fut mis en place à la Renaissance, nous avons l’occasion de nous doter de nouvelles orientations culturelles, de nouveaux arrangements institutionnels et organisationnels, comme l’ont fait les populations européennes des 11 et 12e siècles en s’émancipant de l’ordre féodal. Toutefois, s’il est clair que la transition vers les temps modernes fut opérée sur plusieurs siècles, celle qu’il nous importe de réaliser actuellement nous demande de le faire avec célérité et efficacité. En bref, nous disposons tout au plus de quelques décennies pour amorcer des changements en profondeur, pour réaliser une transition sociale et écologique juste.

La deuxième voie se nourrit du statut quo développemental. Elle consiste à nier l’évidence de la grande crise à nos portes et à favoriser l’avenue reposant sur l’hyper développement, l’enrichissement de minorités au détriment de majorités, l’épuisement de la biodiversité et des ‘ressources dites naturelles’ et la banalisation de l’aggravation des formes de pollution et du réchauffement climatique en cours. Ce deuxième choix incarne tout sauf les principes de la coopération, de la complémentarité des capacités, de la pleine valorisation des identités et d’une reconnaissance de l’existence d’un bien commun supérieur. Au nom des intérêts des nantis et du mythe de l’accessibilité à la richesse pour tous et toutes par la technoscience et le travail, la voie de l’hyper développement écarte et rend illégitimes les stratégies subversives fondées sur une éthique et une esthétique prônant la solidarité, la démocratie, le respect des différences et le bien commun supérieur. 

Face à l’une ou l’autre de ces voies de travail, les universités et les universitaires ont facilement été, sont actuellement et continueront d’être amenés à prendre position. Le choix se pose entre suivre le mythe du développement inégal ou miser sur l’utopie réaliste d’un développement socialement et écologiquement acceptable. En fonction de ces choix, s’ensuivront de petites ou grandes révolutions qui accentueront l’extractivisme ou qui lui tourneront le dos.

Face à ce choix, l’option de la refondation questionne profondément les scientifiques et les universitaires sur leur rôle et leur fonction dans la société. Pour explorer la voie de la refondation, je vais, dans un premier temps, envisager le sens à donner à la déconnexion de l’ordre actuel et examiner le travail de reconstruction requis pour instaurer une nouvelle matrice culturelle. Dans un deuxième temps, je tenterai de voir si les universités et les sciences disposent de la capacité adaptative pour participer tant à l’éveil de nos sociétés qu’à l’implantation d’une nouvelle matrice culturelle. Enfin, j’analyserai les conditions requises pour aller dans cette direction.

Déconnexion et reconstruction

Tout acte révolutionnaire est fondamentalement un geste dialectique qui échappe à la reproduction stricto sensu de la réalité. Faire révolution constitue tout sauf le statu quo d’un retour en arrière bien représenté par l’illusion que donne l’image de la révolution orbitale des planètes autour du Soleil. De façon évidente, le tracé orbital semble correspondre à un retour à la case de départ, mais ce retour advient dans un environnement autre que celui qui existait au tout début du processus. 

La révolution orbitale représente un acte évolutionnaire meublé de changements qui se produisent dans la continuité. Les changements qui adviennent au niveau social sont induits et découlent de volontés d’agir-être (conscience) accompagnées par la « Pensée » (i.e., par une réflexivité individuelle ou collective) et par la « Culture » (i.e., par la capacité d’agir-être procurée par des institutions sociétales). Pour illustrer l’idée du travail révolutionnaire comme évolution volutive de l’agir-être-penser en société, relisons l’interprétation que propose Vladimir Jankélévitch de l’acte de liberté, de la nature de cet acte qui permet à l’être humain de se libérer de la servitude :

Bergson déclare que l’acte libre doit être accompli, il le dit en citant Platon, avec l’âme totale. Cette expression célèbre se trouve d’ailleurs deux fois dans La République, au livre IV [436 b, op. cit., p. 1003] et surtout au livre VII [518 c ; p. 1107], dans l’allégorie des prisonniers de la caverne. Cette phrase, « avec l’âme tout entière », veut dire en réalité trois choses. Je crois qu’on peut les distinguer […]. D’une part, Platon veut dire qu’il ne faut pas tourner seulement la tête, mais qu’il faut tourner le corps tout entier […]. Et en deuxième lieu […] qu’il ne faut pas se tourner de quelques degrés, d’un angle aigu, mais il faut faire demi-tour, faire volteface, se détourner du tout au tout. Et que c’est là en somme véritablement la conversion qui est une interversion, l’épistrophè ou la peristrophè, qui consiste à se tourner du tout au tout. Et enfin la troisième chose, c’est qu’il ne suffit pas de se convertir et de se tourner, et ensuite de rester planté comme un piquet, en disant bravo à ceux qui sortent, mais qu’il faut le faire soi-même, donc il ne suffit pas de se convertir, il faut encore marcher et aller. (Jankélévitch dans Brogowski, 2010, p. 5)

