Comprendre le revirement diplomatique nord-coréen : Kim Jong-un et la « Smile Diplomacy »

Par Emilie Luthringer

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Sans signes avant-coureurs et en l’espace de quelques mois à peine, de profonds changements ont pu être observés dans l’attitude diplomatique du leader nord-coréen Kim Jong-un. Alors que l’année 2017 a été celle de l’escalade des tensions entre la Corée du Nord et les États-Unis, laissant craindre l’éclatement d’une guerre sur la péninsule coréenne, l’année 2018 a, pour sa part, été marquée par une ouverture diplomatique de la Corée du Nord et par la succession de sommets bilatéraux avec différentes puissances régionales (Institute for Security and Development Policy [ISDP] 2018 ; Pak 2018 ; Klingner 2018). Depuis le mois de mars 2018, Kim Jong-un a ainsi participé à huit sommets bilatéraux en rencontrant à plusieurs reprises le Premier Secrétaire du Parti Communiste Chinois, Xi Jinping, ainsi que les présidents sud-coréen et américain, Moon Jae-in et Donald Trump. Un tel revirement stratégique étonne de la part d’un jeune leader qui n’avait encore jamais quitté son pays depuis son accession au pouvoir en 2011 et qui avait privilégié jusqu’ici une ligne diplomatique dure basée sur la coercition nucléaire (Pak 2018 ; Singh 2018 ; Kim 2018 ; Klingner 2018).

Plus étonnante encore a été l’image renvoyée par Kim Jong-un lors de ces rencontres qui ont profondément captivé l’attention médiatique internationale. Présenté comme souriant, confiant, amical et même spontané, le leader nord-coréen est apparu aux antipodes de ses représentations traditionnelles d’un homme cruel et lunatique toujours prêt à appuyer sur le détonateur nucléaire (Mishra 2018 ; Fuchs et Bard 2018 ; Bandow 2018 ; Jackson 2018). Gardant en mémoire les échecs diplomatiques passés ainsi que la difficulté d’obtenir de la part de Pyongyang des informations fiables quant à sa stratégie, nombre d’observateur.ice.s sont resté.e.s sceptiques face à ce revirement d’attitude diplomatique. Néanmoins, nous pensons que les récentes apparitions médiatiques et les déclarations publiques de Kim Jong-un permettent d’éclairer dans une certaine mesure ce changement diplomatique soudain (Fuchs et Bard 2018 ; Korean Economic Institute [KEI] ; MacDonald 2018 ; Klingner 2018).

Le revirement diplomatique nord-coréen : qu’a-t-on vu et entendu ces derniers mois?

 « Rocket-Man » face à « Dotard »

 En 2017, Kim Jong-un s’est engagé dans la plus rapide course aux armements nucléaires et aux tests balistiques de l’histoire de la Corée du Nord. Cette année-là, le régime de Pyongyang a testé 25 missiles, dont deux intercontinentaux, ainsi que sa plus puissante arme nucléaire, identifiée par les observateur.ice.s internationaux.les comme étant une bombe à hydrogène. Le régime a ainsi élevé son arsenal à une trentaine d’armes atomiques et s’est placé à même de frapper le territoire continental étatsunien (Fuchs et Bard 2018 ; Klingner 2018).

Ces avancées ont rapidement aggravé les tensions entre les États-Unis et le régime coréen. À partir du printemps 2017, la situation est devenue extrêmement tendue alors que Kim Jong-un, alias « Rocket-man » et Donald Trump, alias « Dotard », se sont lancés dans une joute verbale par tweets ou communiqués télévisés interposés, se promettant mutuellement de déverser sur Washington « une mer de feu » ou de faire pleuvoir « le feu et la colère » sur Pyongyang (Klingner 2018 ; The Asan Forum 2018 ; Arms Control Association 2018 ; Mishra 2018 ; O’Graby 2018).

En novembre, le point de non-retour semblait franchi lorsque la Corée du Nord, ignorant les sanctions internationales, avait annoncé l’achèvement de son programme nucléaire à la suite du lancement réussi d’un missile balistique intercontinental. Si les États-Unis ont fermement condamné ce test, ils déclaraient néanmoins que les options diplomatiques restaient ouvertes. Un mois plus tard, sans réponse de Pyongyang, l’Organisation des Nations Unies (ONU) a adopté une nouvelle volée de sanctions contre la Corée du Nord, qui semblait alors dans l’impasse (Arms Control Association 2018 ; ISDP 2018).

