Droits des peuples autochtones, décroissance et une transition énergétique juste au Québec

Par Jen Gobby, Étienne Guertin

Malgré des décennies d’efforts pour combattre la crise climatique, les émissions mondiales de gaz à effet de serre continuent d’augmenter et les impacts climatiques s’intensifient (Peters et al. 2019 ; Ripple et al. 2020). Il a été soutenu que l’échec de la lutte contre la crise climatique est dû à une approche centrée sur les symptômes du problème plutôt que sur les causes fondamentales de la crise (Abson 2018 ; Chatterton et al., 2013 ; Temper et al. 2018) et que les efforts échouereront tant que nous ne nous attaquererons pas aux facteurs sous-jacents des émissions actuelles : les systèmes et structures politiques, économiques et sociaux qui encouragent et permettent une dépendance continue aux combustibles fossiles, à l’extractivisme et à l’exploitation afin d’assurer une croissance économique sans fin.

Dans cet article, nous examinerons une initiative climatique au Québec pour voir si, et dans quelle mesure, elle s’attaque aux causes fondamentales et aux déterminants structurels de la crise climatique.

Le plan ZéN du Québec, une feuille de route pour une transition juste vers un Québec neutre en carbone, a été élaboré par le Front commun pour la transition énergétique (FTCE), un réseau de plus de 70 organisations environnementales, syndicats et groupes communautaires unis pour une transition énergétique fondée sur la justice au Québec. Nous nous demandons si cette version actuelle de la feuille de route s’attaque aux causes fondamentales et aux déterminants structurels des changements climatiques en reconnaissant et en abordant les problèmes : a) de la dépendance du système économique envers une croissance économique sans fin ; b) de sa dépendance envers la dépossession des terres autochtones et la violation des droits des Autochtones.

 

Rester critiques du problème de la croissance économique

Une politique ou transition climatique réussie devra aborder sans détour la question de la croissance économique, car cette dernière est étroitement liée, non seulement à la crise climatique, mais aussi à d’autres problèmes écologiques et sociaux actuels et futurs. Il est de plus en plus évident qu’il ne sera plus possible de décarboniser une économie croissante (Hickel & Kallis 2019) ou de « découpler » sa croissance d’autres pressions environnementales (Parrique et al. 2019).

Atteindre les objectifs de décarbonisation pour limiter le réchauffement planétaire à 1.5 dans une économie du Nord global comme le Québec, tout en ne générant pas d’autres crises environnementales, exige non seulement de l’efficacité mais aussi une réduction planifiée des flux de matières et d’énergie (Hickel & Kallis 2019 ; Haberl et al. 2019), ce qui entraînera aussi une réduction du produit intérieur brut (PIB).

Une telle transition devrait donc aligner son discours et sa proposition politique vers une transition volontaire et planifiée en abandonnant l’impératif de croissance du PIB (Ripple et al. 2020, Kallis et al. 2018). Les politiques qui décroissent volontairement l’économie matérielle et monétaire devront également empêcher les riches et les entreprises de réaliser des profits et plutôt redistribuer leurs richesses pour garantir à chacun l’accès à un niveau de vie décent. Ce sont ces politiques redistributrices qui rendront, en fin de compte, cette économie non croissante viable pour tous.

 

Comment la feuille de route de Québec ZéN aborde-t-elle le problème de la croissance économique ?

Le plan ZéN du Québec reconnaît dans de nombreux cas les intérêts concurrents de la croissance économique par rapport aux objectifs de durabilité sociale et écologique. Il met en évidence la question de la financiarisation de l’économie qui centrée sur les profits au détriment des biens communs environnementaux et sociaux (p.24) et il reconnaît que les gouvernements « jaugent leur succès à l’aune de la croissance économique » (p.24). La vision du plan ZéN pour le Québec post-transition est celle d’une société dans laquelle « l’économie est axée sur la satisfaction des besoins et non sur l’accumulation » (p.26), ce qui implique que la croissance économique n’est pas à l’ordre du jour sans la satisfaction des besoins de chacun. Cependant, lorsque l’on examine les propositions du plan ZéN, certaines d’entre elles ne sont pas conformes à leur discours critique sur la croissance économique.