Ainsi, l’acte révolutionnaire permet à l’être humain se trouvant dans la caverne de Platon de prendre conscience de son ancrage dans le réel, i.e. de comprendre les limites de la caverne (correspondant à une prison qui l’isole de l’extérieur) et d’une possible émancipation de cette situation : correspondant à la compréhension que l’extérieur apparent, généré par les images projetées sur la paroi par le mouvement rotatif du Soleil, est non seulement réel mais constitue une possibilité de vivre mieux. 

L’analyse de cette éventualité – sortir de la caverne –, il nous faut la considérer dans sa totalité et cela exige donc de tourner le dos, corps et âme, à la réalité qui nous supporte et nous inhibe. Une fois cette posture ‘évolutive’ adoptée, un autre monde devient possible. Un monde vers lequel nous pouvons regarder, nous projeter, et dans lequel nous pourrons emboîter le pas et développer les connaissances nouvelles requises pour participer à l’effort collectif de vivre l’étendue de la Nature.

Appliquée aux universités et aux sciences, l’invitation faite par Platon, à poser l’acte révolutionnaire consistant à émerger de la caverne, relève de notre capacité à nous donner collectivement une impulsion pour nous libérer des chaînes qui paralysent les sciences et les universités. Ces chaînes inhibent car elles empêchent : de bien voir – donc d’être en situation de conscience critique – ; d’entrevoir un autre monde – donc d’être en capacité de reconnaître l’existence d’une autre voie à la réalité du monde – ; enfin, d’agir par la pensée et de penser par l’agir afin de se mettre en mouvement pour rendre cet autre monde lui-même dépassable.

Le travail de déconnexion/connexion à un nouveau possible nous demande de bien cerner ce que nous sommes et ce que nous faisons au quotidien, de bien circonscrire notre participation à la servitude ambiante. Ce premier regard introspectif, à portée conscientisante, est certes présent en milieux universitaire et scientifique, mais il est minoritaire, complètement muselé par : 

  • le dictat des commandes de formation, de recherche et de service aux collectivités impulsées par le Marché, l’État et certaines composantes de la Société civile;
  • la conviction que l’avenir de l’Humanité dépend avant tout de la constante progression de nos capacités technoscientifiques ; que notre avenir dépend essentiellement de technologies de plus en plus performantes et sophistiquées.

Se déconnecter nous demande de désactiver les déterminants qui rendent acceptable et normal le statut quo des avantages attenant à la position et au statut privilégiés que nous procurent les systèmes universitaire et scientifique (notre caverne). Cette désactivation ne peut se nourrir de passivité, qu’elle soit d’ordre politique, éthique ou esthétique. La désactivation est une renonciation. Renoncer devient le premier pas pour un agir-être-penser vers et dans un ailleurs émancipateur.

L’acte générateur pour un changement en profondeur de notre environnement universitaire et scientifique consiste à renoncer à la normalité de notre soumission à l’ordre culturel aliénant que nous contribuons à reproduire. Cet acte générateur émancipateur consiste à nier l’identité sociale d’une « Université » et d’une « Science » à la solde d’un développement « inégalisateur et extractiviste » et à projeter les conditions requises pour sa transformation en une identité institutionnelle socialement et écologiquement acceptable.

Les universités et sciences québécoises disposent-elles des capacités requises pour aller dans cette direction ? 

Oui et non, si nous reprenons l’allégorie de la caverne, le mouvement d’émancipation décrit par Platon doit être collectif. Il invite l’ensemble des habitants de la caverne, comme groupe, à sortir de son état de somnolence et de paralysie partielle pour s’émanciper. Le groupe composé de quelques occupants ou occupantes et leur représentation du monde y symbolisent, à plus grande échelle, les sociétés humaines et les ordres civilisationnels présents et dominants à notre époque. 

Oui, les universités et les universitaires, oui, les sciences et les scientifiques peuvent explorer des voies génératrices d’émancipation, mais ces voies demandent à être travaillées avant tout à l’échelle des sociétés et des grands ordres culturels. Refonder le « Monde », c’est travailler en profondeur ses composantes, ses processus et ses dynamiques.