Les Jeux Olympiques de Pyeong Chang

 Une ouverture s’est brutalement opérée le 1er janvier 2018 avec le discours du Nouvel An de Kim Jong-un. Bien que réaffirmant les capacités militaires de la Corée du Nord et la possibilité du régime de contrecarrer « n’importe quelle menace nucléaire émanant des États-Unis », Kim Jong-un a néanmoins tendu la main au président sud-coréen Moon Jae-in, en annonçant souhaiter qu’un « climat favorable à la réconciliation et à la réunification nationale » soit établi, et que « les autorités sud-coréennes répondent positivement à notre [les Nord-coréens] sincère effort pour une détente » (Bandow 2018 ; Jackson 2018 ; Arms Control Association 2018). Comme premier gage, Kim Jong-un a proposé l’idée que des athlètes et artistes nord-coréens puissent prendre part aux Jeux Olympiques de Pyeong Chang, et d’envoyer une délégation au Sud (Suh 2018 ; O’Graby 2018).

Avec la participation de la Corée du Nord aux Jeux Olympiques d’hiver, Kim Jong-un s’est lancé dans une véritable offensive de charme, ponctuée de nombreux sommets bilatéraux, particulièrement bien relayée par les médias internationaux. Alors qu’il n’avait jamais quitté son pays depuis son accession au pouvoir en 2011, Kim Jong-un a participé à huit sommets bilatéraux entre mars 2018 et janvier 2019, permettant à son pays de sortir de l’isolement diplomatique qui le caractérisait jusque-là (Pardo 2018 ; Singh 2018 ; Suh 2018 ; Pak 2018 ; Klingner 2018).

Une succession de sommets bilatéraux

 À la fin mars 2018, Kim Jong-un a d’abord rencontré Xi Jinping à Beijing afin de réaffirmer l’alliance entre la Chine et la Corée du Nord, mise à mal par les essais nucléaires de Pyongyang et les dernières sanctions infligées à la Corée du Nord par l’ONU, auxquelles la Chine avait participé (Singh 2018 ; Pak 2018 ; ISDP 2018).

En avril, la déclaration de Panmunjom a été signée conjointement par Kim Jong-un et son homologue sud-coréen, Moon Jae-in, au cours d’un premier sommet intercoréen couronné de succès. Bien que courte et vague, cette déclaration a incarné une étape importante dans le dégel des relations entre les deux Corées puisqu’elle y manifeste la volonté conjointe de libérer la péninsule coréenne du danger de la guerre et des armes nucléaires (Singh 2018 ; Fuchs et Bard 2018 ; Suh 2018).

En mai, un second sommet Kim-Xi a pris place en Chine, à Dalian, en préparation du sommet avec les États-Unis. Un second sommet Moon-Kim a également eu lieu à la fin mai, toujours au cœur de la zone démilitarisée coréenne de Panmunjom, pour les mêmes raisons. Ces sommets ont été suivis en juin par la rencontre entre Donald Trump et Kim Jong-un à Singapour. Très attendu et ayant mobilisé des centaines de journalistes à travers le monde, ce sommet entre les États-Unis et la Corée du Nord a marqué le rétablissement des liens diplomatiques entre les deux pays et a donné lieu à une déclaration conjointe pour la dénucléarisation de la péninsule (KEI 2018 ; Fuchs et Bard 2018 ; Arms Control Association 2018 ; Pak 2018).

À la fin juin, Kim Jong-un a ensuite rencontré pour la troisième fois Xi Jinping à Beijing afin de parler du futur « développement économique » de la Corée du Nord et d’échanger sur le sommet avec Trump. Un troisième sommet intercoréen a également eu lieu en septembre avec Moon Jae-in à Pyongyang. Le début de l’année 2019 a été marqué par le quatrième sommet entre Xi Jinping et Kim Jong-un encore une fois à Beijing.