La proposition générale du plan ZéN est de « [r]éduire radicalement notre consommation de matières et d’énergie. Opérer un virage décisif vers l’économie circulaire et la relocalisation de l’économie » (p.27). De telles politiques seraient rendues possibles par la transition vers une économie circulaire et fonctionnelle, une réduction du temps de travail avec les mêmes salaires et avantages, une taxe progressive sur les ressources (après satisfaction des besoins de base) et les biens (mais pas les services), un moratoire sur les projets de barrages hydroélectriques et une orientation vers un mélange d’efficacité et de sobriété.

Ces politiques posent certains problèmes, notamment les propositions d’économie circulaire et fonctionnelle. Dans le plan ZéN, on cite circulaire l’Institut national de l’économie circulaire comme étant la référence dans ce domaine. Celui-ci positionne clairement ses idées comme un moyen de maintenir la compétitivité et la rentabilité des entreprises (Institut d’économie circulaire). Une mise en œuvre de l’économie circulaire qui exige simultanément une rentabilité économique risque d’augmenter la consommation de déchets, de matières et d’énergie en raison de divers effets de rebond (Zink & Geyer 2017). Il en va de même pour l’économie fonctionnelle qui ne devrait pas rechercher le profit dans un monde où le découplage parfait est impossible. Mais le plan ZéN propose également les coopératives de production, de consommation et d’habitation (p.12), soit des modèles de gestion d’organisation qui ne recherchent pas la rentabilité en premier lieu ; l’essentiel étant ici de rester cohérent et critique à l’égard de la croissance économique tout au long du discours et des propositions.

Le cadre du discours et des politiques du plan ZéN met l’accent sur la nécessité de réduire notre impact en raison des limites, en insistant, par exemple, sur l’économie circulaire et fonctionnelle et sur le concept de sobriété, souvent utilisé en combinaison avec l’énergie, comme peut en témoigner l’expression « sobriété énergétique ». La sobriété en particulier est problématique, car elle donne beaucoup de poids à l’idée qu’individus et sociétés ont des besoins infinis sur une planète finie, ce qui alimente le discours d’un monde de rareté. Remplacer la sobriété par la suffisance contribuerait à former une nouvelle rationalité quant à la société post-croissance proposée dans le plan ZéN, une société dans laquelle la priorité est mise sur l’abondance émergeant d’une consommation de suffisance plutôt que sur des besoins illimités (Hickel 2019, Vansintjan 2020).

En termes de politiques de redistribution – un aspect clé de la transition tel que discuté précédemment –, le plan ZéN propose des fonds et de nouveaux emplois pour les personnes qui perdent leur travail dans les secteurs à forte intensité de combustibles fossiles (p.18-19) en transférant l’argent vers des projets écologiques. C’est un bon début, mais cela ne suffit pas à garantir la satisfaction des besoins essentiels de tou.te.s, car le taux de chômage va monter en flèche si la consommation et la production diminuent. Le plan ZéN doit aller plus loin avec des propositions telles que le partage du travail combiné à la garantie d’emploi, des réformes financées par l’impôt sur la richesse et le plafonnement des revenus. Les Canadien.ne.s sont déjà très majoritairement en accord avec certaines de ces politiques dans le contexte de la reprise économique de la COVID-19 (Cox 2020). Associées à des politiques de transition verte, ces politiques empêchent les inégalités de s’accentuer (D’Alessandro et al. 2020). Un impôt sur la richesse est très important, car il constitue un moyen de réduire les émissions (Knight et al. 2017) et de compenser la baisse des revenus fiscaux.

Le plan ZéN propose également un ensemble de politiques visant à relocaliser la production et la consommation. Pour n’en citer que quelques-unes, le plan souligne l’importance de l’autonomie locale et de la décentralisation avec le principe de subsidiarité (p.22-23) et propose la renégociation des accords de libre-échange (p.28). Ces propositions s’inscrivent dans la nécessité d’une résilience régionale face à la fragilité croissante d’un modèle économique dépendant de chaînes d’approvisionnement mondiales qui augmentent le risque et l’exposition aux pandémies, aux événements climatiques extrêmes et aux conflits géopolitiques. Pour permettre au Québec d’être pleinement autonome dans la satisfaction des bessoins essentiels de tou.te.s, le plan ZéN devrait envisager l’adoption d’une monnaie locale pour les besoins essentiels (Hornborg 2017). Ceci libérerait le Québec de dépendre de sa propre croissance pour importer des biens de première nécessité dans une économie mondiale en perpétuelle croissance.

