Vers un système alimentaire post-croissance

Par Marie-Soleil L’Allier

Depuis quelques années les innovations citoyennes agricoles et alimentaires se multiplient : agriculture urbaine, jardins communautaires, serres collectives, fermiers de familles, forêts nourricières, coopératives alimentaires, groupes d’achats, épiceries zéro déchet ou frigos-partage. Toutes ces initiatives, bien qu’elles soient variées, s’inscrivent dans une tout autre logique que celle proposée par le système alimentaire mondialisé. Pour plusieurs, les pratiques sociales au cœur de ces projets constituent les germes d’une société post-croissance, c’est-à-dire dotées d’une rationalité qui ne dépend plus de la croissance économique pour se déployer. 

Si ces innovations sociales sont porteuses d’un fort potentiel transformateur, comment s’assurer qu’elles tracent les contours d’une transition écologique de notre système alimentaire ?

 

Problèmes inhérents au régime agro-agroalimentaire mondialisé

Pour Fraser et Jaeggi (2018), le capitalisme ne se définit pas comme un système économique, mais plutôt comme un ordre social institutionnalisé. Dès lors, on parle de société capitaliste plutôt que d’économie capitaliste. Selon les auteures, afin de comprendre la nature d’une société capitaliste il est primordial de s’attarder à la dynamique qui se joue entre la sphère économique de la production (située à l’avant-plan) et les sphères non économiques de la reproduction sociale, de l’écologie et des pouvoirs politiques (situées à l’arrière-plan et desquelles dépend l’économie pour accumuler la richesse).

Dans l’avant-plan de la sphère de la production, on a l’illusion que l’accumulation de richesse se réalise grâce à des échanges marchands équivalents. Dans le système alimentaire mondialisé actuel, il s’agit de croire que les grandes sociétés de l’agro-business parviennent à générer des profits grâce à des échanges transparents et équitables d’aliments. Cependant, comme Marx l’a mis en lumière, l’accumulation de cette richesse n’a pu se réaliser que par l’expropriation des terres agricoles, les « communaux », qui ont été volées aux paysans. Aujourd’hui, ce phénomène d’expropriation originel fait toujours partie des stratégies d’accumulation du capital. En effet, dans la dernière décennie, nous avons assisté au plus grand mouvement de privatisation et d’accaparement de terres agricoles, dépossédant des centaines de millions de personnes qui les cultivaient en commun depuis toujours (Federici, 2018). D’autre part, Marx a également relevé le fait que l’accumulation de la richesse se réalisait grâce à l’exploitation et à la non-compensation d’une partie du travail des salariés. Aujourd’hui, nombre d’entreprises agricoles du Nord global dépendent largement de l’embauche de travailleurs saisonniers du Sud global. Ces travailleurs précarisés acceptent des conditions de travail et salariales parfois complètement inhumaines (Haddad, 2020), auxquelles peu de citoyens occidentaux accepteraient de se soumettre (Gerbet et Lavoie, 2020). Les conditions des paysan.ne.s d’outremer ne sont guère mieux. En effet, selon Oxfam (2015:27), en 2011 les paysan.ne.s pauvres du Sud recevaient moins de 14% du prix de vente des aliments distribués dans les grandes chaînes alimentaires, pendant que les dividendes versés aux actionnaires de l’agro-business ne cessent d’augmenter et la part versée aux paysans de diminuer. En somme, l’accumulation de la richesse dans l’industrie agro-alimentaire se réalise grâce à l’exploitation des travailleurs et à l’expropriation des paysan.ne.s les plus pauvres des pays du Sud et des régions rurales.

