Par Marie-Eve Blanchard
coupable
de crime
au premier
degré
ça aurait pu
*
être toi
la femme
laissée
pour morte
près
du poêle à bois
*
la manchette
de ce matin
te sert
pour
alimenter
le feu
qui te consume et qui
brûle
la nouvelle du jour
comme sur toi
l’ivresse
des derniers mois
*
vous avez bu
des caisses
de 24 pour
vous rendre l’amour
habitable
dans cette maison où
les moisissures
prolifèrent derrière
les murs
de vos promesses
*
les bûches qui
crépitent
dans le poêle
à bois
te rappellent
les mots
flammèches
dits
*
ceux
capables
de décimer
terres et forêts
maisons et villages
rangs et familles
de mettre
à feu
et à sang
mère et père
amante
et amant
*
tu te dis
que
même si
tu enrichissais
ton vocabulaire de
pauvre
des barils de mots remplis d’espoir pétrole
ça finit toujours tôt
ou tard
par avoir
la peau
de quelqu’un
la tienne de
peau
de chienne
*
l’amour
lorsqu’il est
noir
liquide tout
que tu te dis
*
tu regardes
les bûches
partir
en fumée
et
penses
au fait que
tous les carburants possèdent une même propriété
dégainer la honte
*
honte
de ne
savoir
dire
*
durant
les saisons
de chômage
quand
les enfants te demandent
pourquoi
Chibougamau ce n’est pas
le bout
de ciel
qui ferait briller
leurs yeux
dans un
clair
firmament
mais le bout de la
civilisation
asphaltée
où
les chiens errants
hurlent au reste
du monde
qui
ne les entend pas
*
qui
ne t’entend pas
ne pas
savoir dire
la plus analphabète des pulsions
*
car même les gestes
conformes à l’ordinaire
(une caresse sur la nuque
qui donne à croire
que tout ira bien)
tu ne sais plus
les faire parler vrai
*
dans ces moments où
le vraisemblable t’échappe
tu voudrais
avoir appris à
discerner
les mots qui te manquent de
ton manque de moyens
*
contre le
poêle à bois
est encore accoté là
le tisonnier
*
c’est un matin
de décembre que
se sont élevés
les tisons
de votre désarroi commun
tu jetais
le bois d’allumage
dans le foyer
de votre hiver
conjugal
long et froid et sec
au beau milieu de ce décor
traversé de bord
en bord par une rivière
shabo
gamaw
les mots flammèches
te sont arrivés en
pleine gueule
*
comme d’autres
s’enfargent
en recevant un bâton
de hockey
dans les jambes
tu as
perdu
pied
dans le ventre de la
fournaise
*
étendue
sur le plancher
près
du poêle à bois
tu regardes
l’écorce des
bûches se réduire
en cendre
comme la peau de ton bras de ton cou de ton visage
noircie et
cartonnée
*
tu te demandes
pourquoi
ne pas
avoir mis en carton
les dernières années
à vous saouler de vouloir
encore vous aimer à vous saouler
de vos amours mortes à vous saouler
jusqu’à la lie de votre fin du monde à vous saouler
des résidus de ce que vous étiez avant quand votre bout
de ciel se faisait l’écho de vos aboiements à la lune nouvelle et gibbeuse et pleine
de vos rêves habitables
*
près
du poêle à bois
tu te dis
que c’est peut-être toi
la femme
laissée
pour morte
près
du poêle à bois
*
et
tu en
crèverais
tant
tu en
brûles
d’envie
*
mais
les gens de ta trempe
ça ne crève pas
que tu te dis
tu ramasses les restes
du journal par terre
les mets dans le feu
et souffles
shabo
gamaw
Biographie
Lauréate du Prix de poésie Radio-Canada 2017 pour son poème Louise, Marie-Eve Blanchard a collaboré à divers projets artistiques auprès de Chloé Sainte-Marie, dont le conte musical Une étoile m’a dit pour lequel elle a terminé les textes des chansons inachevées de Gilles Carle. Sur À la croisée des silences, le dernier livre-disque de Chloé Sainte-Marie, on peut entendre sa poésie récitée. Marie-Eve est titulaire d’une maîtrise en études littéraires de l’Université du Québec à Montréal. Féministe engagée, elle travaille et s’implique dans des organismes communautaires en défense collective des droits. Lorsque la conciliation travail-famille-implication le lui permet, elle consacre son temps à l’écriture d’un premier recueil de poésie.
Références
Ce poème, reproduit ici avec la permission de l’auteure, a aussi été publié sur le site web d’Ici Radio-Canada (plateforme Prix de poésie) :
https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/1064774/finaliste-prix-poesie-radio-canada-2017-marie-eve-blanchard
(page consultée le 31 octobre 2019).