Rituels (suite poétique)

Par Dominique Gaucher

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À Yvonne América Truque, poète

 

La mort simplifie tout

Ton nom se referme

une bulle

Ta vie devient grosse d’elle-même

Intensité contenue

sous trois mots

Yvonne América Truque

Chacun acquiert une rondeur

dans sa finitude

 

D’un trajet plein de possibles

Heureux ou incertains

Arbres aux multiples

ramifications

 

Ta vie devient une boule

lourde de ses richesses

de ses douleurs

 

Une vie vécue

dans la paix des choses

Les mains jointes dans un cercueil

la papesse a pris le pas sur la guerrière

 

De ton sommeil dans le bois dormant

tu ricanes ou tu souris

de nous entendre te rendre hommage

 

C’est bien fait pour eux

tu te dis

Il était temps

 

La papesse a repris le dessus

Tu veilles sur nos tourments

bien vivants

du haut de ta mort

 

Ta vie se referme

sur tes poèmes

Ton œuvre a pris fin

Le dernier vers était je ne suis plus

Relisez à l’envers à l’endroit

Soupesez chaque mot

J’ai jeté la clé

Ils vous appartiennent

Comme des bulles de l’au-delà

à déchiffrer

fraîches

pleines des mystères de la vie toute proche

Le cœur des mots bat encore à éclater

 

Les mots ne sont pas couchés

au bois dormant

Ma voix les libère

 

La solitude des mots

leur donne une mystérieuse profondeur

C’est une famille terminée

Elle a perdu l’angoisse des possibles

 

Ta chatte

comme toi

ronronne

et la minute d’après

me donne des baffes

 

*

À Pierre Pelletier

Tu n’as pas eu l’une de ces morts

orgueilleuses

Ton frêle esquif n’a pas sombré dans la tempête

Tu n’as pas été éjecté de ta Formule 1

Ton avion ne s’est pas écrasé

 

Tu ne laisses pas ce dernier souvenir

d’un homme dans toute sa force

le sourire éclatant

l’image puissante invaincue

malgré l’échec mortel

 

Tu as eu une mort blanche

Dans le silence de tes neurones

sans savoir ce qui t’arrivait

Nos pleurs autour de toi en ribambelle

 

Tu as eu une mort simple

avec des étapes dûment décidées

Dans l’émotion certes

nous avons guetté ton dernier souffle

sans surprise autre

que le raz-de-marée de notre peine

 

Et puis les mains expertes ont enlevé tuyaux et

tout le tintouin

ta peau de plus en plus blanche

ta main de plus en plus froide

comme une photo qui s’efface

 

Une mort digne

autant que faire se peut

nous debout autour chancelants

 

Rien que cela

 

Et j’ai fermé mes yeux

sur tes yeux clos

à tout jamais

 

À la file indienne

À Gilles Martel

 

Ni guerre ni épidémie

mais ils meurent un à un à nos bras

à nos yeux

Un monde entier

Tous en effilochage

 

Qui

pour toujours

qui

pour ailleurs plus loin

chacun de leurs pas nous distance

laisse un espace d’air trop grand

où le vide s’engouffre

 

Ils préviennent ou ne le font pas

On les voit venir ou on est pris de court

Ils sont fauchés par la mort ou s’y jettent

Les cendres s’accumulent sur nos têtes

 

Il y a ceux qui s’éloignent simplement

se détachent du groupe

leur tour de piste fini

on les imagine rallier un cercle plus rieur

sur sa pente sereine

 

Il y a ceux qu’on voit partir au large

on les devine glisser seuls

silencieux

vers la disparition

définitive

 

Images tragiques ou idylliques projetées

sur notre brouillard secret

 

Je lui demande

Que feras-tu?

Un haussement d’épaules

son sourire énigmatique me répond

Je ferai comme les jours de congé

lirai le journal avec mon café

puis un livre

 

Où est le problème?

 

C’est moi qui l’ai

le problème

À me voir dans le miroir de ses yeux

encore à rouler ma bosse en rond

à faire à reculons ou à la hâte

le décompte des jours

À regarder tomber les feuilles

en toutes saisons

 

 

Ni guerre ni épidémie

mais tout de même la fin d’un monde

gravement inachevé

 

Qu’on nous dise au revoir ou adieu

On nous laisse désemparés

au milieu des décombres

 

 

Fin de règne

 

Ils s’appuient sur leur aisance

invisible bâton de vieillesse

et se vautrent dans le plaisir

passé

entretenu à coups de trésors accumulés

et d’hypocrisies parfois

Ceux qui en ont fait écran avec légèreté

 

La mort de l’un d’eux les rassemble

Tout prétexte est bon

Comme autrefois ils se retrouvent

et sans trop se soucier de l’absent

ils s’agglutinent

à ce qui leur reste d’appartenance

 

Je les regarde de loin

ne partageant pas leurs sourires

les comptant un par un

pour prévoir leur disparition

Je n’appartiens pas à leur passé

 

Je suis d’un autre avenir

très court et si soudain

celui que m’offrent ces jeunes étrangers

que je n’arrive pas à compter

Eux me laissent une place

avec déférence même

dans les interstices de leur mosaïque

conscients du savoir que je porte

le cueillant avec délicatesse

et respect

Oh! Surprise!

 

Comme une Cendrillon

derrière le miroir

en coulisses prolongées

où je mijotais des merveilles

où je noircissais des plans

où j’accumulais l’humus

avant de me taire à mon tour

me voilà bousculée dans la parole

déboulant les étages de ma vie à la course

ramassant au passage tout l’utile

à la vitesse de l’éclair

Et d’un doigté sûr

mon souffle me suit à peine

Mon corps lui

a assumé chaque pas du parcours muet

 

Me voilà devenue un sage

avant même d’avoir été

 

Biographie

Dominique Gaucher est née à Montréal. Lauréate en 1995 des Prix Piché-Le Sortilège du Festival international de poésie de Trois-Rivières et Premier prix de prose de la Société littéraire de Laval, elle est l’auteure de trois livres de poésie publiés aux Écrits des Forges : Solos, Trajets, passages et autres déménagements d’atomes, et Avant de renoncer. Un quatrième livre y paraîtra en 2020 : L’inverse de la lumière. Elle a participé à des lectures et à des festivals de poésie, dont le Festival international de poésie de Trois-Rivières à plusieurs reprises et le Festival international de poésie de Formose.

 

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