L’orientation de cette critique constructive de la proposition du plan ZéN s’inspire du mouvement de décroissance, un ensemble d’idées basées sur l’anticapitalisme, l’anti-extractivisme et l’anti-expansionnisme provenant des sphères académiques, militantes et de la pratique quotidienne. La décroissance est la proposition selon laquelle, avec une restructuration radicale de la société et une réduction des flux matériels et énergétiques, il est possible de vivre bien en remplaçant les biens matériels par des biens relationnels (Kallis et al. 2018).

Cette orientation politique radicale est conforme à l’orientation des peuples autochtones du Québec qui s’opposent à l’extractivisme et au développement hydroélectrique. De plus, le mouvement de décroissance au Québec est déjà établi (Abraham 2019 ; Radio-Canada 2020) et sous-entendu à travers une longue histoire d’économie sociale et de politiques socialistes.

En résumé, la croissance économique est la pointe d’un très grand iceberg sociétal qui se nourrit et crée des inégalités en dégradant l’environnement. Le plan Québec ZéN devrait reconnaître pleinement et explicitement cette contradiction afin de ne pas tomber dans le piège de proposer des politiques inefficaces si mises en œuvre dans le cadre d’un modèle de croissance économique. Ainsi, des politiques telles que la garantie de l’emploi et le partage du travail combinés avec les impôts sur la richesse et le revenu viendraient combler certaines lacunes actuelles du plan ZéN. 

Mettre les peuples autochtones, leurs droits et perspectives au centre des préoccupations

Il y a une multitude de raisons pour lesquelles les politiques climatiques et les plans de transition énergétique doivent mettre les peuples autochtones au cœur de leurs préoccupations, l’une d’entre elles étant que ces derniers sont parmi les premiers et les plus durement touchés par le changement climatique (Salick et Byg 2007). Les peuples autochtones sont également parmi les moins responsables du problème et ceux qui ont le moins de ressources pour y faire face (Parks et Roberts 2006). Les impacts du changement climatique sur les communautés autochtones sont aggravés par la pression exercée par les intérêts commerciaux et extractifs sur leurs terres et leurs ressources (Tupaz 2015), créant une situation dans laquelle, « que ce soit par une conception consciente ou par négligence institutionnelle », les Premières Nations, Inuits et Métis sont confrontés à la pire dévastation environnementale au Canada (Mascarenhas 2007, 570). Afin de faire face à la crise climatique de manière juste et efficace, nous devons comprendre, reconnaître et « contester les relations sociales et environnementales inégales dans lesquelles s’inscrivent les émissions de carbone » (Chatterton, Featherstone et Routledge 2013, 7). Pour ce faire, nous devons donner la parole à ceux qui sont le plus touchés.

Poussés par un amour féroce pour leurs terres et leurs eaux et ainsi que soutenus par leurs droits inhérents issus de traités constitutionnels et internationaux, les peuples autochtones sont à la tête de mouvements pour la justice environnementale, bloquant ainsi efficacement l’expansion des industries extractives (Gedicks 1994, 2001 ; Temper et Bliss, 2015). En effet, les peuples autochtones sont considérés comme la « seule véritable menace pour les projets énergétiques tels que les oléoducs et les gazoducs » (Curtis, 2015) et leurs droits constituent la « forme de droit environnemental la plus puissante » au Canada (MacNeil 2019, 74).

Alors que l’environnementalisme dirigé par les Blancs est relativement nouveau au Québec et au Canada, la défense des terres autochtones remonte au premier contact avec l’Europe (Hill 2010 ; Simpson 2017). Ainsi, les communautés autochtones ont des centaines d’années d’expérience en ce qui a trait à la résistance face au mode de production capitaliste et aux logiques de domination qui maintiennent la structure du colonialisme (Wolfe 2006) ; des centaines d’années de générations et de défense de relations et de formes d’organisation sociale basées sur la mutualité et la réciprocité (Amadahy 2010 ; Simpson 2011 ; Coulthard 2014). Une telle expérience de la vie non capitaliste et non extractive est essentielle pour établir des relations justes et non exploitantes avec la terre et entre les communautés.

