Migration et immigration : enjeux politiques contemporains?

Par Jean-Claude Roc

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De nos jours, la question de la migration et de l’immigration fait partie des échiquiers politiques dans plusieurs sociétés.

Le but de ce texte consiste à jeter un regard sur l’appropriation de ces notions à des fins électoralistes par certains dirigeants politiques, de partis politiques, dans plusieurs pays européens, aux États-Unis et au Brésil et de présenter comment, au Québec, les partis politiques font de la question de l’immigration un enjeu politique.

Les causes actuelles de la migration et de l’immigration clandestines

Les mouvements migratoires ont toujours existé. Ils ne datent pas d’hier, ils ont été développés par la colonisation sur une grande échelle par les Européens, qui ont envahi l’Afrique et d’autres régions du monde.

Au cours de l’histoire, les Occidentaux ont défini à leur manière les notions de migration et d’immigration dans une grille typologique. Ils ont institué des lois contraignantes et sélectives qui pénalisent les ressortissants des pays les moins nantis. D’où la migration et l’immigration clandestines.

Á l’époque de la guerre froide, les gens fuyaient partout dans le monde, principalement pour échapper aux régimes répressifs, dictatoriaux.

Présentement, la migration prend la forme d’un exode massif avec les flux de migrants, ressortissants des pays d’Afrique, du Moyen-Orient, d’Asie et de l’Amérique centrale, pour ne nommer que ceux-là. Les causes qui les poussent à migrer sont multiples : crises politiques, conflits armés, discrimination ethnique, conditions socio-économiques alarmantes. Dans la plupart de ces pays, la majorité des gens vivent avec moins de 2 $ par jour. C’est pour échapper à ces conditions de vie qu’un grand nombre de ces migrants exposent la leur dans les eaux de la mer Méditerranéenne pour trouver refuge dans les pays où la vie leur parait plus facile.

L’exode migratoire auquel on assiste confirme les très grandes disparités entre le Nord richissime et le Sud appauvri, qui s’expriment à travers les profondes inégalités engendrées par la mondialisation.

La crise migratoire dont font état les pays du Nord est la conséquence des effets pervers de la mondialisation, en coinçant dans la pauvreté absolue la majorité de la population des pays du Sud.

Au Nord comme au Sud, on instrumentalise les migrants et les immigrants

Au lieu de comprendre la détresse de ces infortunés et de prendre des mesures favorables pour les accueillir, les politiciens de la droite et de l’extrême-droite utilisent principalement et sans merci la question de la migration et de l’immigration pour réveiller un certain fond de racisme et de xénophobie chez une partie de la population de leur pays, à des fins politiques.

Nous pouvons citer, en premier lieu, le cas de Donald Trump, président des États-Unis. Il véhicule un discours associant les immigrants à toutes sortes de criminels qu’on trouve dans son pays : violeurs, meurtriers, trafiquants de drogue, etc. D’où sa fascination à construire un mur pour empêcher ces gens du Mexique, de l’Amérique centrale, qui fuient la pauvreté, la violence et la misère, pour trouver refuge sur le territoire étasunien. La construction de ce mur ou toute autre forme de répression migratoire symbolise la lutte anti-immigration pratiquée par Donald Trump pour satisfaire son électorat aux prochaines élections.

Au Brésil, le président Jair Bolsonaro, au cours de sa campagne électorale, a tenu un discours très critique à l’égard des immigrés et des minorités. Un discours marqué du sceau du racisme et de la xénophobie adressé, en particulier, aux immigrés africains (Sénégalais, Guinéens, Nigérians, Angolais, Somaliens) qui, au cours de ces dernières années, ont atterri au Brésil par dizaines de milliers à la recherche d’une nouvelle terre d’accueil, à la suite des difficultés de plus en plus grandes liées à leur accès aux territoires européens[1].

Dans plusieurs pays d’Europe, le discours anti-immigration occupe l’espace politique. Au Danemark, le Parti du peuple danois emploie une rhétorique anti-immigration raciste et xénophobe d’une rare ampleur. Il voit les immigrants comme un véritable danger pour la société danoise. Voici comment le député Per Dalgaard exprime la xénophobie de son parti envers les immigrants : « Ils sont éminemment criminels. Nous voulons notre bon vieux Danemark. Nous faisons tout ce que nous pouvons pour que ces sauvages, qu’il est impossible d’intégrer, soient renvoyés chez eux. Chez eux où règnent les conditions qu’ils préfèrent : le chaos, le meurtre, le vol et l’anarchie » (Blanc-Noël, 2016 : 327).