Toujours selon Fraser et Jaeggi (2018), l’accumulation de la richesse repose également sur l’exploitation de la sphère de la reproduction sociale. Dans le contexte du système alimentaire actuel, on observe qu’une bonne partie des tâches liées à l’alimentation (faire les courses, préparer les repas, jardiner, etc.) sont réalisées de façon gratuite et individuelle dans les ménages (et souvent prises en charge par les femmes). Considérant nos rythmes de vie effrénés, cette individualisation de l’alimentation crée bien souvent une surcharge mentale, émotionnelle et physique. Les ménages de la classe moyenne ou défavorisée sont de plus en plus nombreux à souffrir d’insécurité alimentaire, et ce, malgré qu’ils cumulent souvent deux ou trois emplois. D’autre part, dans les ménages plus aisés, on assiste à une marchandisation grandissante de l’alimentation. En effet, nombre de ménages ont désormais recours à la restauration, aux mets préparés d’avance, à des recettes en boîtes ou encore à l’embauche de personnel (souvent des femmes racisées) pour la préparation des repas. Nombreux sont ceux et celles qui mangent en vitesse, devant leur ordinateur ou sur la route. Les moments de préparation et de dégustation des repas en commun deviennent de plus en en plus rare, ce qui est d’autant plus problématique lorsqu’on sait que l’alimentation joue un rôle fondamental dans notre socialisation et dans la reproduction même de la société (Durkheim, 1991).  

Fraser et Jaeggi (2018) soutiennent par la suite que l’accumulation de la richesse se réalise également grâce à l’exploitation de la sphère de l’écologie. Dans le contexte du système alimentaire mondialisé, on constate une augmentation de la dépendance aux innovations technologiques afin de contrôler les conditions de production agricole (Bernstein, 2001). Qu’elles prennent la forme de monoculture, d’intrants chimiques, d’irrigation, de serres, de modifications génétiques ou de mécanisation des processus, toutes ces innovations ont pour objectif de simplifier, d’uniformiser et d’accélérer les processus agricoles afin d’améliorer la productivité. Cette domination de la nature par l’artificialisation de l’agriculture entraîne d’importantes conséquences écologiques : pollution de l’air, de l’eau et des sols, destruction de la biodiversité et de la capacité de résilience des écosystèmes, génération des changements climatiques et des crises écologiques.

En ce qui a trait à la sphère du pouvoir politique, Fraser et Jaeggi (2018) expliquent que l’accumulation se réalise par l’instrumentalisation des institutions politiques afin de produire un contexte juridique favorable au capitalisme. Au niveau des États territoriaux, il s’agit de créer les « conditions politiques » nécessaires pour garantir les droits de propriété, appliquer les contrats et réprimer les rébellions anticapitalistes. En ce qui concerne le système alimentaire mondialisé, on constate dans plusieurs États, dont le Québec, que l’usage des terres agricoles, leur propriété et le type de culture qu’on y pratique ne sont pas soumis à une discussion collective et démocratique. Non seulement la spéculation foncière rend les terres de plus en plus inabordables aux petits et moyens paysans mais, suivant Dominique Lamontagne (2015), la réglementation mise en œuvre par le gouvernement du Québec et le monopole de l’Union des producteurs agricoles (UPA) depuis les années 1950 ont contribué à la disparition de plus de 115,000 fermes au Québec et rendu impossible la rentabilité d’une petite ferme vivrière.

Au niveau international, l’accumulation se réalise grâce à de grandes puissances supranationales qui fournissent les « conditions géopolitiques » pour permettre au capital de se déplacer librement (Fraser et Jaeggi, 2018). En ce qui concerne le système alimentaire mondialisé, les Programmes d’ajustement structurel mis en place par la Banque Mondiale (BM) et le Fonds monétaire international (FMI) contribuent à utiliser l’endettement des pays du Sud comme premier levier pour la libéralisation du commerce (Berstein, 2001). En effet, ces grandes organisations internationales, de connivence avec les multinationales, utilisent ces programmes comme prétexte pour accaparer les terres paysannes du Sud et les transformer en « plateformes d’exportation » destinées au marché mondial. L’appétit croissant des pays du Nord pour une plus grande consommation de fruits et légumes exotiques est l’indicateur emblématique du régime alimentaire mondialisé contemporain. En somme, non seulement les besoins des communautés locales du Sud sont ignorés et leur agriculture paysanne détruite, mais on assiste désormais à la subordination des intérêts des États nations aux intérêts grandissants des grandes corporations transnationales. Au Nord comme au Sud la réglementation favorise l’industrialisation et l’agriculture d’exportation plutôt que l’agriculture paysanne et l’alimentation des populations locales.