Une autre raison importante pour laquelle la lutte pour les droits des Autochtones et la lutte contre le changement climatique doivent être menées ensemble est que la colonisation et l’oppression continues des Autochtones sont allées de pair, depuis le début, avec le développement de l’économie extractive à forte intensité de carbone. À partir du moment où les Européens (dont les Français) ont mis les pieds sur les côtes de l’Île de la Tortue, le colonialisme a instauré une domination raciale afin que le contrôle colonial sur les terres et les ressources puisse être établi dans le but d’acquérir des richesses par l’extraction et l’exploitation des ressources naturelles (Simpson 2017, 42). Inextricablement liés, le colonialisme et le capitalisme ont jeté les bases de « l’industrialisation et de la militarisation – ou de l’économie à forte intensité de carbone – qui produisent les moteurs du changement climatique anthropique » (Whyte, 2017: 154).

Ces systèmes d’exploitation, d’extraction et d’accumulation ont fait d’une poignée d’hommes (blancs et masculins pour la plupart) des êtres humains riches et puissants et ont entraîné la marginalisation économique et politique d’autres personnes. Ce système injuste et non durable est maintenu par le fait que ceux qui bénéficient de ces systèmes occupent également des postes de décision. Étant donné que les personnes au pouvoir continuent de prendre des décisions visant à maintenir le statu quo – et garantir leur propre pouvoir –, il est difficile de croire qu’elles prendront les mesures nécessaires pour lutter efficacement contre les changements climatiques. C’est pourquoi la lutte contre les changements climatiques nécessite une profonde restructuration de la répartition du pouvoir et des décideurs. La lutte environnementale exige la justice sociale et la suppression des inégalités.

La crise écologique exige de repenser et de restructurer fondamentalement les relations économiques et sociales au cœur du pays. La voie à suivre pour guérir ces relations injustes réside dans la pratique des colons qui suivent le leadership des peuples autochtones et qui protègent leurs terres et leurs eaux (Klein 2014 ; Davis 2010). Et le processus de vision et de mise en œuvre d’une transition énergétique au Québec doit en tenir compte.

 

Évaluation de la place accordée par la feuille de route ZéN aux peuples autochtones et à leurs droits, perspectives et approches

Le mot « autochtone » apparaît 13 fois dans la Feuille de route ZéN, par exemple, lorsqu’il s’agit d’exprimer des engagements visant à respecter les droits des peuples autochtones au consentement libre, préalable et éclairé. Il est également reconnu que les peuples autochtones détiennent des formes importantes de savoir : « [les] collectivités résilientes s’inspirent des cultures autochtones » […] « où les actions sont guidées par le respect des sept prochaines générations » (p.10).

Alors que les connaissances autochtones sont reconnues, le document lui-même a été conçu et rédigé par un groupe presque exclusivement allochtone (correspondance personnelle) et n’est donc pas réellement éclairé par les connaissances autochtones ni par leurs approches pour faire face aux changements climatiques. Dans la section sur les droits humains, il est indiqué que « le fait de mener des consultations qui ne sont qu’une façade avec les peuples autochtones ou de les consulter seulement à la fin » empêcherait la réalisation de la vision (p.20). Il est mentionné à plusieurs reprises que le processus de transition doit impliquer de manière significative, et ce, dès le début, les peuples autochtones. Pourtant, cela n’a pas été fait lors de la rédaction de ce même document.

Bien que les droits des Autochtones soient mentionnés à plusieurs reprises, aucun droit spécifique n’est précisé. Au Canada, les droits autochtones comprennent les droits inhérents, les droits issus de traités et les droits constitutionnels, ainsi que les droits internationaux codifiés dans la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones (UNDRIP). Aucun de ces droits n’est mentionné dans la feuille de route du plan ZéN. En revanche, la section sur les droits humains énumère cinq conventions et des engagements sont spécifiés.

