Par Anouk Brisebois
Les changements climatiques représentent un enjeu de taille pour l’avenir de la planète et de ses sociétés. Les migrations seront un des défis auxquels elles devront faire face. Selon un article publié en janvier 2011 par l’Association américaine pour le progrès de la science, il y aura plus de 50 millions de migrants environnementaux d’ici 2020 (Black and al. 2011, 3). Il est alors possible de se poser la question suivante: en quoi les pays d’accueil affectent l’identité des migrants climatiques, du point de vue de leur attachement au lieu d’origine, de leur culture et de la gestion de la diversité culturelle ? Afin de tenter de répondre à la question, le présent travail fera le lien entre les changements climatiques, les migrations, ainsi que leurs impacts sur l’identité des migrants climatiques. Nous étudierons pour cela les migrations forcées, l’assimilation et l’intégration des populations des îles et atolls du Pacifique en Australie. Cette étude de cas est pertinente puisque les populations de ces îles et atolls seront confrontées à « la perte possible de cultures entières » en raison des changements climatiques, selon l’ancien président du GIEC, Robert Watson (Barnett et Adger, 2003, 326). Finalement, cet article proposera des pistes de réflexions et de réponses à cette question de recherche.
Mise en contexte
Les changements climatiques et leurs effets
Il est impossible aujourd’hui de lire les journaux ou de regarder les nouvelles sans tomber sur des événements liés de près ou de loin aux changements climatiques. Ceux-ci sont de plus en plus fréquents, intenses et complexes, et sont souvent liés à l’augmentation des températures globales, à l’amplification des gaz à effets de serre présents dans l’atmosphère et aux déséquilibres des écosystèmes. L’un des effets majeurs des changements climatiques est l’élévation croissante du niveau de la mer. Celle-ci provoque un risque accru d’inondation côtière, d’érosions des terres et des écosystèmes côtiers, de développement de maladies d’origine hydrique et alimentaire, ainsi qu’une augmentation de la salinisation des terres agricoles se trouvant à faible altitude. L’élévation du niveau de la mer entraîne également la perte d’écosystèmes tels que les zones humides et les mangroves, et peut entraîner une perte permanente de terres.
Un autre impact des changements climatiques est l’amplification de la fréquence et de l’intensité des tempêtes tropicales et des cyclones. Cela augmente par le fait même le risque d’inondation et de dommages sur les côtes. Une hausse de la fréquence ou de l’intensité des tempêtes tropicales a toutefois probablement moins d’impact significatif sur la migration, car ceux-ci ont toujours créé moins de déplacements que la montée du niveau de la mer, même si cela pourrait changer.
Les changements climatiques influent également sur les cycles de précipitations, ce qui a pour effet d’augmenter les risques d’inondations des cours d’eau, d’amplifier le nombre et l’intensité des incendies, et de réduire la disponibilité en eau, tant pour les usages domestiques, municipaux, industriels et agricoles. Ces impacts peuvent ainsi avoir des répercussions négatives sur la productivité agricole.
Finalement, l’accroissement tendancielle de la température globale augmente la fréquence des températures extrêmes. Celles-ci ont des impacts sur le stress lié à la chaleur et affectent la productivité des cultures et l’approvisionnement des services provenant des différents écosystèmes, accélérant la migration des populations provenant des zones rurales vers les zones urbaines (Black and al. 2011, 8).
Les migrations environnementales
Force est de constater que les changements climatiques et leurs effets auront et ont déjà des impacts considérables et multiples sur les populations, principalement celles qui habitent sur les côtes, dans les États insulaires et dans les régions se trouvant sous le niveau de la mer. Face à ces événements et effets du climat, ces populations n’auront d’autres recours que de quitter leur lieu d’origine. Selon Norman Myers de l’Université d’Oxford, ce phénomène ne connaîtra qu’une expansion dans les années à venir, puisque le nombre de migrants issus des changements climatiques pourrait atteindre environ 200 millions d’ici 2050, compte tenu de l’évolution démographique et de la dégradation des conditions environnementales (Black and al. 2011, 3).