Bien que la majorité des paysans pauvres soient aujourd’hui confrontés à une crise de plus en plus grave de reproduction, les mouvements paysans sont capables de mettre en œuvre de puissantes actions collectives pour initier un changement au sein de l’économie agricole et des processus politiques nationaux (Bernstein, 2001). Un bel exemple est celui du mouvement paysan international La Vía Campesina, créé en 1993, qui lutte pour la justice sociale et la défense de l’agriculture paysanne. Il regroupe plus de 180 organisations et 200 millions de petits et moyens paysans, de sans-terre, d’indigènes, de migrants et d’ouvriers.rières agricoles répartis dans plus de 80 pays à travers le monde (Vía Campesina, 2020). Pour le mouvement, l’alimentation est un droit fondamental et non une marchandise qui peut être soumise aux lois du marché. C’est pourquoi, en 1996, il propose le concept de souveraineté alimentaire, soit « le droit des peuples et des États à déterminer eux-mêmes leurs politiques alimentaires et agricoles sans porter atteinte à autrui » (Oxfam, 2011). La souveraineté alimentaire n’est pas une solution « toute faite », mais un processus démocratique qui invite les citoyen.ne.s de partout dans le monde à se mobiliser pour repenser l’organisation mondiale de l’agriculture et de l’alimentation (Anderson, 2018). Le processus de souveraineté alimentaire permet de répondre aux questions suivantes : à qui appartiennent les terres, qui décide ce qu’on y cultive, comment et pour qui ?

Ce bref survole démontre que pour espérer initier une transformation vers un système alimentaire post croissance, les solutions à mettre en œuvre doivent permettre de résoudre les injustices qui se jouent à la fois à l’intérieur du système de production agro-alimentaire, mais également à l’intérieur de la sphère de la reproduction sociale, de l’écologie et du pouvoir politique. Si la tâche peut sembler gigantesque, il ne faut pas oublier qu’une partie des solutions passe par un activisme du quotidien : c’est-à-dire par la mise en œuvre de solutions locales, mais qui s’articulent à une vision globale du système alimentaire capitaliste tel que nous venons de le présenter.  

 

S’inspirer des innovations citoyennes

Dans les interstices du système alimentaire mondialisé se développe une multitude d’innovations citoyennes, alimentaires et agricoles, qui valorisent davantage l’autoproduction, les circuits courts, les pratiques écologiques et régénératives, un lien fort entre le consommateur, le producteur et la terre, le juste prix pour les paysans et le droit à une alimentation saine pour tous.tes. Pour plusieurs, les pratiques sociales que l’on retrouve au cœur des innovations les plus radicales constituent les germes d’une rationalité insoumise à la croissance économique et qui ne considèrent plus l’alimentation comme une simple marchandise. Au contraire, leur émancipation repose plutôt sur notre capacité à s’entraider, à coopérer, à prendre des décisions ensemble. Afin de mieux saisir le potentiel transformateur de ces initiatives, nous proposons d’analyser comment elles permettent de résoudre certaines tensions qui existent aujourd’hui entre la sphère économique de la production et les sphères non-économiques de la reproduction sociale, de l’écologie et du politique. Autrement dit, il s’agit d’une manière d’analyser le rôle qu’elles peuvent jouer dans la transformation de nos institutions et de nos relations sociales.

 

Le Réseau des Fermiers de famille

Initié par Équiterre en 1995, ce projet représente l’un des plus grands réseaux de fermes biologiques au monde et permet de nourrir près de 60,000 individus au Québec et au Nouveau-Brunswick. Ce modèle d’approvisionnement propose plusieurs innovations avec un fort potentiel de transformation sociale. D’abord, ce modèle est fondé sur une agriculture paysanne, peu mécanisée, qui se réalise en petite surface et met en œuvre des pratiques de régénération du sol, de la faune, de la flore et de la biodiversité. Ce modèle vise d’abord et avant tout   les communautés locales et, de ce fait, ne recherche pas une croissance infinie, mais le juste équilibre entre les capacités de la nature et celles de la famille de producteurs. Du point de vue financier, les fermiers de famille promeuvent un modèle abordable qui évite le surendettement des paysans et valorise une fixation des prix non spéculative (le prix est fixé en début de saison) et équitable (il permet aux paysans de bien vivre). En ce qui a trait au consommateur, ce modèle propose une alternative loin du client-roi et invite à laisser une place plus importante à l’alimentation dans nos vies : on récupère notre panier à un moment bien précis de la semaine, on détermine nos repas en fonction de ce qui a été récolté, on prend le temps de cuisiner, on mange local et non transformé, on accepte de payer le juste prix et on crée des liens avec ceux et celles qui cultivent nos aliments. Derrière un simple abonnement à un panier bio se cache ainsi une série de changements qui nous invite à tranquillement réadapter notre mode de vie aux cycles de la nature. Malgré tout, dans cette innovation le citoyen.ne demeure dans une posture de consommateur et les paniers bios sont plus difficilement accessibles aux personnes avec des revenus modiques.