En l’espace de quelques mois, Kim Jong-un est ainsi passé sur la scène internationale d’un paria isolé à un dirigeant courtisé avec lequel la Corée du Sud, la Chine et les États-Unis souhaitent discuter. Un nouveau sommet Trump-Kim est en outre en préparation pour la fin du mois de février 2019, de même qu’un quatrième sommet intercoréen (Singh 2018 ; Pak 2018 ; MacDonald 2018 ; Kim 2018).

Une nouvelle image et des concessions

 L’image véhiculée par le jeune leader nord-coréen lors de ces sommets a été très différente de ces apparitions traditionnelles. Passant d’une rhétorique basée sur les menaces et les déclarations tantôt vindicatives, tantôt victimaires, Kim Jong-un semble désormais préférer une stratégie plus « douce », basée sur l’établissement de relations cordiales avec les différentes puissances de l’Asie du Nord-Est. Les médias du monde entier ont ainsi pu voir un homme politique souriant, à l’attitude conciliante et responsable, agissant avec confiance et cherchant à tenir son rôle de chef d’État (Mishra 2018 ; Fuchs et Bard 2018 ; KEI 2018 ; Bandow 2018 ; Jackson 2018 ; MacDonald 2018). Certains journaux sont même allés jusqu’à parler de « Smiling diplomacy » en référence à la « Sunshine policy » désignant la première période de rapprochement intercoréen ayant pris place au début des années 2000 (The Asian Forum 2018).

En plus de sa nouvelle image, Kim Jong-un a parallèlement posé des actes visant à corroborer son changement d’attitude et son engagement sincère vers des relations plus amicales et pacifiques. Depuis avril 2018, il a ainsi successivement annoncé et réalisé l’interruption de ses tests nucléaires et balistiques, le démantèlement du site d’essai nucléaire de Punggye-ri, le réalignement de l’heure de Pyongyang sur celle de Séoul – mettant fin au décalage de 30 minutes instauré en 2015 entre les deux pays -, ainsi que l’interruption de la propagande par haut-parleurs à la frontière sud-coréenne et de la propagande anti-américaine – dans les journaux et sur les affiches – en Corée du Nord. Des journalistes étrangers ont également été invités à assister à la destruction du site d’essais nucléaires, trois otages américains ont été libérés et les dépouilles de 55 soldats américains ayant combattu pendant la Guerre de Corée ont été restituées à Washington (Suh 2018 ; Fuchs et Bard 2018).

L’ouverture diplomatique de la Corée du Nord et le changement d’image du pays et de son leader ont constitué un changement brutal qui a laissé plus d’un.e observateur.ice sceptique. Pourtant, plusieurs facteurs viennent expliquer cette évolution par la mise en place progressive d’un contexte de discussion plus favorable.

Pourquoi ce changement brutal?

 Un nouveau contexte propice au dialogue

 Historiquement, les volontés de rapprochement entre les États-Unis et la Corée du Nord avaient déjà été tour à tour évoquées par les deux parties. Cependant, ces dernières n’avaient jamais coïncidé avant qu’une série de facteurs, tant nationaux qu’internationaux, ne concordent au cours de l’année 2018 (Suh 2018 ; Bandow 2018). L’engagement du président Moon Jae-in dans le rapprochement intercoréen (1), l’aboutissement du programme nucléaire nord-coréen et le passage à la « economy first policy » (2), les sanctions économiques internationales et la participation de la Chine à ces dernières, provoquant l’isolement diplomatique total de la Corée du Nord (3), ainsi que la présidence de Donald Trump (4) semblent en effet avoir créé un nouveau contexte propice au dialogue.

