Quand les pratiques interculturelles et antiracistes permettent d’accueillir les autres dans la ville

Par Steves Boussiki et Bochra Manaï

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« La citoyenneté a un jour émané de la ville » (Parazelli et Latendresse, 2006)

« La diversité est ainsi devenue, au fil du temps, une caractéristique intrinsèque de Montréal et de ses plus grands atouts » (Ville de Montréal, 2015)

Montréal, reconnue comme métropole du Québec en 2016, est l’espace le plus attirant pour les nouveaux arrivants, les immigrants, les étudiants internationaux et les demandeurs d’asile ou les réfugiés. La gestion de la diversité à Montréal s’est illustrée par une volonté de centralisation, des enjeux d’inclusion et d’intégration, menant à la création du Bureau d’intégration des nouveaux arrivants à Montréal (BINAM). L’objectif de cette structure est d’assurer l’insertion économique et sociale des Néo-Montréalais grâce à un guichet unique pour les services et les acteurs en lien avec l’installation des nouveaux arrivants.

Dans l’espace de la ville, il subsiste quelques inégalités territoriales en matière d’accueil des Néo-Montréalais. En effet, la distribution spatiale des nouveaux arrivants, selon qu’ils soient des étudiants étrangers, des demandeurs d’asile ou des résidents permanents, s’opère selon des logiques complexes incluant, d’une part, l’accessibilité au logement, au marché de l’emploi, aux services institutionnels et, d’autre part, la volonté des nouveaux arrivants de se rapprocher des groupes locaux qui peuvent aider à leur intégration comme, par exemple, les réseaux communautaires.

Dans ce contexte montréalais, l’arrondissement de Montréal-Nord se présente comme un des espaces clés de l’intégration des populations immigrantes et des demandeurs d’asile. Un bref portrait de la situation s’impose, notamment après les vagues de demandeurs d’asile survenues à la suite des déclarations de Donald Trump aux États-Unis et ayant amené de nombreuses personnes à prendre la route de l’exil de peur d’être renvoyées chez elles.

Nous brosserons donc ici un portrait qualitatif et quantitatif des réalités nord-montréalaises afin d’illustrer les conséquences d’une arrivée importante autant sur le tissu communautaire que sur les pratiques professionnelles. Dans les dernières années, ce qui s’est joué, c’est une amélioration de l’offre de services publics et du continuum de services, mais c’est également une lecture holiste des enjeux urbains de l’accueil des autres. L’analyse apportée ici revient sur la nécessité de décrire les relations interculturelles dans les espaces dans lesquels elles se produisent et se pensent, soit les quartiers et la ville. Ces initiatives basées sur des perspectives interculturelles permettent de consolider, d’après nous, la « citoyenneté urbaine ». En effet, la ville est l’espace par excellence pour poser les questions liées au pluralisme de nos sociétés[1] (Germain, 2002). Le citoyen habitant la ville bénéficie d’un « droit à la ville », indépendamment de son statut juridique, du temps de résidence ou de son origine sociale ou ethnique. La citoyenneté urbaine demeure l’angle le plus pertinent pour analyser la diversité dans l’espace urbain. Si les villes sont l’espace de la pluralité ordinaire, la diversité des citadins devrait y vivre un accès égalitaire aux espaces politiques et aux espaces de la participation citoyenne autant qu’au marché économique.

Théoriquement, on considère l’interculturel dans les deux acceptions proposées par White[2], c’est d’abord sous l’angle des « dynamiques d’interaction entre les personnes ou les groupes d’origines diverses, que ce soit de nature ethnique, religieuse, linguistique, ou autres. Cette « interculturalité », qui fait appel à des interactions quotidiennes et plus au moins observables, est un état de fait qui existe indépendamment des positions normatives face à la diversité (White et al. 2014 : 14). La deuxième acception de White concerne la « politique de gestion de la diversité qui serait spécifique au Québec et qui est souvent opposée au multiculturalisme canadien. »

  1. Du chemin Roxham à Montréal-Nord

Les effets des discours politiques qui criminalisent l’immigration ont un retentissement immédiat dans les espaces urbains. Avant d’arriver à Montréal, les demandeurs d’asile ayant pris la route pour sauver leur vie, ont traversé la frontière américano-canadienne. La plupart d’entre eux, d’origine haïtienne, s’est dirigée vers les lieux où les réseaux étaient déjà existants. À Montréal-Nord, l’expérience faisant suite au séisme de 2010 avait permis de mettre en place un réseau d’entraide appuyé par les institutions locales, élément qui a contribué à l’accueil massif en 2017.