Les maraîchers soutenus par des bénévoles

Pour résoudre ces limites, plusieurs fermes maraîchères proposent un modèle qui va un peu plus loin, en intégrant une implication bénévole. Les Grands Jardins d’Alexandre, un producteur maraîcher sans but lucratif, permet ainsi aux citoyen.ne.s d’obtenir un panier bio hebdomadaire en échange de 25 heures de bénévolat par saison. Pour les « jardiniers paresseux », il est également possible de participer à des journées d’entraide sporadiques. La mission des jardins est d’offrir à sa population un légume santé au plus bas prix possible. Les surplus de productions sont offerts aux petites garderies. La Ferme Cadet Roussel offre elle aussi une approche similaire. Pendant de nombreuses années, il était possible d’obtenir une réduction sur l’abonnement de légumes en échange d’heures de bénévolat. De plus, des Fêtes des récoltes sont organisées annuellement et permettent aux citoyen.ne.s de s’impliquer activement à la ferme.

Ce type d’innovation permet ainsi aux citoyen.ne.s d’être à la fois producteurs et consommateurs, de développer leurs connaissances et savoir-faire agricoles, et de créer un lieu de socialisation fort où l’ensemble du rapport à l’alimentation est transformé. De plus, il est accessible aux personnes aux revenus plus modestes. Ces niches sont plus radicales dans le sens où elles nécessitent un investissement de temps plus important et demandent aux citoyen.ne.s de sortir de leur posture de consommateurs pour embrasser celle de producteur. Dans les deux exemples mentionnés, les fermiers constatent cependant une diminution de l’implication citoyenne dans les dernières années. L’accélération de nos rythmes de vie rendant probablement plus difficile de libérer du temps pour se rendre à la ferme en région.

 

Agriculture urbaine et cuisines collectives

Heureusement, il existe tout un mouvement d’agriculture urbaine permettant de cultiver près de chez soi. Le site de Cultive ta ville répertorie plus de 1500 initiatives à travers le Québec, on y retrouve des jardins communautaires, des jardins collectifs, les Incroyables Comestibles, etc. Quant au site du Regroupement des cuisines collectives du Québec, celui-ci identifie près de 1400 cuisines partout au Québec qui visent à développer l’autonomie alimentaire, la solidarité et le pouvoir d’agir individuel et collectif. L’ensemble de ces initiatives permet d’intégrer la production et la transformation de nos aliments au cœur de notre quotidien, de nos milieux de vie, mais surtout, de le faire collectivement ! Ces initiatives permettent de développer notre capacité à la coopération et nos savoir-faire, de contrer l’exclusion sociale et resocialiser l’alimentation afin de créer des liens forts avec celle-ci.

Dans les défis que rencontrent ces initiatives, on note la difficulté à avoir accès à des espaces verts pour cultiver en ville, ou encore à des installations et des locaux à prix abordables, et ce, dû à la spéculation foncière qui tend à faire grimper le prix des loyers et des terrains. Un autre défi rencontré concerne la mobilisation citoyenne. Cultiver et cuisiner demande du temps et n’est pas toujours compatible avec nos rythmes de vie régis par le travail. Le manque de connaissances et de savoir-faire constitue également un défi et nécessite des structures pour se les réapproprier. Puisque ces initiatives reposent principalement sur du bénévolat, il arrive souvent que le projet s’essouffle après quelques années : le temps – gratuit – passé à prendre soin des jardins se trouve « désavantagé » par rapport au temps de travail rémunéré.