Moon Jae-in, le pacificateur

 Depuis son élection en 2017, le président sud-coréen Moon Jae-in a continuellement cherché à éviter une guerre entre les États-Unis et la Corée du Nord sur la péninsule coréenne. Son gouvernement libéral s’inscrit dans la lignée de celui des présidents Kim Dae-jung et Roh Myu-hun ayant promu la « Sunshine policy » et rompt ainsi avec la ligne dure des gouvernements conservateurs de Lee Myung-bak et de Park Geun-Hye au pouvoir entre 2008 et 2017 (O’Graby 2018 ; Fuchs et Bard 2018 ; Bandow 2018 ; Singh 2018 ; Suh 2018 ; ISDP 2018). À la fin de 2017, la décision de Moon Jae-in de repousser les exercices militaires bilatéraux entre la Corée du Sud et les États-Unis après la fin des Jeux Olympiques et Paralympiques d’hiver de Pyeong Chang en février 2018 a été le déclencheur qui a rompu le cycle des tensions dans lequel la Corée du Nord et les États-Unis s’étaient engagés plus tôt dans l’année. Cette déclaration, apparemment mineure mais pourtant difficile à négocier avec les États-Unis, a initié le rapprochement intercoréen. Une semaine après l’annonce de Moon Jae-in, Kim Jong-un a proposé dans son discours du Nouvel An la participation de la Corée du Nord aux Jeux Olympiques d’hiver ainsi que l’envoi d’une délégation au Sud. Un cercle vertueux a alors commencé à se mettre place avec la préparation du premier sommet Kim-Moon annoncée peu après (Suh 2018 ; Pardo 2018).

La fin de la « byungjin policy »

 En avril 2018, le rapprochement a connu un nouveau coup d’élan. Peu de temps avant le sommet intercoréen, Kim Jong-un a annoncé au cours du Congrès des Travailleurs Coréens que le pays abandonnait la politique « byungjin » – prônant le développement conjoint du secteur militaire et du secteur économique – puisque le programme nucléaire et donc militaire avait été complété en novembre 2017. De fait, la Corée du Nord peut désormais se focaliser exclusivement sur le développement économique grâce à une nouvelle « economy first policy » (Suh 2018 ; Bandow 2018 ; Fuchs et Bard 2018). Pour y parvenir, la levée des sanctions économiques et la fin de l’isolement diplomatique sont indispensables. Un dialogue avec la Corée du Sud, mais également avec d’autres puissances, doit donc nécessairement s’engager (Suh 2018 ; Bandow 2018). Il est cependant très probable que les sanctions mises en place par la communauté internationale aient également incité le pays à la négociation.

Les sanctions internationales

En 2018, deux types de sanctions ont fait mal à la Corée du Nord : celles imposées par les États-Unis, le Japon et la Corée du Sud de manière unilatérale et celles mises en place par le Conseil de Sécurité de l’ONU. Ayant pourtant résisté pendant plusieurs années aux sanctions internationales, la Corée du Nord a fait face à de nouvelles difficultés lorsque les États-Unis ont réussi à rallier en 2017 la Chine et d’autres pays de l’ASEAN aux sanctions imposées par l’ONU afin d’exercer un « maximum de pression » sur le régime de Pyongyang (Singh 2018 ; Fuchs et Bard 2018 ; ISDP 2018). La diminution draconienne des échanges commerciaux avec son voisin chinois – qui est pourtant son premier partenaire économique -, l’étendue des répercussions des sanctions à de nombreux domaines ainsi que l’isolement diplomatique en résultant ont poussé la Corée du Nord à revoir ses positions stratégiques et à composer notamment avec la personnalité inédite de Donald Trump (Singh 2018).

Le facteur « Trump »

 Donald Trump est un président hors normes dans l’histoire de l’administration américaine. Son tempérament imprévisible et son aspect vindicatif ont pendant quelques mois laissé planer la possibilité sérieuse d’une guerre nucléaire sur la péninsule coréenne. Un tel scénario aurait cependant été totalement contre-productif pour Kim Jong-un dont l’objectif premier est le maintien de son régime. Il est ainsi plausible que la menace d’une guerre ait fait pencher Kim Jong-un vers la voie de la diplomatie (O’Graby 2018 ; Singh 2018).

Le revirement du leader nord-coréen et le début de sa « Smile diplomacy » résultent ainsi d’une conjonction de facteurs – l’engagement du président Moon Jae-in, le passage à la « economy first policy », les sanctions économiques internationales et la présidence de Donald Trump – qui permettent aujourd’hui à Kim Jong-un de bénéficier d’un environnement régional remodelé. Cela facilite son dialogue avec les différentes parties prenantes et lui permet d’aligner des gains qui lui étaient jusqu’à présent inaccessibles (Pak 2018 ; Congressional Research Service [CRS] 2018).

