Afrique subsaharienne : décolonisation, sous-développement et aide au développement

Par Jean-Claude Roc

Après la Deuxième Guerre mondiale, le monde est entré dans une nouvelle phase géopolitique. Sa division en deux camps Est-Ouest axés sur un conflit idéologique.

Face à cette reconfiguration géopolitique et stratégique, profitant du discours anticolonialisme de l’ONU, les colonies africaines se radicalisent et montent au créneau contre la domination coloniale. Les puissances coloniales européennes, concentrées  sur leur propre reconstruction, ouvrent la voie à la décolonisation.

Ce processus étant irréversible, plusieurs colonies ont accédé à l’indépendance par des négociations pacifiques; d’autres par des conflits meurtriers, en particulier les possessions portugaises (Droz, 2006 : 224-228).

L’indépendance devient effective  par la construction d’un État souverain dont les tâches consistent à définir les politiques de gouvernance, de relations internationales, d’implanter des institutions, des structures et des stratégies de développement économique pour assurer le bien-être de la population. Mais, après plusieurs décennies d’indépendance, la majorité des États africains ont peine et misère à construire des infrastructures de développement.

Au cours de la colonisation, ce sont les colons qui détenaient les pouvoirs économiques. Leurs investissements se concentraient sur les produits désirés par les métropoles, principalement les produits non manufacturés. Au moment de la décolonisation, ils laissent les anciennes colonies dans un état de sous-développement qui frappe davantage l’Afrique subsaharienne.

Alors que les investissements privés et publics sont deux agents principaux du développement économique, en Afrique subsaharienne, ils ne sont pas au rendez-vous. D’abord les hommes politiques s’intéressent davantage à la possession du pouvoir, dans plusieurs cas, qui se fait par des conflits armés. Puis, les investisseurs privés manquent de ressources pour soutenir le développement. L’Afrique subsaharienne s’enlise dans le sous-développement et fait partie des régions les plus pauvres de la planète.

Les conséquences du sous-développement : la pauvreté, la prostitution, la sous-éducation et la précarité sanitaire

D’abord la pauvreté. Selon  un rapport publié par la Banque mondiale en 2018[1], l’Afrique subsaharienne compte la moitié des pauvres dans le monde. Les principales victimes de la pauvreté sont les femmes, en règle générale. Se trouvant en situation de précarité  systémique, elles sont nombreuses à se livrer à la prostitution comme activité génératrice de revenus pour échapper à la pauvreté. Les jeunes filles, de leur côté, utilisent deux formes de prostitution, une pour avoir accès à la consommation vestimentaire et esthétique; l’autre, comme moyen de survie familiale. Écoutons à ce sujet le récit d’une mère ghanéenne :

J’étais incapable de subvenir aux besoins quotidiens et nécessaires de mes enfants. Où dormir était un problème. On se battait pour le manger que l’on trouvait difficilement. J’étais incapable de payer leurs frais de scolarité. Mes enfants en avaient assez et ont décidé de prendre leur destin en main. Ma première fille Davies et ses deux sœurs Gloria et Doreen, âgées de 17, 15 et 14 ans respectivement quittent la maison le soir et revenaient le lendemain matin. Elles travaillent le sexe comme moyen de survie (Kapotuf et Ayibani, 2014).

Presque partout en Afrique subsaharienne c’est le même constat : au Sénégal, en Côte d’Ivoire, au Togo (ibid) . La prostitution masculine prend aussi de l’expansion en Afrique subsaharienne, dont la majorité des clients sont des Occidentaux. Il s’agit en grande partie de jeunes enfants de constitution physique précoce que la précarité jette dans l’enfer de la prostitution (Amouzou,2009 : 251).

Le chômage et la sous-éducation sont deux indicateurs de la prostitution juvénile. La combinaison des Programmes d’ajustement structurel, la corruption et la dilapidation des fonds publics  jouent un rôle majeur  dans le sous-investissement en éducation. On assiste  à un manque d’articulation entre les dépenses publiques en éducation et les besoins dans ce domaine. Cette situation entraîne des inégalités en matière d’éducation. Elles prennent forme à travers trois catégories d’enfants.