Le cas des migrants environnementaux est préoccupant puisque les personnes déplacées pourraient ne pas être en mesure de revenir sur leur terre d’origine, en raison de la perte définitive de leur habitat et de leurs moyens de subsistance, ou encore par peur des cyclones, tempêtes tropicales, ou inondations à répétition. L’inaccessibilité de certains lieux, à la suite d’inondation notamment, aura des effets évidents sur les identités des migrants environnementaux, le déplacement étant à la fois une question de survie pour les populations, et une menace pour leur culture (Adger et al. 2013, p.113).
Les impacts des migrations environnementales sur les identités culturelles
Tel que montré précédemment, les changements climatiques contribueront à l’augmentation du nombre de migrants et ils auront des effets secondaires négatifs sur la préservation de leurs identités culturelles. On peut dénombrer, parmi ces effets secondaires, la perte éventuelle de leur civilisation. Une civilisation se définit par des éléments objectifs communs partagés, tels que la langue, l’histoire, la religion, les coutumes, les institutions, et par l’identification spontanée des personnes à une certaine identité culturelle (Huntington 1993, 24). Cette section tente de montrer en quoi la perte de l’attachement au lieu d’origine et la gestion inadéquate de la diversité culturelle par les pays hôtes et ses citoyens peuvent entraîner une perte de la diversité culturelle, voire, dans certains cas, la perte éventuelle de civilisations.
Perte de l’attachement au lieu d’origine
La perte de l’attachement au lieu d’origine, comme résultat des migrations issues des changements climatiques, a des effets non négligeables sur les identités culturelles des migrants environnementaux. Effectivement, les frontières de leur pays d’origine leur permettent de délimiter et de définir leurs identités, puisque l’identité inclut les symboles et les rituels de l’État, la construction d’un passé commun (Madsen et al. 2003, 62), les discours historiquement sédimentés, et les pratiques matérielles qui constituent la politique d’un lieu (Snyder et al. 2003, 115).
De plus, l’importance des impacts sur les identités culturelles des migrants environnementaux est étroitement liée au niveau d’attachement des individus autour de leur lieu de résidence. L’attachement au lieu est une réalité qui se définit par le niveau de connexion avec les personnes et les environnements dans lesquels ils vivent, milieu pouvant se définir comme étant un ensemble de symboles et de produits des différentes cultures qui les valorisent. La culture, quant à elle, peut se définir comme étant ce que les gens pensent, font, ainsi que les biens matériels et immatériels qu’ils produisent, faisant de celle-ci un élément partagé, appris, symbolique, intergénérationnel, adaptatif et intégré (Adger et al. 2011, 4).
L’attachement au lieu d’origine crée donc l’identité culturelle des individus autour d’une localité, d’un sentiment de fierté associé à l’appartenance à un village ou à une ville, ainsi que des amitiés et des réseaux qui les composent. Cet attachement contribue au bien-être des personnes et des groupes divers et il peut être étroitement lié à un sentiment d’appartenance à une communauté. Ainsi, les personnes fortement attachées à leur communauté ne sont souvent pas disposées à migrer, puisqu’elles hésitent à laisser leurs groupes de soutien social et émotionnel et à s’adapter à une nouvelle communauté.
L’attachement au lieu représente donc un facteur décisif dans les choix relatifs à la migration. Quitter son lieu d’origine, c’est quitter une partie de son identité, de sa culture, de sa communauté, de ses liens émotionnels et sociaux, de connaissances et de croyances, de comportements et d’actions en référence à ce lieu en particulier (Knez 2005, 208).