 

Combinaison avec l’Accorderie

C’est en partie pour résoudre cette faiblesse que les citoyen.ne.s de Shawinigan ont décidé de combiner l’agriculture urbaine avec l’initiative des Accorderies. Le concept des Accorderies a été conçu à Québec en 2002 et son principe est simple : « proposer aux habitants d’une même localité de se regrouper pour échanger entre eux des services, sur la base de leurs savoir-faire, et ce, sans aucune contrepartie financière » (Accorderies, s.d.). Chaque Accordeur.e met ainsi à la disposition des autres ses « compétences et savoir-faire sous la forme d’offres de services. […] Chaque échange est comptabilisé dans une banque de temps, selon le principe “une heure de service rendu vaut une heure de service reçu”, quels que soient le service rendu et les compétences exigées » (Idib.).

La combinaison de ces deux initiatives permet de faire reposer l’entretien des jardins non pas sur des bénévoles, mais sur des accordeurs. Cette nuance est importante, car les heures passées à prendre soin du potager peuvent ensuite être échangées contre des heures pour d’autres services (par exemple, la comptabilité), ce qui permet de redonner une valeur juste et équitable au travail de care. L’intégration des initiatives alimentaires citoyennes au sein du réseau des Accorderies permet de « façon démocratique et organisée, de construire une alternative au système économique dominant » (Idib.) et de briser la division des sphères de la production et de la reproduction. On peut imaginer que la combinaison des Accorderies avec les différentes initiatives alimentaires permettrait de créer un réseau alternatif porteur d’un fort potentiel de transformation. Néanmoins, il demeure toujours un problème non résolu, celui de l’accessibilité de plus en plus difficile aux terres et aux infrastructures communes.

 

FUSA – Fiducie d’utilité sociale agricole

C’est ici que les FUSA peuvent jouer un rôle fondamental dans la protection et l’accessibilité de nos ressources collectives. Protecterre (s.d.) définit une FUSA comme la combinaison de Bien(s) + une Vocation + une Durée + des Bénéficiaires. Le bien pouvant être une terre agricole, un jardin collectif, un bâtiment, une cuisine collective, de la machinerie, etc. La vocation pouvant être la conservation en culture biologique, la production d’aliments locaux, l’aide à la relève agricole, l’autonomie alimentaire d’une communauté, etc. La durée pouvant être à durée déterminée ou perpétuelle. Finalement, les bénéficiaires peuvent être les citoyens d’un quartier, une communauté, la relève agricole, etc. Si au Québec les FUSA ne sont utilisées que depuis peu, elles ont permis à des citoyen.ne.s d’autres provinces canadiennes, des États-Unis, du Royaume-Uni et d’ailleurs dans le monde, de protéger leur terre et leurs ressources collectives. Plusieurs FUSA ont déjà été créées ou sont sur le point de l’être au Québec. En effet, Protecterre répertorie des FUSA créées par des familles d’agriculteurs.trices (via des partenariats avec une ville/MRC), par des syndicats, des organismes communautaires, des communautés autochtones, des coopératives, etc. Il s’agit en somme d’un puissant outil juridique qui s’adapte aisément à différents contextes et projets.

Il existe nombre d’autres expérimentations toutes aussi intéressantes et complémentaires. L’objectif ici était simplement d’en présenter un échantillon et de les analyser en regard des problématiques soulevées par le système alimentaire mondialisé.

 

Comment initier une transformation structurelle à grande échelle ?

D’abord, il est important de se rappeler que toutes ces initiatives se retrouvent imbriquées à l’intérieur, de l’actuelle société capitaliste (Fraser et Jaeggi, 2018). Elles ne sont donc pas par défaut anti-croissance ou post-croissance. C’est pourquoi il est primordial de toujours analyser leur fonctionnement interne et leurs interactions avec les institutions existantes pour éviter de reproduire les mêmes structures de domination et les mêmes contradictions que l’on reproche aux sociétés capitalistes.