Non, les universités et les sciences ne disposent pas des conditions requises pour bien explorer des voies génératrices d’émancipation. Un obstacle important relève d’une double dépendance. D’un côté, les universités et les sciences en sont venues à être hautement tributaires d’une conception de la production des connaissances et de leur transmission qui les mettent au service de ‘commandes sociales et politiques’ énoncées et portées par les voies dominantes et promotrices d’un asservissement des êtres humains à une forme de « progrès anthropocentré ». D’un autre côté, les universités et les sciences ne disposent pas des ressources nécessaires pour être moins dépendantes et plus souveraines dans leur capacité d’être-agir-penser en société.

Sur le premier point, la Science (regroupant de façon non unifiée l’ensemble des sciences) est une institution médiatrice équivalente à la monnaie, en ce sens qu’elle existe en appui au développement sociétal. Dans le cas de la monnaie, elle est une institution (au sens d’une convention institutionnalisée) en soutien aux échanges économiques. Dans le cas de la Science, elle permet de modifier notre rapport (1) à la Nature et (2) de gérer les rapports humains. Elle le fait en permettant la production de connaissances adaptatives et évolutives visant à mieux comprendre les composantes, les processus et les dynamiques du monde ambiant. Ce faisant, la Science assure une réduction des incertitudes et une augmentation des capacités technologiques et d’agir-être-penser de l’humanité. Ces réduction et augmentation transitent par un processus de renouvellement en continu des technologies et des élites (de classe ou non), de leadership individuel ou collectif et des inventions-créations.

Certes, cette fonction médiatrice est à conserver, mais elle est à enchâsser dans un cadre éthique et esthétique afin d’orienter les avancées à réaliser en matière technologique et de mieux être-agir-penser le mieux vivre en société. La Science à portée émancipatrice demande donc que nous nous dotions, la communauté universitaire, d’une convention d’encadrement de la fonction médiatrice des sciences. Une telle convention est à envisager pour que le processus de « montée en vérité des croyances » soit soumis à des filtres éthiques et esthétiques dans le processus de « scientifisation » des connaissances.

Sur le deuxième point, les universités modernes ont perdu la dimension corporative des universités médiévales. Les universités modernes sont principalement régies par l’État et répondent en gros à des intérêts socioéconomiques. Que ce soit par  l’État ou en lien avec le Marché, les universités opèrent à la façon d’entreprises privées ou publiques.

L’idée ici n’est certes pas de revenir à la vision d’une université corporative au service d’une communauté étudiante ou de maîtres. L’idée tient à réactiver le principe d’une université au service du bien commun, où le bien commun, contrairement à la vision que s’en faisaient les promoteurs et promotrices des corporations médiévales, est inclusif. Il inclut les êtres humains (dans leur totalité et diversité) et les non-humains (dans leur hétérogénéité et la complexité de leur écosystème).

Les conditions émancipatrices

L’espèce humaine occupe une bonne partie de l’espace terrestre, lequel est partie prenante du système solaire, lui-même grain de sable dans la Voie lactée, laquelle représente une simple molécule dans l’Univers… Notre caverne est celle de l’Univers connu. Contrairement à l’allégorie de la caverne, nous ne pouvons pas sortir de la grotte, tout au plus, nous pouvons mieux comprendre l’environnement global qui nous englobe. Baruch Spinoza utilisait le terme « Nature » pour qualifier cet environnement global et « Étendue » le fait que cet environnement, réceptacle de substances, est en continuel changement (Höffding, 2012). Notre voie consisterait, selon lui, à ce que nous nous considérions partie prenante et bien-pensante de la Nature afin de contribuer à son Étendue. Tel est le sens à comprendre de notre destinée selon Baruch Spinoza.

Les conditions émancipatrices m’apparaissent profondément liées à ce constat spinozien. D’une part, nous pouvons faire le choix de profiter au mieux de notre créativité et intelligence pour mieux vivre notre montée en grandeur, notre magnitude. D’autre part, nous pouvons faire le choix de contribuer au maximum au travail de montée en Étendue de la Nature. Les deux options reposent sur le développement de connaissances et de technologies, mais ne concourent pas à l’achèvement de la même finalité.

La première est une option anthropocentrée et élitiste où tout est permis pour faciliter la montée en grandeur de minorités devant être soutenues par des majorités. La deuxième est une option écologique où notre propre évolution se construit par et dans le respect du processus évolutionnaire terrestre. Il ne s’agit alors pas de sacrifier les autres espèces et de soumettre la matière non vivante à la seule fin d’assurer la grandeur de la nôtre. Il s’agit au contraire de travailler en co-évolution, de grandir certes, mais pas au détriment des autres grandeurs en présence, vivantes et non vivantes.