Gestion inadéquate de la diversité culturelle par les pays hôtes et ses citoyens
À présent, nous verrons en quoi l’autre extrémité de la chaîne de migration, soit les États et les citoyens hôtes, de par leur gestion et leur appréhension de la diversité culturelle, peut avoir des effets considérables sur la préservation des identités des migrants climatiques. Une bonne gestion par les États hôtes et leurs citoyens est essentielle afin d’éviter la perte de la diversité culturelle des migrants dans un monde où les migrations deviennent de plus en plus importantes. Pour que l’intégration soit efficiente, celle-ci doit comprendre un double compromis, tant du côté des immigrants que de leur société d’accueil. Par exemple, une intégration sera réussie si les réfugiés s’adaptent au style de vie de la société d’accueil et si, en contrepartie, celle-ci est accueillante, ouverte et inclusive face à l’altérité et à la différence. Si les réfugiés cherchent à acquérir les valeurs de la culture dominante, et si la société d’accueil accepte la diversité culturelle en l’intégrant dans ses politiques, alors ce processus mutuel peut être considéré comme un modèle optimal de gestion de la diversité, via une intégration multiculturelle efficace (Koirala 2016, 121).
Cependant, cette gestion n’est pas toujours si optimale, puisqu’il est très rare que l’inclusion des migrants dans les sociétés d’accueil, par le truchement de politiques multiculturelles, soit mise de l’avant au détriment de politiques d’assimilation et d’intégration. Les politiques multiculturelles, la mise en place d’un consensus et d’une cohabitation réelle avec des visions du monde, des attitudes, des identités et des comportements différents sont plutôt rejetées par les États hôtes (Madsen et al. 2003, 71-72). Ceci a pour effet d’éliminer les bagages culturels des migrants provenant des pays d’émigration (Faist 2000, 204). Ces politiques d’assimilation culturelle, comme moyen de gestion de la diversité culturelle, peuvent se définir comme des politiques forçant les immigrants à abandonner le bagage culturel de leur lieu d’origine ou favorisant la dissolution de ce même bagage particulier dans le grand public. La vision de la culture dans la perspective de l’acculturation via l’assimilation est étroite, car l’État hôte, en tant que conteneur de la culture dominante de la société, agit comme un assimilateur pour les nouveaux arrivants (Faist 2000, 212-213).
La gestion normative actuelle de de la diversité culturelle ne prendrait donc pas en considération le besoin des migrants de voir reconnaître leur dignité, non pas seulement en tant que citoyens abstraits, mais aussi en tant qu’individus concrets, porteurs d’une histoire et d’une culture singulières qui peuvent être différentes de celles de leur pays d’accueil (Schnapper 2015, 117). Cette gestion de la diversité culturelle a également pour effet de limiter l’expression collective des identités et valeurs des migrants dans l’espace public et d’écarter les pratiques contradictoires avec les valeurs démocratiques associées aux États d’accueil, occidentaux le plus souvent (Schnapper 2015, 121).
Les citoyens de la société d’accueil peuvent également, dans certains cas, nuire à la préservation des identités culturelles des migrants climatiques. En effet, pour les nationaux de la société d’accueil, les immigrants ne sont pas toujours les bienvenus, non seulement parce qu’ils font partie du « eux », et pas de « nous », mais aussi parce qu’ils viennent de là-bas. Cette réaction contre les étrangers augmente la vulnérabilité des migrants et favorise leur repli identitaire (Waldigner 2016, 329). La réaction de la société d’accueil peut également mener à l’acculturation des migrants climatiques, et donc à la perte de leur identité culturelle, afin qu’ils se sentent davantage acceptés dans leur société d’accueil. Ceux qui ne peuvent retourner sur leur terre d’origine n’auront d’autres choix que de renoncer à leur identité culturelle afin d’intégrer pleinement leur nouvelle société et se sentir davantage acceptés par la société du pays hôte parfois réticent à admettre en son sein les apports culturels extérieurs (Butler 2001, 201).
Résultat : Perte d’identité culturelle et repli identitaire des migrants environnementaux
La perte d’attachement au lieu d’origine et de ses éléments culturels, combinée à une gestion inadéquate de la diversité culturelle par les pays d’accueil, a des effets dommageables sur la préservation des identités culturelles des migrants environnementaux. Les changements climatiques exacerbent les risques associés à la perte des identités et des cultures des migrants environnementaux. En effet, la plupart des réponses actuelles en matière de gestion de la diversité culturelle provenant de ce type de migration ne parviennent pas à prendre en compte les dimensions critiques qui forgent à la fois les identités et les cultures, à savoir principalement l’attachement au lieu d’origine (Adger et al. 2013, p.112), qui inclut notamment les ressources naturelles et les coutumes. La perte de ces éléments implique une perte de liens avec leur lieu d’origine, perte souvent impossible à compenser économiquement (Snyder et al. 2003, 107).