La première catégorie, ce sont les enfants issus des familles nanties. Elles placent leurs enfants dans de meilleures écoles primaires et secondaires, après quoi elles les envoient poursuivre leurs études dans des universités européennes, américaines ou canadiennes. Une fois leurs études universitaires terminées, certains choisissent de rester à l’étranger; d’autres retournent au pays pour assurer la relève de leurs parents dans l’Administration publique ou dans les affaires.

Les deux autres catégories se composent d’enfants qui n’arrivent pas à terminer leurs études et ceux qui en terminent ayant une formation professionnelle se trouvent exclus du marché du travail. Exposés à la précarité et au chômage chronique, en manque de repères et de perspectives d’avenir, plusieurs s’adonnent à la prostitution comme porte de secours  avec toutes les conséquences de cette pratique sur leur santé et celle de la population, car la prostitution est un agent propagateur du sida.

Le système de santé étant déjà fragilisé par les Politiques d’ajustement structurel, la précarité des ressources humaines et la déficience des infrastructures sanitaires, le sida aggrave les problèmes de santé devant lesquels l’État affiche un comportement démissionnaire.

Aide au développement : synonyme de dépendance

Les problèmes sociaux que nous venons d’exposer  témoignent de l’ampleur du sous-développement de l’Afrique subsaharienne. Pour tenter de s’en sortir, les gouvernements, successivement, se tournent vers les organisations internationales d’aide au développement et aux pays donateurs. Malgré l’apport de l’aide, le problème du sous-développement dans cette région d’Afrique demeure entier. L’aide accordée n’est qu’un palliatif, un pansement qui ne cache même pas la plaie et maintient ces pays dans un état de dépendance qui obstrue toute initiative de création pouvant servir de tremplin, une sorte de catalyseur au développement.

L’aide au développement est contre-productif au développement de l’Afrique subsaharienne, tout comme pour tous les pays du Sud. Les organisations internationales d’aide au développement sont tributaires des contributions des pays du Nord et bien souvent, elles ne peuvent octroyer de l’aide qui contribuerait à un développement économique de ces pays. Au bout du compte, l’effet de l’aide est de les maintenir dans un système de dépendance, une stratégie de domination mise en œuvre  par les pays du Nord pour mieux  servir leurs intérêts géopolitiques et géoéconomiques.

L’Afrique subsaharienne est à un tournant de son histoire qui doit la pousser à comprendre que l’aide internationale ne favorise pas son développement et qu’elle doit trouver une voie automne pour le réaliser. Pour ce faire, il faut mettre fin au système du clientélisme politique, à la corruption; ériger un État de droit et de justice sociale, mettre en place de façon autonome des structures favorisant le développement des industries de pointe, des structures modernes d’agriculture, instaurer des politiques de bonne gestion des ressources naturelles, leur exploitation et leur transformation.

Ce sont ces conditions une fois réunies et mises en pratique qui pourront sortir l’Afrique subsaharienne du sous-développement et par le fait même activer son développement économique qui, à son tour, dégagera des ressources nécessaires pour implanter un système de politiques sociales cohérentes et efficaces afin de répondre aux besoins de bien-être de la population, en général.

Biographie

Jean-Claude Roc est titulaire d’un doctorat  en sociologie et est spécialiste de l’analyse sociologique des mouvements sociaux et de l’économie sociale. Ses intérêts de recherche sont la mondialisation (axes privilégiés : pauvreté, crises, conflits, rapports Nord-Sud)  et le libre-échange. Il enseigne à l’Université du Québec en Outaouais, à l’Université d’Ottawa et est professeur associé à l’ISTÉAH (L’Institut des sciences et des technologies avancées d’Haïti). Il est également membre du comité de rédaction de la revue Possibles.

Références

Amazou, Esse, L’Afrique 50 ans après les indépendances, Paris, L’Harmattan, 2009

Ayibani, T. Imoro et  Isidore Kpotufe, « La prostitution des mineurs en Afrique : un drame social et économique », Contrepoids, 7 décembre 2014

Droz, Bernard, Histoire de la décolonisation au XXe siècle, Paris, Éditions du Seuil, 2006

[1]Agence Ecofin, 20 septembre 2018, consultation en ligne

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