Résistance cérémoniale dans la Cordillère

par Chloé Sainte-Marie

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C’est l’été dernier, à l’Isle-Verte, devant la grande souche « bois-de-dérive »
servant d’épitaphe à Gilles Carle, que j’ai senti une voix… la sienne… qui me disait : « Allez, allez, vas-y, le temps est venu de continuer ton travail. Pars, pars et regarde vers l’avant ».C’est la première fois depuis le départ de Gilles qu’un voyage comme celui-ci m’est donné.

Conviée à participer à la grande rencontre annuelle de quatre jours du peuple mapuche sur les marges andines de la frontière Chili-Argentine, je suis allée à la poursuite de la relation innu-mapuche.
Dans le cadre d’un Cérémonial mapuche unique en Indo… Latino-Amérique, jamais n’aurais-je cru vivre si bel et si profond événement.Et j’en sors à jamais marquée.

Durant quatre jours et cinq nuits, les tambours battent sans arrêt et une trentaine de chevaux – dont des sans-selles et des récemment-nés – cavalcadent en grands cercles autour du terrain en hémicycle où nous nous retrouvons rassemblés. Plus de deux cents participants venus de part et d’autre de la frontière Chili Argentine imposée par l’Empire.

Nous ? C’est-à-dire vingt-trois feux et donc vingt-trois familles élargies comptant de huit à douze membres. Puis une centaine de moutons et de cabris qui seront sacrifiés sur place et embrochés aux différents feux pour servir à tous de nutriments. Et aussi, un bœuf symbolisant la force et qui attendra au dernier jour le cérémonial de la despedida pour se voir ensuite libéré.

Nous ? Qui encore ? Les danseurs. Les araucanias, cousins des sequoias qui peuvent avoir deux mille ans d’âge et plus, font partie du cérémonial, en tant qu’officiants ou observateurs millénaires.

Nous et qui d’autre ! Les chiens qui, eux, ne seront pas sacrifiés.

Les condors au loin. La haute vallée et le cercle des montagnes…

Et puis, les esprits. L’âme andine de l’espace dont on sent la présence à même son propre flux sanguin.

J’ai tout vu, tout senti, tout avalé mais une vie entière ne suffira pas à digérer pareil événement. Et je ne pourrai pas donner à voir, car nulle photographie n’était permise et aucun enregistrement n’était autorisé.

Ni même aucun écrit sur le champ.

Mais le mariage du végétal et de l’animal est si puissant, l’amitié de la terre si intense qu’on en reste saisi.

Grande, vaste la mémoire de l’oralité.

Mais aussi, tellement fragile…

Puerto Varas, Sud-Chili.

Biographie 

Chanteuse, actrice et activiste québécoise, Chloé Sainte-Marie (née Marie-Aline Joyale, 1962-) se fait d’abord connaître, dès les années 1980, pour ses rôles au cinéma, avant d’entamer une carrière parallèle en musique folk contemporaine. Sur ses albums les plus encensés et écoutés, elle chante souvent les poètes québécois. En 2009 Chloé fait paraître un album en langue innu- aimun, Nitshisseniten e tshissenitamin (Je sais que tu sais). Par ailleurs, elle est reconnue comme muse et aidante de son conjoint, le cinéaste Gilles Carle, atteint de la maladie de Parkinson. Sous l’égide de Chloé, la première Maison Gilles-Carle, ayant pour mission d’accueillir les personnes en perte d’autonomie, ouvre ses portes en 2012.

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