Sur la page couverture du plan ZéN, il est reconnu « que les terres où nous menons nos activités font partie des territoires traditionnels non cédés des nations Kanien’kehá:ka, Anishinabeg, Atikamekw, Innus, Mi’kmaq, Hurons-Wendat, Abénaquis, Wolastoqiyik, Cris, Naskapis et des Inuits » (p.2, souligné par l’auteur), mais nulle part dans le document il n’est indiqué que la transition impliquera la restitution sous une quelconque forme de ces terres non cédées aux nations autochtones à qui elles ont été volées. De plus, certains passages semblent indiquer qu’il n’y a pas de véritable remise en question de la souveraineté et de la compétence du Québec sur la totalité du territoire. Dans la section sur l’aménagement des territoires et la biodiversité, il est dit que « le Québec conserve 50% des zones terrestres, d’eaux intérieures, marines et côtières » (p.34), un effacement audacieux des titres fonciers et des droits issus de traités des Autochtones et de la nature contestée des terres au Québec.

D’autres lacunes de ce type sont évidentes dans la feuille de route ZéN. À la page 4, le Québec est présenté comme ayant des émissions par habitant nettement inférieures à celles des autres provinces canadiennes en raison du fait que la production d’électricité au Québec est déjà « presque 100% renouvelable » (p.4). Les barrages hydroélectriques du Québec sont situés dans des territoires autochtones, en grande partie en territoire cri, ce qui a d’énormes répercussions écologiques et sociales. S’enorgueillir sans critique du développement hydroélectrique en cours au Québec, c’est ignorer les vies et les terres autochtones qui ont souffert et souffrent encore pour que les colons québécois puissent bénéficier d’un accès facile à l’électricité. Les plans de transition énergétique fondés sur la justice doivent s’appuyer sur une lecture critique de termes tels que « durable » et « renouvelable » pour interroger de près qui souffre et qui bénéficie de la production d’énergie.

En résumé, notre analyse montre que les peuples autochtones, leurs connaissances et leurs droits sont effectivement reconnus dans le document, mais sans suffisamment de détails et de profondeur et sans engagement concret à démanteler les relations coloniales qui continuent à alimenter les inégalités raciales et la crise climatique. Nous demandons instamment à la FTCE d’apporter les modifications suivantes au document : rechercher et dénominer des droits spécifiques inhérents, conventionnels, constitutionnels et internationaux des Autochtones ; fournir des liens vers les conventions et déclarations spécifiques ; reconnaître que le territoire autochtone « non cédé » signifie que les terres autochtones ont été volées, qu’elles sont toujours contestées et que la revendication du Québec sur toutes les terres et les eaux est fondée sur des bases coloniales et juridiquement faibles ; militer pour que les terres autochtones soient rendues aux peuples autochtones et pour que l’autodétermination autochtone soit rétablie en tant que pilier nécessaire d’une transition énergétique juste ; reconnaître l’héritage de dévastation sociale et écologique que le système hydroélectrique du Québec a laissé et s’engager à développer des systèmes d’énergie renouvelable qui n’impliquent pas de sacrifier les terres et les communautés autochtones au profit des allochtones. Peut-être plus important encore, nous demandons instamment à la FTCE de travailler avec les peuples autochtones à la rédaction et à la finalisation des prochaines versions de la feuille de route. Il ne suffit pas de consulter et d’impliquer les peuples autochtones : la FTCE doit en fait travailler en partenariat avec ceux-ci. Cela signifie qu’elle ne doit pas se limiter à demander à ces derniers de commenter ses politiques et ses projets, mais qu’ils les élaborent ensemble.

 

Conclusion

La feuille de route de ZéN mentionne les contradictions entre la croissance économique et les objectifs climatiques, écologiques et sociaux et va jusqu’à faire état des connaissances et des droits des Autochtones. Notre analyse a montré qu’elle ne nomme pas explicitement les façons dont le capitalisme, le colonialisme et les changements climatiques sont inextricablement liés les uns aux autres et doivent être abordés comme tels. En omettant de nommer ces liens, le document ZéN perpétue un aveuglement (qui fait la réputation du mouvement environnemental dominant) sur les dynamiques de pouvoir qui entraînent la destruction de l’environnement. Cet aveuglement rend les efforts des environnementalistes moins efficaces et renforce le cloisonnement de l’environnement en tant que thème déconnecté des autres problématiques, empêchant ainsi le potentiel de formation de mouvements de masse. La constitution d’un mouvement suffisamment puissant pour transformer nos systèmes économiques et politiques nécessite que nous connections les différentes problématiques, luttes et mouvements.