1.1. Une présence nord-montréalaise en chiffres

En date du 31 décembre 2018, les cinq principaux pays de naissance des 27 970 demandeurs d’asile au Québec en 2018 étaient le Nigéria, l’Inde, le Mexique, les États-Unis et Haïti. Près de 3 000 d’entre eux auraient transité ou résideraient sur le territoire de Montréal-Nord. À l’été 2017, le Québec a vu augmenter de façon importante le nombre de demandes d’asile soumises par des ressortissants étrangers en provenance des États-Unis. Ce phénomène a eu des effets significatifs sur les établissements et organismes qui assurent les services de base pour les demandeurs d’asile dans l’arrondissement de Montréal-Nord. Plusieurs acteurs communautaires et institutionnels de l’arrondissement de Montréal-Nord se sont concertés et mobilisés dans le but d’accueillir et de soutenir les personnes et les familles qui se sont installées sur le territoire. La pression sur les organismes communautaires et des établissements du milieu était palpable tant la demande d’accès à des services avait augmenté de manière draconienne. Rapidement, il s’est avéré primordial de réaliser un portrait statistique des demandeurs d’asile afin de mieux mesurer les conséquences de leur arrivée à Montréal-Nord.

Plus de 3 000 demandeurs d’asile se sont installés à Montréal-Nord entre le 1er juillet 2017 et le 31 mars 2018. Entre 2011 à 2016, ce sont 7 620 nouveaux immigrants qui se sont établis à Montréal-Nord d’après les données de Statistique Canada. Parmi les demandeurs d’asile prestataires de l’aide sociale, 88,6 % étaient originaires d’Haïti. Environ 48,8 % étaient des personnes seules, alors que 45,9 % étaient membres d’une famille avec enfants. Plus de la moitié, soit 56,6 %, étaient des d’hommes et 43,6 %, des femmes. Cet afflux de personnes a eu des effets sur les institutions du territoire. La Commission Scolaire Pointe de l’Île (CSPI) a accueilli 405 nouveaux élèves, enfants des demandeurs d’asile résidant à Montréal-Nord. C’est 84,4 % d’entre eux qui ont été intégrés dans une classe d’accueil et 15,6 %, dans une classe ordinaire.

“Les organismes communautaires et les établissements de Montréal-Nord ont également connu une augmentation de plus de 8 200 demandes de services. Les demandes de services proviennent en majeure partie de demandeurs d’asile d’origine haïtienne, soit à 90 %. Les organismes et établissements ont témoigné de plusieurs enjeux relatifs à cet accueil. Leur expérience d’accueil, de service et d’accompagnement des demandeurs d’asile font état de l’ampleur des défis posés par ces nouveaux arrivants : manque de ressources financières, stress et chocs post-traumatiques, plusieurs familles monoparentales, non-maîtrise du français ou de l’anglais, etc”.[3]

1.2. La nécessité d’une vision et d’une organisation commune à Montréal-Nord

Cette arrivée de nouveaux arrivants a créé une pression sur les groupes communautaires et une crise qui a permis à la communauté nord-montréalaise de mener un processus de réflexion en deux phases. Déjà, ce n’était pas la première démarche de solidarité humanitaire, ni de crise, en terme d’accueil et d’intégration des demandeurs d’asile que le territoire a connu. La première remonte à la mise en place des mesures d’urgences relatives au séisme de 2010. Lorsqu’un séisme de magnitude 7,3 sur l’échelle de Richter a ébranlé la population d’Haïti le 12 janvier 2010, le ministère de l’Immigration et la Ville de Montréal n’ont pas tardé à mettre en place un service de soutien pour les familles haïtiennes qui désiraient immigrer dans la grande métropole.