Ensuite, ces solutions doivent s’inscrire dans un activisme du quotidien. Pour Federici (2020), cela signifie qu’elles doivent permettre de résoudre des problèmes urgents du quotidien : comment se nourrir quand on ne gagne pas suffisamment d’argent, comment retrouver le temps de cuisiner, comment le faire collectivement, comment se nourrir sans exploiter les paysans du Sud et du Nord, etc. Le tout, sans perdre de vue que l’on cherche à démarchandiser l’alimentation : se nourrir doit devenir un droit et non plus un moyen d’accumuler du capital. Pour ce faire, il est primordial de lier les différentes initiatives entre elles et de les ancrer dans une vision à long terme et à l’intérieur d’un territoire donné (Bui, 2015). Il s’agit donc de partir d’initiatives déjà existantes et, à travers un processus démocratique et collectif, de travailler à lier ces initiatives entre-elles afin de reconstruire localement toute la chaîne alimentaire : de la production à la transformation, en passant par la distribution, la conservation et la consommation. Ces réseaux alimentaires alternatifs devront impérativement permettre de nous redonner un contrôle collectif sur notre système alimentaire et de s’assurer que tous aient accès à une alimentation saine, et ce, sans que celle-ci ne repose sur l’exploitation des travailleur.euse.s, des familles, des communautés et de la nature.

Nombre d’initiatives sont d’ores et déjà en cours et c’est dans notre capacité à s’intéresser collectivement à la question de l’agriculture et à se mobiliser pour exiger des changements institutionnels et politiques que réside notre potentiel à initier un changement à plus grande échelle vers un système alimentaire post-croissance. À l’instar des mouvements citoyens internationaux comme Climate Strike, Me Too et Black Lives Matter, peut-être serait-il temps de forger des alliances avec les paysan.ne.s du monde pour exiger de profonds changements dans nos systèmes alimentaires.

 

Marie-Soleil L’Allier est doctorante en Sciences de l’environnement à l’Université du Québec à Montréal. Ses recherches portent sur la contribution des communs et du commoning à la transition sociale et écologique de la société. Elle est également cofondatrice de LOCO, une chaîne d’épiceries écologiques et zéro déchet.

 

Références

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Bernstein, Henry. 2001. « ‘The peasantry’ in global capitalism: who, where and why? ». Socialist register37.

Bui, Sibylle. 2015. Pour une approche territoriale des transitions écologiques. Analyse de la transition vers l’agroécologie dans la Biovallée (Doctoral dissertation, Dissertation. AgroParisTech, INRA, Paris, France).

Durkheim, Émile. 1991 [1912]. Les formes élémentaires de la vie religieuse. Le système totémique en Australie, 7e édition. Paris : Livre de poche

Équiterre. (s.d.) Un des  plus grands réseaux de fermes biologiques au monde! En ligne : https://www.fermierdefamille.org/reseau (Page consultée le 7 juillet 2020).

Federici, Silvia. 2018. Re-enchanting the World: Feminism and the Politics of the Commons. PM Press. (p.27)

Federici, Silvia. 2020. « Silvia Federici on Post-Growth ». Societies. École d’innovation sociale Élisabeth-Bruyère Social Innovation School. En ligne: https://www.facebook.com/watch/live/?v=2949693901923981&ref=watch_permalink (Page consultée le 25 juin 2020).

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Fraser, Nancy et Rahel Jaeggi. 2018. Capitalism: A conversation in critical theory. John Wiley & Sons.

Gerbet, T. et M. Lavoie. 2020. « Le gouvernement paiera les Québécois pour aller travailler dans le champs ». Radio-Canada. En ligne : https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/1694883/gouvernement-quebec-incitatif-quebecois-agriculture (Page consultée le 7 juillet 2020).

Haddad, N. 2020. « COVID-19: un rapport accablant sur la situation des travailleurs agricoles étrangers ». En ligne:  https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/1710023/rapport-travailleurs-agricoles-saisonniers-etrangers-migrants-covid?fbclid=IwAR1dkVnwpCWMLSD7EPAWj-GFjrRwaMa0_UUy20Q-jzfRqDGuNamh2fX8xq8 (Page consultée le 7 juillet 2020).

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