Dans d’autres pays européens, l’extrême-droite se manifeste aussi. Prenons le cas de l’Allemagne avec la montée néonazie. En France, le Rassemblement national, le parti dirigé par Marine Le Pen, a obtenu lors des élections présidentielles 34 % des votes, en mettant l’accent sur la lutte anti-immigration. En Autriche, la coalition de la droite et de l’extrême-droite arrive au pouvoir grâce, en partie, à son discours anti-immigration. En Italie, le discours anti-immigration a permis au parti d’extrême-droite de Mattéo Salvini de former un gouvernement de coalition[2]. En Hongrie, le premier ministre conservateur Viktor Orban mène une politique anti-immigration autoritaire et répressive. En Pologne, le gouvernement ultraconservateur rejette le Pacte de l’ONU sur les migrants et affiche une forte position anti-immigration[3].

La situation au Québec

Au Québec, les partis politiques ne mènent pas une lutte anti-immigration comme cela se passe un peu partout ailleurs, ni une politique migratoire axée sur la xénophobie et le racisme. Il reste que la question de l’immigration façonne, ici aussi, le paysage politique de la société québécoise. Elle a été un enjeu politique lors de la dernière campagne électorale d’octobre 2018. C’est ainsi que les trois principaux partis politiques, le Parti libéral PLQ), le Parti québécois (PQ) et la Coalition Avenir Québec (CAQ), ont fait de l’immigration l’un de leurs enjeux électoraux

Nous portons notre regard sur le projet de loi concernant l’immigration et le test des valeurs mis de l’avant par la CAQ.

Dès son arrivée au pouvoir, elle dépose son projet de loi 9 sur l’immigration et le test des valeurs. L’ossature de ce projet de loi est la francisation des immigrants comme facteur d’intégration.

Il en va de l’ordre culturel et social que l’immigrant puisse communiquer dans la langue de la majorité de la société d’accueil. À cet égard, il est tout à fait fondé que le gouvernement de la CAQ applique une politique d’apprentissage du français aux immigrants qui n’ont aucune connaissance de cette langue.

Malgré l’importance de cette politique de francisation des immigrants, elle pose une certaine interrogation, du fait que l’apprentissage du français aboutit à un test de passage dont dépendrait le fait de rester au Québec. Le résultat de tout test est formel, soit la réussite ou l’échec. Qu’adviendra-t-il à ceux qui ne réussiront pas ce test de français, puisqu’il s’agit du passage obligé à l’intégration et à l’obtention du Certificat de sélection du Québec? Dans un tel contexte, ceux qui réussiront ce test de français seront qualifiés pour demeurer au Québec, et ceux, qui, au bout de trois ans, n’arriveront pas à le réussir, seraient-ils-renvoyés du Québec? Force est d’admettre qu’il s’agit d’un test d’inclusion et d’exclusion.

L’autre volet de la politique d’immigration du Québec renvoie à la question identitaire et à son corollaire, la laïcité. Lors des élections de 2012, le PQ mettait de l’avant la charte des valeurs, comme instrument appelé à résoudre le problème de la laïcité. Aux dernières élections, en octobre 2018, il revendique l’adoption d’une loi visant à interdire le port des signes religieux pour les agents de l’État en position d’autorité. Le PLQ joue sur la neutralité de l’État. Á Québec solidaire (QS), on n’a pas encore de consensus sur la position à adopter face aux enjeux de la laïcité.

En attendant la présentation de son projet de loi sur la laïcité, la CAQ va de l’avant avec le projet de loi 9 sur les valeurs québécoises. Ce projet de loi vise l’interdiction du port des signes religieux par toute personne en autorité : juges, policiers, gardiens de prison, enseignants du primaire et du secondaire.