Le projet pilote Soutien à l’intégration, liaison et accompagnement (SILA-Parcours d’intégration) a assuré l’accueil et l’accompagnement d’une quarantaine de familles haïtiennes nouvellement arrivées dans l’arrondissement Montréal-Nord. De cette expérience traumatisante pour les Haïtiens, Montréal-Nord a montré une capacité de résilience, de solidarité et d’organisation. Cela dit, au fil des ans, si le séisme a permis de révéler les lacunes en matière d’accueil, cela n’a pas mené à une collaboration unique, à un seul organisme dont le travail serait concerté, mais à une multitude d’organisations œuvrant chacune de son côté à l’accueil. La crise des migrants venant des États-Unis a mené le milieu à se questionner sur les limites des mesures d’urgence. Montréal-Nord avait manqué l’occasion en 2010 de faire du SILA une mesure permanente capable de répondre tant aux situations d’urgence qu’aux enjeux permanents inhérents à l’accueil et à l’intégration des nouveaux arrivants. Par ailleurs, la mobilisation des acteurs a révélé deux réalités importantes qui ont été à l’origine de la mise en place du comité immigration et vivre ensemble (CIVE) par les acteurs de la Table de quartier de Montréal-Nord.

D’abord, cela a mis en exergue la transversalité des problématiques liées à l’accueil et à l’intégration pour l’ensemble des services offerts aux néo-citoyens. Que l’on soit un organisme dont la mission de base est l’éducation, l’emploi, le logement, la lutte à la violence faite aux femmes ou encore l’agriculture urbaine lorsqu’on œuvre dans Montréal-Nord, 40 % des demandes d’accès aux services proviennent des nouveaux arrivants. Dans le cas des demandeurs d’asile, la sollicitation des usagers des services se réalisaient dans des organisations qui n’offrent pas nécessairement de services destinés aux néo-arrivants. Par ailleurs, la plupart des demandes reçues par les organismes ne correspondent pas à leur mission ni à leur expertise. L’enjeu du référencement et de la cohésion de l’action publique et communautaire s’est posé. Ainsi, c’est toute la capacité à développer une vision et des pratiques basées sur les réalités des demandeurs d’asile d’une part, et une concertation évolutive qui porterait les enjeux globalement liés aux relations interculturelles, qu’il fallait accompagner et renforcer. Toutefois, un fait était marquant : la Table de quartier reconnaissait le racisme comme étant un enjeu prioritaire.

Ensuite, cela a permis de lire le désarroi des demandeurs d’asile vivant des conditions difficiles. Alors que les gouvernements fédéral et provincial débattaient des responsabilités dans la gestion de l’accompagnement social de cette population, Montréal-Nord continuait quotidiennement à recevoir des demandes d’aide d’urgence. Rapidement, le milieu communautaire et institutionnel a opté pour une mesure durable qui prenne en compte la nécessité de défendre les droits d’une catégorie migratoire qui subissait une forme de discrimination au nom des normes juridiques.

L’absence assez généralisée de services structurés d’accueil et d’accompagnement des nouveaux arrivants à Montréal-Nord a eu pour effet de placer Montréal-Nord dans une situation d’iniquité dans l’accès à des fonds réservés aux nouveaux arrivants. Il importait que les intervenant-e-s de Montréal-Nord reconnaissent et corrigent cette lacune. Avec le nombre grandissant de nouveaux arrivants et de demandeurs d’asile à Montréal-Nord, il devenait urgent de développer un positionnement commun pour la création d’une structure dont la principale mission serait de coordonner localement une offre de services reliant l’accueil, l’établissement et l’intégration des nouveaux arrivants et des demandeurs d’asile.

  1. De l’éclatement des organisations vers une centralité et une lisibilité des services

L’intégration de cette clientèle très vulnérable continue d’être, pour le territoire, un véritable défi auquel il fallait répondre, en accord avec les principes d’équité et du droit des personnes à bénéficier des services publics et communautaires. Les besoins sont à la fois multiples, complexes et diversifiés. Dans ce contexte, et pour avoir une meilleure adéquation entre les offres de services, il fallait une grande capacité de s’ajuster à la demande et aux besoins de la clientèle ciblée, comme nous l’exposerons plus loin avec l’exemple de la garde d’enfants des femmes monoparentales.