De plus, les changements climatiques peuvent entraîner une migration du lieu d’origine vers un nouveau pays d’accueil. Celle-ci incite fortement les migrants à adopter la culture dominante, via les mesures assimilatrices des pays hôtes. Cela menace donc la continuité et la préservation des langues, des habitudes, des coutumes et des cultures d’origine de ces migrants, et réduit leur autonomie politique, ce qui a des retombées négatives sur la préservation de leurs identités culturelles (Kirsch 2001, 167).
Les changements climatiques, entraînant des migrations massives, combinées à une gestion inadéquate de la diversité culturelle par les États d’accueil, peuvent également conduire à un repli identitaire de ces migrants issus des changements climatiques. En effet, s’ils ne parviennent pas à construire une nouvelle identité compatible avec la société d’accueil qui favorise les politiques d’assimilation et à établir des liens sociaux avec les membres de la culture dominante, ils ne peuvent pas non plus retourner que dans leur pays d’origine, et ils courent le risque d’abandonner leur identité culturelle et de faire face à la solitude et à la dépression. Cela pourrait éventuellement conduire à leur mise en retrait de la société d’accueil, à leur marginalisation et à leur repli identitaire, ces personnes préférant ainsi garder leurs distances afin de préserver leur identité culturelle initiale (Koirala 2016, 120).
Étude de cas : Les îles et atolls du Pacifique Sud
Les changements climatiques obligeant à la migration des populations issues des îles et atolls du Pacifique Sud
Tel que constaté précédemment, les changements climatiques auront des impacts de plus en plus dévastateurs et forceront davantage de personnes à migrer. Certaines régions seront davantage touchées par ce phénomène, comme les îles du Pacifique Sud. Ces îles comptent 261 atolls dans le sud-ouest de l’océan Pacifique. Par pays, le plus grand nombre d’atolls (77) se trouve en Polynésie française. Les seuls pays et territoires insulaires du Pacifique qui ne contiennent pas d’atolls sont les îles Mariannes du Nord, Guam, Vanuatu, Wallis-et-Futuna et Samoa. Quatre territoires insulaires du Pacifique (Kiribati, les Îles Marshall, Tokelau et Tuvalu) sont entièrement composés d’atolls. Il existe également des atolls surélevés, notamment Nauru, Niue et les îles Tonga et les îles Cook. Celles-ci partagent bon nombre des contraintes environnementales et sociales (Adger et al. 2011, 6). En effet, ces îles et atolls sont grandement vulnérables physiquement face à l’élévation du niveau de la mer en raison de leur ratio élevé littoral-territoire, de leur densité de population, ainsi que du faible niveau de ressources disponibles pour des mesures d’adaptation (Barnett et Adger, 2003, 323). En raison des modifications de l’environnement naturel (saisons sans mangues, ignames fanées, arbres à pain plus chétifs, érosion côtière, etc.), et par conséquent, des habitudes de vie qui deviennent dans certains cas impraticables, leurs résidents peuvent être contraints à migrer.
L’archipel de Tuvalu en est un bon exemple. Ses citoyens sont devenus les premiers migrants climatiques du monde lorsque le gouvernement a commencé à délocaliser la nation tout entière en raison de l’élévation du niveau de la mer, et du stress inexorable lié au traitement de l’eau et à la réparation d’autres infrastructures. Un autre exemple, celui de Nioué, une île polynésienne de 1 500 habitants. Les changements climatiques représentent un risque considérable pour les aspects de la culture niuéenne de ses habitants. L’île est exposée à de nombreux cyclones. En 2004, Heta a endommagé les ressources nécessaires à la culture matérielle, y compris aux stocks de moota utilisé pour fabriquer leurs pirogues, un symbole de leur culture (Adger et al. 2013, 114). Les impacts des changements climatiques sur cette île ont modifié la confiance des Niuéens dans la durabilité de leur île et de leur culture, où la préservation de celles-ci est de plus en plus précaire.
