La règle du Djeu

Par Roger Stéphane Blaise 

 

Il faut vaincre cette habitude de comprendre en dormant sous des repères coutumiers de classement automatique qui
abolissent la possibilité d’un effort lucide ouvrant la conscience à l’idée nouvelle.

— Roger Gilbert-Lecomte, Le Grand Jeu, avant-propos du premier numéro.

 

J’écris, en équilibre sur la fine pointe de l’instinct
portant mes plus beaux abîmes à bout de bras
sans jamais tomber dans le gouffre de l’ennui.

J’écris, dévalant en retrait cette sempiternelle pente
qui plonge de plain-pied dans l’émotion vive
d’une image fragmentée en paquet suspect.

J’écris à la bonne hauteur offrant la perspective d’une friction prosaïque qui frôle l’imposture du
sentiment légitime d’être suspendu entre les forces de l’étant et de l’insondable.

 

J’écris en ratissant sans fin
l’écume des nuits blanches
cherchant quelques perles multicolores
que je rejetterai dans un univers déroutant.

J’écris comme un obsédé textuel
ces passages furtifs qui se resserrent
dans l’accouchement pénible de termes
donnant naissance à leur déformation avancée.

J’écris par pur prétexte
composant avec le vide de ce que l’on doit panser
et toutes choses qui tombent à pic.

 

J’écris cette réalité à la fois mouvante et incontournable,
simple et augmentée, distincte et universelle, reconnaissable et imprévisible,  dans un style acrobatique
qui retourne toujours sur ses pieds.

J’écris, tout en dépliant l’espace commun
pour y noircir quelques moments d’intimes illuminations,
dans l’espoir de conserver la trace vive du feu sacré.

J’écris, sans pouvoir le dire simplement,
jusqu’au jour où viendra le temps d’en faire le point,
avant que les mots ne se jouent de nous.

J’écris dans un mouvement porté par l’inachevé,
j’investis des sujets hors d’attente
dans l’espoir de saisir un frisson traversant
deux termes poreux qui secouent
ma deuxième peau de mots palpables.

J’écris sur les chemins tordus
qui contournent le for intérieur
jusqu’à l’imprévisible accident de parcours
me poussant vers l’inconnu
pour en faire jaillir le sel d’une vie
qui même dilué dans la nuit des temps
conserve toute sa saveur.

 

J’écris à temps perdu, épluchant la pataphysique,
afin de digérer les jours qui s’épaississent
et les heures qui se corsent autour de soi.

J’écris l’entrée en matière d’une suspension
entre les couches distinctes d’un monde sédimentaire
qui fait face à la facilité des désastres solitaires
avant de subir son fractionnement.

 

J’écris sans feu ni lieu,
Sans foi ni loi, question de
RETROUVER UNE MANIÈRE D’ÊTRE.

Devant la virtuelle procession de nos moutons de Panurge
qui n’ont plus le pouvoir vitreux de libérer l’homme de la masse
J’écris, respirant l’ART frais et la joie du livre

J’écris, tous les jours, ne reculant devant rien
avec un bouquet de pensées dans une main
et des pétales de proses dans l’autre
lançant comme authentique prétexte
l’envie de me jeter dans la flamme
qui jaillit de tes yeux irrésolus

J’écris au rythme de ton corps
couvert de silences occultes
partageant ton dernier soupir
qui emporte les feuilles fanées
dans un quartier de lune vacillant aux effets des marées
avant de s’accrocher à l’impensable blessure.

J’écris des mots malades qui sortent de nos tripes,
des mots imposteurs que l’on sort d’un Haut-de-forme
et les mots cachés que l’on fait jaillir de l’obscurité.

J’écris à bout de souffle,
pour faire glisser le regard dans la traversée du possible,
avant de lancer dans un instant de surprise aveuglante,
une stance qui donne à voir notre disparition tranquille.

 

Ici, bien ailleurs,
J’écris tous ces petits riens qui veulent tout dire
Pour que ces mots à peine perçus
Percent le silence en effleurant le réel
Pour que la finesse d’une pensée fugitive
Véritable combat sur le champ d’axiomes
Puisse pénétrer les prisons de la solitude
Afin de se dresser définitivement contre la mort.

Et puis quelquefois…
Pour tuer le temps,
Je crie
Chargé de tout
Mine de rien
que tout ça n’est pas assez!

Parce qu’un poème n’est jamais complètement fini…

 

Biographie

Double Bachelier en Cinéma à l’UQAM et à l’Université de Montréal en Archivistique / Histoire / Littérature, Roger Stéphane Blaise est fondateur de la maison d’édition Maldoror, ayant publié 4 recueils d’aphorismes sous le pseudonyme de Dali Lama, un essai sur la poésie intitulé Géométrie Accidentelle du Hasard Objectif, ainsi qu’un triptyque de poésie de poche : Les 101 nuances de poésie; Proust-it; Au Café des Poètes. Il est présentement commissaire fondateur des Dix heures de poésie de la Nuit Blanche à Montréal et du Concours de poésie Antidote commandité par Druide informatique.  Invité depuis 2007 au Marché de poésie de Montréal et de Paris, il a présenté son premier recueil : Le Refuge Global, gagnant du Prix de poésie des Franco-fêtes en 2008. Ses aphorismes ont attiré le micro du communicateur Gilles Proulx et ses poèmes, celui de Claudine Bertrand à Radio Centre-ville.  RSB prépare présentement l’ouverture du Café des poètes pour 2020 :  www.facebook.com/groups/289230454741/

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