Par cette démarche, le CIVE a voulu dans un premier temps répondre à un enjeu de cohérence de l’action publique en matière d’accueil et d’intégration des personnes migrantes sur le territoire de Montréal-Nord, et plus particulièrement, l’absence d’un organisme dont la mission serait l’accueil et l’intégration des nouveaux arrivants. Dans un second temps, les membres du CIVE se sont engagés dans le soutien aux personnes demandeuses d’asile et à toutes les personnes vivant une situation de discrimination raciale ou sociale. Le sens du mandat de défense des droits qui est confié à cet organisme est primordial étant donné l’urgence soulevée par la Table de Quartier de Montréal-Nord à travailler l’enjeu du racisme systémique. Cette réponse adaptée à la réalité de ce milieu et qui s’inscrit dans une vision durable et flexible de l’accueil, de l’intégration et du vivre ensemble harmonieux, donne au territoire l’occasion d’ancrer sa propre lecture des enjeux interculturels.

La mort de Freddy Villanueva en août 2008 a mis Montréal-Nord sous les projecteurs des médias, décrivant les multiples problématiques sociales qui se concentrent sur le territoire : pauvreté, racisme, profilage social et racial etc. Le contexte de la dernière décennie fut marqué par plusieurs dynamiques : une dynamique locale complexifiée par le déni politique des enjeux sociaux du territoire et un discours médiatique mettant l’accent sur le racisme et le profilage. Plusieurs transformations se sont produites durant les dernières années. La reconnaissance sur le plan politique municipal et provincial des enjeux du racisme systémique et une généralisation de cet enjeu dans les discours des acteurs permet de revisiter la gestion de la diversité, souvent comprise par certains acteurs politiques comme un travail sur les enjeux liés à l’interculturalisme. Or, ce que Montréal-Nord permet de décrire, c’est bien la nécessité de lier l’interculturel et l’antiracisme : « l’usage de la lecture interculturelle ou de la cohabitation interethnique a parfois éludé des conditions de vie précarisées, vécues par les Autochtones ou les populations racialisées[4] » (Manaï et Bensiali, 2018). Cette perspective permet en effet de répondre aux problématiques sociales et territoriales de façon holistique.

Qu’est-ce que l’arrivée des demandeurs d’asile a révélé en matière d’organisation communautaire et de vision collective ? Les acteurs du milieu, composés par des organismes communautaires ou des institutions, semblent avoir pris au sérieux les crises des réfugiés pour transformer leurs pratiques et procéder à un travail concerté, qui s’appuie de plus en plus sur la complémentarité des expertises et des actions. À partir de 2017, sous l’impulsion de la Table de Quartier de Montréal-Nord, un comité travaillant sur les enjeux du Vivre-Ensemble et de l’Immigration est né. Le CIVE a permis d’implanter la perspective concertée de l’accueil des migrants et demandeurs d’asile ou réfugiés à Montréal-Nord. Déterminés à travailler collectivement malgré les divergences ou la concurrence potentielle de financement, les acteurs ont été accompagnés dans cette démarche par les bailleurs de fonds. Au courant de l’année 2018, les acteurs sont passés d’une juxtaposition de l’offre de services à la possibilité de travailler collectivement sous le chapeau d’une seule organisation. En effet, un organisme qui pense l’intégration, civique, sociale et économique est devenu une nécessité. Cela s’est avéré être une possibilité de renforcer l’intégration des nouveaux Montréalais.

Cet organisme a pour mission d’accueillir les personnes nouvellement arrivées, de les accompagner et de les aider dans leurs démarches pour s’établir et participer pleinement à la vie sociale, économique et communautaire et ce, en leur offrant les outils pour agir sur leur intégration et devenir des citoyens autonomes et actifs. Ainsi fut énoncée par le milieu la mission de l’organisme à venir :

« Notre organisme assure un référencement et un accompagnement personnalisés basés sur une approche intégrale qui prend en compte d’abord et avant tout l’expérience vécue par la personne nouvellement arrivée pour évaluer, avec elle, ses besoins, ses atouts et les objectifs qu’elle souhaite atteindre dans son parcours d’intégration. En mettant de l’avant un type d’accompagnement et d’entraide fondé sur la reconnaissance des qualités et des compétences de la personne, ainsi que de son potentiel d’épanouissement dans la collectivité, l’organisme contribue au développement de relations interculturelles harmonieuses et à la qualité de vie, tant pour les personnes nouvellement arrivées que pour celles de la communauté d’accueil. »

Trois mandats sont assumés par la nouvelle structure tel que l’ont identifié les acteurs du milieu et plus particulièrement au sein du CIVE. Il s’agit d’assurer aux personnes nouvellement arrivées à Montréal-Nord un accès facile à des services et outils leur permettant de résoudre les multiples enjeux rencontrés dans leur parcours en ce qui a trait aux aspects suivants : l’installation, l’alimentation, les démarches d’immigration, administratives et légales, la socialisation et les loisirs, les soins de santé et le soutien psychosocial, l’aide à l’emploi, la formation et l’éducation des adultes, la petite enfance, l’éducation et la réussite éducative, la défense et la promotion des droits et enfin les relations interculturelles.