Pour permettre à cette posture co-évolutive positive d’exister, misant sur le respect et la modestie, nous devrons redonner préséance à la « slow science » et à l’apprentissage respectueux des données existantes. Nous devrons nous donner le temps de bien localiser notre influence dans chacun des écosystèmes que nous fréquentons. Nous refuserons de devenir des propriétaires et nous nous préparerons à devenir des co-occupants d’espaces partagés. Nous prendrons au sérieux le sens à attribuer au terme « Commun ». Et cela nous conduira, à ce terme, non pas comme ce qui nous revient en droit mais comme ce qui nous revient en responsabilités exercées au bénéfice d’une finalité visant à poursuivre l’œuvre « d’Étendue de la Nature ».

Cette posture obligera la Science et de l’Université, comme institutions, à s’affirmer sur les plans politique, éthique et esthétique. Il importera donc que les scientifiques et les universitaires fassent corps et se reconnaissent autour d’une posture éthique et esthétique que nous aurons à définir ensemble pour nous guider dans les avancées à faire et les options ou les voies à refuser.

Cette posture critique obligera aussi les autres grands champs institutionnels des sociétés humaines (l’État, le Marché et la Société civile) à effectuer une réflexion en profondeur sur le sens à donner à notre réalité humaine. La Science et l’Université ne peuvent à elles seules modifier la donne civilisationnelle, c’est un projet collectif qu’il nous faudra entreprendre et mener à bien ensemble sur les fondements moraux d’une commune humanité.

Tel est le message tracé par le Manifeste de l’Éveil (Fontan et Klein, 2020). Le Manifeste tente modestement d’ouvrir un dialogue transversal entre toutes les propositions qui se dressent en silo pour déployer « leur » solution à la crise. L’Éveil fournit une sorte d’agenda des grandes dimensions, des grands points à considérer pour que ces propositions s’unissent et convergent afin de monter en grandeur et en puissance.

L’Éveil est une invitation à nous recomposer, à retrouver cette totalité sacrifiée à l’autel de l’individualité. L’Éveil est une proposition de renouer avec la modestie que nous avons perdue en voulant que tout soit à notre image et réponde uniquement à des intérêts anthropocentrés.

Nous ne sommes pas les seuls organismes vivants et nous devrons apprendre à composer avec un tout qui nous entoure et dont nous sommes partie prenante. La Nature n’est pas contre nous, elle est en nous et nous sommes en elle.

 

Biographie

Jean Marc Fontan est professeur au département de sociologie de l’UQAM. Il dirige la collection innovation sociale aux Presses de l’Université du Québec. (https://www.puq.ca/catalogue/collections/liste-innovation-sociale-39.html) et codirige, avec Peter Elson, le Centre canadien de recherche sur la philanthropie subventionnaire canadienne (PhiLab, https://philab.uqam.ca/).

 

Références

Beaud, Michel. 1997. Le basculement du monde. De la terre, des hommes et du capitalisme. Paris : La Découverte.

Brogowski, Leszek. 2010. « Brecht et Platon : le théâtre comme révolution : Défamiliarisation vs répétition. Écritures/réécritures de l’histoire. La révolution mise en scène ». Rennes, Université de Rennes. pp.241-254. halshs-00624787.

de Meulemeester, Jean-Luc. 2011. « Quels modèles d’université pour quel type de motivation des acteurs ? Une vue évolutionniste ». Pyramides, 21. En ligne, http://pyramides.revues.org/804

Favier, Jean. 2020. « Moyen-Âge – Les universités médiévales », Encyclopædia Universalis. En ligne, http://www.universalis-edu.com/encyclopedie/moyen-age-les-universites-medievales/

Fontan, Jean-Marc et Juan-Luis Klein. 2020. « L’Éveil, manifeste pour un horizon émancipateur et un nouvel ordre civilisationnel ». En ligne, https://www.acfas.ca/publications/magazine/2020/09/manifeste-changement-global.

Höffding, Harald. 2012. « Principes fondamentaux du système de Spinoza ». En ligne, http://agora.qc.ca/documents/baruch_spinoza–principes_fondamentaux_du_systeme_de_spinoza_par_harald_hoffding

Latouche, Serge. 2018. « Le culte de la croissance ». En ligne, https://linactuelle.fr/index.php/2018/12/08/serge-latouche-le-culte-de-la-croissance/.

Raskin, Paul, Banuri, Tariq, Gutman, Gilberto, Hammond, Al, Kates, Robert et Sob Swart. 2002. Great Transition. The Promise and Lure of the Times Ahead. Boston: Stockholm Environmental Institute.

Rist, Gilbert. 2013. Le développement, histoire d’une croyance occidentale. Paris : Les Presses de Sciences Po.

Verger, Jean. 1973. Les universités au Moyen Âge. Paris : Presses Universitaires de France.