Gestion australienne de la diversité culturelle
Suite à la montée du niveau de la mer qui force les résidents des îles et des atolls du Pacifique à migrer, on constate que bon nombre d’entre eux choisissent de s’installer dans des endroits à proximité, dont l’Australie. Bien que le gouvernement australien apporte un soutien important aux réfugiés et immigrants par le biais de divers services d’établissement, des recherches suggèrent que les migrants environnementaux ne s’y intègrent pas aussi facilement (Koirala 2016, 119). En effet, malgré une longue tradition multiculturelle, les spécialistes ne cessent de reprocher au multiculturalisme australien de ne pas parvenir à promouvoir la diversité culturelle et la participation équitable de tous les groupes ethnoculturels (Koirala 2016, 123). De plus, la politique actuelle du gouvernement en matière d’inclusion sociale ne concerne que l’intégration des groupes de minorités ethniques dans la société australienne, plutôt que la recherche d’un compromis mutuel entre la communauté anglo-australienne dominante et la communauté de réfugiés et de migrants, tendant de ce fait à une forme de domination culturelle via l’assimilation des migrants environnementaux.
Du point de vue de la société d’accueil, les migrants environnementaux ne reçoivent pas de réponses amicales et accueillantes de la part des membres de la société australienne (Koirala 2016, 126), ce qui n’aide pas à la préservation et à l’épanouissement des identités culturelles des immigrants issus des changements climatiques. En dépit du pluralisme culturel, les migrants environnementaux font souvent face à des comportements xénophobes de la part de certains membres de la société d’accueil, les exposant à des situations d’isolement, voire d’exclusion sociale.
Le repli identitaire n’est pas souhaitable. Le modèle d’intégration multiculturel ne peut être poursuivi que lorsque les réfugiés et migrants entretiennent des liens sociaux avec des membres de la société, au sens large du terme. S’ils choisissent d’éviter les interactions avec les membres de la société australienne à travers leur repli identitaire, cette stratégie d’acculturation via ses politiques conduira finalement à la séparation plutôt qu’à l’intégration sociale (Koirala 2016, 125).
Les impacts sur les identités culturelles
La gestion de la diversité culturelle par l’État australien et sa population, ainsi que la perte d’attachement au lieu d’origine, auront des répercussions majeures sur les migrants environnementaux provenant des îles et atolls du Pacifique Sud. En effet, de nombreux scientifiques suggèrent que le changement climatique entraînera la perte de nombreuses composantes naturelles et culturelles propres aux îles du Pacifique, de par la perte physique du lieu d’origine, mais également de par la gestion inadéquate de la diversité culturelle par l’État d’accueil (Adger et al. 2011, 2). Déjà à l’heure actuelle, de nombreuses langues sont menacées ou ont disparu de la région Asie-Pacifique, à la suite de processus d’établissement et de migration, et cela n’ira pas en diminuant, considérant que les changements climatiques mèneront à des flux migratoires de plus en plus importants. Les atolls et îles du Pacifique, représentant des lieux uniques dû au fait qu’ils contiennent des systèmes et des espèces biophysiques, des cultures matérielles, des ordres sociaux, des régimes alimentaires, des histoires, des langues, des habitudes et des compétences uniques, sont menacés de perdre leur identité et leur culture, voire leur civilisation.
Alors que les pays insulaires sont clairement menacés par les changements climatiques, leurs habitants, désormais dispersés dans plusieurs pays d’accueil, s’adaptent à ces nouveaux lieux et à de nouvelles façons de faire, ce qui peut avoir pour effet d’affaiblir certains éléments culturels anciens reliés à leur lieu d’origine et à les rendre moins visibles. Par exemple, à Niue comme aux îles Cook, les échanges réciproques ont été affaiblis par des procédés divers, tels que l’usage dominant de l’anglais (de sorte qu’un effort conscient est fait dans les deux pays pour préserver les langues de Vagahau Niue et des Maoris des îles Cook); le désintérêt des jeunes pour les connaissances écologiques traditionnelles; et le remplacement d’un régime alimentaire et de consommation par un autre. Ces changements remettent en question l’identité culturelle des habitants et des migrants provenant des îles Cook et des Niuéens, en particulier pour les générations plus âgées (Adger et al. 2011, 8).