Pour ce faire, cet organisme procure un référencement organisé et soutenu par un système de mise à jour de l’offre des services et des disponibilités des acteurs. Il coordonne les ressources du milieu, notamment en fournissant un appui logistique pour la prestation de services et la tenue d’activités. En situation d’urgence, liée à un afflux élevé de réfugiés ou demandeurs d’asile, il met en œuvre, avec les organismes partenaires, un plan de mobilisation et d’action concertée. Enfin, il s’agit d’appuyer les organismes partenaires dans leurs interventions auprès des nouveaux arrivants. Pour ce faire, cet organisme maintient une veille sur la situation et les dynamiques d’immigration à Montréal-Nord et ailleurs. Il coproduit avec les organismes partenaires des indicateurs communs pour le suivi et l’évaluation globale de l’accueil et de l’intégration à Montréal-Nord et pour contribuer, le cas échéant, à une mise à niveau en fonction des besoins émergents. Il documente et diffuse auprès des organismes partenaires les connaissances ainsi produites. Il co-organise des formations pour les intervenants et organismes de Montréal-Nord et d’autres territoires, notamment pour sensibiliser aux pratiques interculturelles les plus intéressantes.

Afin d’offrir des services professionnels, équitables et efficaces dans le respect des personnes, l’organisme s’appuie sur un lieu multi-services facilement identifiable, accueillant et accessible, complété par des ressources coordonnées et disponibles dans divers points de services. L’objectif est également d’avoir des accompagnateurs multilingues et des équipes d’intervenants sensibilisés aux parcours des nouveaux arrivants et formés pour interagir en contexte interculturel. Des citoyens engagés dans des activités d’entraide, d’accompagnement et d’échange interculturel avec les nouveaux arrivants se sont également joints à ces intervenants pour apporter leur expérience. Enfin une ligne téléphonique d’information et une plateforme en ligne des services permettent d’offrir l’accessibilité à tous les citoyens.

L’exemple d’une meilleure lisibilité et d’une centralité plus accrue des services peut être illustré par l’exemple vécu par les populations de femmes monoparentales accueillies à Montréal-Nord. En effet, nombre d’entre-elles avaient des difficultés à s’insérer sur le marché du travail parce qu’elles n’accédaient pas aux services de garde. Cet exemple montre l’intersection des oppressions pour certaines catégories comme les femmes : Emploi, Conciliation Travail-Famille et Accès aux institutions telles que les CPE. Or, c’est en ayant une lecture interculturelle, antiraciste et intersectionnelle que les enjeux peuvent trouver des réponses adéquates. Ce cas illustre la nécessité pour les institutions de lire les réalités des citoyens dans la plus grande complexité, comme est en train de le faire la Ville de Montréal en proposant à ses fonctionnaires des formations ADS+, soit une analyse différenciée selon les sexes avec une perspective intersectionnelle, incluant les différences ethniques ou raciales. La nécessite de la lecture interculturelle s’ajoute à l’importance des perspectives antiracistes et intersectionnelle. C’est bien ce travail réalisé collectivement qui permet d’accueillir les « autres » dans la ville. En effet, la qualité de l’accueil garantit plusieurs éléments qui ont un effet sur la vie des migrants et leurs familles : insertion sociale et économique, insertion civique et sentiment d’appartenance.