Femmes et communautés musulmanes

Ce projet de loi sur les valeurs québécoises ne s’adresse-t-il pas particulièrement à la communauté musulmane, dont les membres, principalement les femmes, portent des signes religieux visibles? Ce sont elles qui feront les frais de ce projet de loi, parce que ce sont elles qui portent le foulard, le niqab, le hijab, le tchador, qui sont à la fois des symboles culturels et religieux et ne pourront pas avoir accès aux emplois dans les services publics en cas de désobéissance à ce projet de loi. Mais, si les enseignants dans les écoles publiques primaires et secondaires sont frappés par l’interdiction du port des signes religieux, il n’en est pas de même pour ceux qui enseignent dans des écoles privées subventionnées. Écoutons là-dessus le premier ministre du Québec, François Legault : « Certaines écoles privées, quand on regarde la petite histoire, ont été gérées par des religieuses ou différents groupes proches de certaines religions. Ce n’est pas notre intention de les inclure au projet de loi » (Pilon-Larose, 2019).

Si l’on tient compte de ces considérations, on peut dire que la question de l’interdiction de port de signes religieux aux enseignants est subjective et empreinte de partialité. Concernant ces écoles privées, plusieurs ont un ou des religieux dans leur conseil d’administration ou au sein de leur équipe de direction. Et comme l’explique cette jeune étudiante : « Nous avons souvent dans nos classes des religieuses discrètes qui portent des croix ou des voiles » (Leroux, 1998 : 195).

L’égalité entre hommes et femmes évoquée par la CAQ et le PQ comme l’une des dimensions de la laïcité ne devrait-elle pas s’appliquer en premier lieu en termes économiques, sur le marché du travail, dans les professions; mais pas uniquement à des comportements vestimentaires que les partisans de cette laïcité considèrent comme des marques d’oppression, de domination de l’homme sur la femme et, que de l’autre côté, on considère comme des valeurs culturelles et religieuses? En dehors d’un compromis sur cet enjeu, le conflit sur cette question restera ouvert de manière récurrente.

Une laïcité complexe

Aujourd’hui, la laïcité devient complexe avec « la montée de l’individualisme, l’affaiblissement des mécanismes traditionnels d’intégration, l’émergence des groupes sociaux issus de l’immigration, devenus numériquement importants » (Tardif et Fachy, 2011 : 39). De plus, ils revendiquent la reconnaissance de droits culturels (ibid.).

Les pays occidentaux ont du mal à vivre avec cette complexité et à trouver de nouveaux mécanismes conviviaux pour rendre la laïcité plus ouverte et moins conflictuelle. D’où l’application des mesures répressives, d’intolérance et d’exclusion exercées par des gouvernements de la droite et de l’extrême-droite à l’encontre des immigrants. Ils instrumentalisent la question de l’immigration à des fins politiques.

Conclusion

Hier, le discours de la droite et de l’extrême-droite, pour s’imposer comme force politique, s’articulait autour du communisme et du socialisme présentés comme des vilains méchants. Avec la fin de la guerre froide, cette rhétorique ne tient plus. Et pour cause, ces formations politiques profitent de la crise migratoire, résultat du capitalisme le plus débridé de l’Histoire, pour faire de l’immigration leur cheval de bataille politique.

De plus, la faiblesse de la gauche socialiste à proposer des alternatives face à la mondialisation néolibérale crée un terrain propice à la droite et à l’extrême-droite pour s’affirmer en tant que forces politiques face à l’idéologie dominante, dont l’une des caractéristiques est d’être anti-immigration.

Cependant, si, au Québec, l’extrême-droite est absente du paysage politique, il n’en demeure pas moins que la question de l’immigration occupe un espace non négligeable dans les débats politiques, dont chaque parti cherche à soutirer profit.

Biographie

Jean-Claude Roc est docteur en sociologie, spécialiste de l’analyse sociologique des mouvements sociaux et de l’économie sociale. Intérêts de recherche : mondialisation et libre-échange. Il enseigne à l’Université du Québec en Outaouais, à l’Université d’Ottawa et est professeur associé à l’ISTÉAH (Institut des sciences et des technologies avancées d’Haïti).

Références

Blanc-Noël, Nathalie, L’extrême-droite en Europe, Bruxelles, Bruylant, 2011.

Leroux, Georges, dans Champ multiculturel transactions interculturelles, Paris, L’Harmattan, 1998.

Pilon-Larose, Hugo, La Presse, 30 janvier 2019.

Tardif, Jean et Joëlle Farchy, Les enjeux de la mondialisation culturelle, Paris, Le Bord de l’eau, 2011.

[1] Monde/Afrique/Politique, 10 octobre 2018, consultation en ligne.

[2] Sud-Ouest, 7 septembre 2018, consultation en ligne.

[3] Les Échos, 27 octobre 2018, consultation en ligne.