Conclusion
Nous avons pu constater que les changements climatiques et les impacts qu’ils suscitent entraînent déjà, et entraîneront encore davantage dans les années à venir, de nombreux flux migratoires. Dans ce contexte, nous nous sommes posé la question suivante : en quoi les pays d’accueil affectent l’identité des migrants climatiques, du point de vue de leur attachement au lieu d’origine, de leur culture et de la gestion de la diversité culturelle ? Nous avons pu remarquer, à travers la mise en contexte et l’étude de cas, que les migrants issus des changements climatiques ont tendance à se replier sur eux-mêmes et leurs semblables dans un processus de marginalisation, en vue de préserver leur identité culturelle. Les migrants environnementaux peuvent également perdre, à tout le moins en partie, leur identité culturelle originelle à travers les politiques d’intégration. Cette perte de leur identité culturelle se traduit par la perte de leurs langues, traditions, coutumes, normes, habitudes de vie, autonomies politiques et moyens de subsistance, éléments rattachés à leur lieu d’origine, au profit de la culture dominante du pays d’accueil. L’État hôte et les membres de la société d’accueil ne favorisent pas une gestion adéquate de la diversité culturelle et à une inclusion des minorités de par la mise en place de politiques assimilationnistes et/ou intégrationnistes, et de par la circulation de fausses présuppositions sur ces migrants, nuisant à l’ouverture et à l’acceptabilité sociale de la diversité culturelle, et donc des migrants eux-mêmes.
Somme toute, des solutions existent afin de favoriser l’inclusion de ces migrants climatiques dans la culture hôte, sans qu’ils délaissent pour autant leur identité culturelle. Parmi ces solutions, on retrouve l’amplification des relations transnationales. Ces dernières sont une solution intéressante puisqu’elles favorisent la préservation des identités des migrants environnementaux via la multiplication des liens sociaux, économiques et culturels rattachant les pays d’immigration aux pays d’origine (Waldigner 2016, 321). La réalité de la diaspora dans le pays hôte permet également, et à sa mesure, de maintenir les relations entre les membres d’un même lieu d’origine (Koirala 2016, 121). Une autre solution réside dans l’accessibilité aux médias sociaux. Le développement des technologies facilite la compression spatio-temporelle et permet aux migrants climatiques de maintenir et renforcer leur attachement et leur identité culturelle via la préservation des liens avec leur communauté d’origine à travers l’utilisation de ces technologies (Madsen et al. 2003, 68). La mise en place de politiques multiculturelles, à travers une plus grande ouverture entre les migrants environnementaux et les membres de la société d’accueil, est également une solution à instaurer (Schnapper 2015, 117). Finalement, la mise en place de droits internationaux de propriété culturelle, impliquant de nouvelles formes d’intégration et de nouveaux modes d’organisation des personnes et des collectivités, est essentielle dans le processus de reconnaissance de l’importance des facteurs culturels qui sont en jeu dans les migrations environnementales.
Dans un futur rapport, il serait pertinent de savoir comment les identités, les références culturelles et les fidélités particulières – en d’autres termes, le multiculturalisme – peuvent être reconnues dans la vie publique et politique (Schnapper 2015, 116). Inéluctablement, les migrations climatiques iront croissantes. Il est important de s’y préparer pour y faire face, tout en permettant aux migrants de préserver leur identité cultuelle. Si l’on considère que l’identité de l’individu n’est pas séparable d’une culture collective, les États d’accueil se doivent de reconnaître ces cultures particulières.
Biographie
Anouk Brisebois est étudiante finissante à la maitrise en études internationales de l’Université de Montréal et projette d’entamer un doctorat en études internationales de l’environnement et du développement à l’Université norvégienne des sciences de la vie.
Références
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