 Conclusion : Montréal-Nord : un laboratoire de la citoyenneté urbaine montréalaise

Cet organisme pivot, qui pense l’intégration, civique, sociale et économique est primordial pour travailler à partir des besoins des habitants, d’après leurs caractéristiques démographiques, plutôt qu’à partir de l’offre existante proposée par les organismes communautaires. Cette nécessité d’adaptation des organisations s’inscrit dans la volonté de renforcer l’intégration sociale et civique des nouveaux Montréalais. En effet, cette initiative permet d’illustrer l’idée de « citoyenneté urbaine ». Ce concept permet de dépasser le biais qui consiste à considérer l’immigrant uniquement comme une ressource économique, perspective qui continue de teinter le travail de bien des organisations telles le BINAM. Cette vision de l’immigration réduit les individus à une ressource pour le travail, et, dans ce contexte, le fait que ce travail soit précarisant ou déshumanisant ne semble guère compter. En somme, les pratiques et initiatives développées à Montréal-Nord illustrent comment la vision holistique des enjeux vécus par les individus et les communautés nécessite des solutions politiques et des programmes publics qui parachèvent la citoyenneté urbaine.

La perspective d’intégration sociale et économique des nouveaux citadins devrait toujours inclure une perspective civique et citoyenne. Sans quoi la ville, bien qu’étant un espace d’accueil par excellence, devient un espace producteur d’inégalités. En effet, comme le précise le dernier avis du Conseil Interculturel de Montréal[5] (CIM, 2018), la citoyenneté urbaine doit se définir comme la possibilité pour toutes et tous d’accéder à la participation civique, sans différence de statuts.

Références

Arrondissement de Montréal-Nord. PORTRAIT DES DEMANDEURS D’ASILE ÉTABLIS À MONTRÉAL-NORD, pour la période du 1er juillet 2017 au 31 mars 2018 – Arrondissement de Montréal-Nord

CIM, 2018. Vers une citoyenneté urbaine favorisant la pleine participation de toutes et de tous. Avis sur la participation des Montréalais issu.e.s de la diversité à la vie municipale. Avis déposé en juin 2018

Germain, A. et M. Sweeney, 2002. La participation des organismes s’occupant d’immigrants ou de communautés culturelles aux instances de concertation de quartier, Rapport de recherche préparé pour la Ville de Montréal, Montréal : Institut national de la recherche scientifique, Centre – Urbanisation Culture Société.

Manaï, B. et C. Bensiali. L’antiracisme au quotidien, in L’intervention interculturelle 3ème édition sous la direction de L. Rachédi et B. Taïbi. Éditions La Chenelière, Publication à venir.

White, B., L. Emongo et G. Hsab, 2017. « Présentation : vers une anthropologie de l’interculturel », Anthropologie et Sociétés, 41(3) : 9-27

 

Biographie

Steves Boussiki est diplômé en sociologie et en administration publique. Il est directeur de la Table de Quartier de Montréal-Nord. Il a été initiateur de plusieurs projets visant à renforcer la capacité d’agir des communautés et à promouvoir leurs objectifs collectifs.

Bochra Manaï est docteure en Études Urbaines. Ses recherches portent sur les enjeux migratoires et sur l’altérité dans l’espace urbain. Elle a notamment travaillé sur les communautés maghrébines du Québec. Auteure de l’ouvrage Les Maghrébins de Montréal aux PUM, elle travaille également dans le milieu communautaire à Montréal-Nord.

 

[1]Germain, A. et M. Sweeney, 2002. La participation des organismes s’occupant d’immigrants et/ou de communautés culturelles aux instances de concertation de quartier, Rapport de recherche préparé pour la Ville de Montréal, Montréal : Institut national de la recherche scientifique, Centre – Urbanisation Culture Société.

[2]White, B., L. Emongo et G. Hsab, 2017. « Présentation : vers une anthropologie de l’interculturel », Anthropologie et Sociétés, 41(3) : 9-27

[3]PORTRAIT DES DEMANDEURS D’ASILE ÉTABLIS À MONTRÉAL-NORD, pour la période du 1er juillet 2017 au 31 mars 2018 – Arrondissement de Montréal-Nord

[4]Manaï, B. et C. Bensiali. L’antiracisme au quotidien, in L’intervention interculturelle 3ème édition sous la direction de L.Rachédi et B. Taïbi. Éditions La Chenelière, Publication à venir.

[5]CIM, 2018. Vers une citoyenneté urbaine favorisant la pleine participation de toutes et de tous. Avis sur la participation des Montréalais issu.e.s de la diversité à la vie municipale. Avis déposé en juin 2018