En explorant les causes profondes du changement climatique, il est possible de mettre en évidence les liens entre les injustices sociales et environnementales. Au Québec, comme ailleurs dans le Nord global, l’économie est basée sur la destruction des systèmes naturels, le vol des terres autochtones et la violation des droits des Autochtones, guidés principalement par les logiques et les relations d’accumulation capitaliste et du colonialisme de peuplement. Les systèmes capitalistes sont régis par la croissance économique et en dépendent. La croissance économique dépend et alimente les inégalités entre les personnes et les nations et dépend de l’exploitation du travail. La croissance économique exige l’expansion sans fin vers de nouvelles terres, la recherche à un accès toujours grandissant aux ressources naturelles, ce qui nécessite notamment le vol des terres des peuples autochtones et la violation de leurs droits. Le vol de terres, la violation des droits, et l’exploitation du travail, tout cela fait appel au racisme, au sexisme, à d’autres hiérarchies de valeurs et de pouvoir afin de justifier et de faire respecter ces injustices.

« Voir le capitalisme et le colonialisme comme des forces structurelles générant l’exploitation et l’écocide » nous enseigne que les logiques du capitalisme colonial ne résoudront pas et ne peuvent pas résoudre les crises qu’elles provoquent (Dawson 2016, 63). Il est essentiel de revoir les systèmes et les structures qui maintiennent en place les injustices et les systèmes énergétiques polluants pour pouvoir choisir des cibles et des stratégies efficaces en identifiant les leviers d’un changement transformateur. Ces liens, ces systèmes et ces structures doivent être compris si nous voulons être en mesure de forger des alliances suffisamment puissantes pour transformer nos systèmes économiques et les éloigner de la destruction, de la domination et des politiques axées sur le PIB. Ils devraient plutôt être orientés vers la justice, la résilience et la durabilité.

Cette première version de la feuille de route ZéN fait allusion aux causes profondes et aux facteurs structurels de la crise climatique, mais ne les rend pas explicites. Elle ne fournit donc pas une feuille de route dont nous avons besoin, c’est-à-dire qui s’aligne sur une compréhension holistique de la situation actuelle. Heureusement, il ne s’agit pas de la version finale du document. Nous encourageons vivement le FTCE à approfondir la conversation et l’analyse en consultant les peuples autochtones et la littérature sur la décroissance. Ce travail est plus important que jamais.

Alors que la crise de la COVID-19 a mis sur pause l’économie et à notre vie ordinaire et que le prix du pétrole a atteint de nouveaux planchers, de nouvelles possibilités de changement systémique et structurel réel se sont ouvertes. Des acteurs issus de tout l’éventail politique se sont efforcés de saisir cette crise pour pousser les systèmes dans les directions qu’ils privilégiaient.  Nous devons travailler avec les communautés, les mouvements et les secteurs afin de générer une vision commune qui puisse créer un contre-pouvoir dans ce moment de transformation. Nous demandons à la FTCE d’utiliser la rédaction de la prochaine version du plan ZéN pour épouser une vision plus puissante, plus holistique et plus transformatrice à laquelle les Québécois progressistes – et pas seulement les environnementalistes – pourront se rallier. Pour ce faire, le plan ZéN doit nommer et cibler activement les causes profondes des changements climatiques et développer une position critique envers la croissance économique.

 

Jen Gobby est post-doctorante à l’Université Concordia où elle poursuit ses recherches sur la transformation sociale et la décolonisation des politiques environnementales au Québec et au Canada. Elle est aussi organisatrice chez Justice Climat Montréal. 

Étienne Guertin est candidat au doctorat à l’Université Concordia au département de géographie, urbanisme et environnement. Son travail porte sur la modélisation du climat et les scénarios/modèles de décroissance au Québec et Canada.

 

Références

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