Une « Smile diplomacy » au service d’intérêts stratégiques

 Bien qu’il soit impossible d’énoncer avec certitude les intentions stratégiques de Kim Jong-un, la « Smile diplomacy » engagée depuis l’année 2018 permet clairement au dirigeant nord-coréen de retirer des gains qui viennent servir ses intérêts stratégiques : la rupture de son isolement diplomatique et le maintien de son régime (1), l’arrêt du renforcement des sanctions et un développement économique potentiel (2), une sécurité renforcée et l’espoir d’une réunification coréenne (3).

L’accroissement de la légitimité de Kim Jong-un et le maintien du régime

 En achevant le programme nucléaire du pays et en participant à un sommet bilatéral avec le représentant de la première puissance mondiale, Kim Jong-un a atteint deux objectifs : réaliser les ambitions portées par son père et son grand-père de doter le pays de l’arme atomique afin d’assurer la pérennité du régime (1) et négocier par ce moyen « d’égal à égal » avec les États-Unis en tant que puissance nucléaire et sans concession (2). Cela lui a ainsi conféré un prestige personnel qui renforce sa légitimité de leader, tant sur le plan national qu’international (Jackson 2018 ; Suh 2018 ; Klingner 2018).

L’image personnelle projetée par Kim Jong-un lors des différents sommets a contribué à cette légitimé nouvelle puisqu’il a cherché à démontrer sa volonté sérieuse d’établir un dialogue avec les puissances régionales et à se positionner comme leader responsable, voire sympathique (Mishra 2018 ; Fuchs et Bard 2018). En outre, son ouverture diplomatique et la participation de la Corée du Nord aux Jeux Olympiques de Pyeong Chang ont également permis d’améliorer l’image du pays. En effet, l’organisation d’épreuves de ski dans la luxueuse station de Wonsan a donné à voir au monde un pays ouvert, doté d’installations modernes et de qualité. Loin de ses représentations traditionnelles, la Corée du Nord a ainsi été présentée comme susceptible d’attirer les visiteurs et les investissements étrangers (Suh 2018 ; Pardo 2018 ; KEI 2018).

L’arrêt du renforcement des sanctions et l’espoir d’un développement économique 

En privilégiant une diplomatie d’ouverture plutôt que la menace atomique, Kim Jong-un a incité la communauté internationale à geler le renforcement des sanctions économiques et politiques. Si celles-ci ne sont pas encore levées, la situation est néanmoins préférable à leur intensification croissante pour le régime de Pyongyang. La création de nouveaux liens diplomatiques avec la Corée du Sud, la Chine et les États-Unis laisse aussi planer l’espoir de futurs investissements étrangers sur le territoire et de nouveaux échanges commerciaux si un allègement des sanctions parvient à être négocié. Kim Jong-un espère ainsi probablement échanger sa dénucléarisation contre la levée progressive des sanctions qui lui permettrait de commercer avec ses voisins immédiats (Singh 2018 ; ISDP 2018 ; CRS 2018 ; Pak 2018).

En termes de stratégie économique, il est possible que Pyongyang suive l’exemple de la « marchétisation » de la Chine et du Vietnam, la « libéralisation » n’étant pas un objectif en accord avec les valeurs communistes du régime de Pyongyang. Les élites nord-coréennes sont en effet convaincues que la possession de l’arme nucléaire a effectivement permis à la Chine de se développer et de s’imposer aujourd’hui comme puissance politique et économique capable de rivaliser avec les États-Unis. Il est ainsi vraisemblable que Kim Jong-un entende faire suivre le même chemin à son pays en incarnant un Deng Xiaoping nord-coréen maintenant doté de l’arme atomique (Suh 2018 ; Pardo 2018 ; Kim 2018 ; Pardo 2018 ; MacDonald 2018).

La sécurité et la réunification

Outre le fait d’augmenter la sécurité à court terme du régime, l’état du programme nucléaire nord-coréen et les déclarations signées par la Corée du Nord avec ses différents interlocuteurs durant les sommets de 2018 favorisent également les intérêts nord-coréens à très long terme. En effet, lors du sommet de Singapour en juin 2018, Donald Trump a annoncé la suspension des exercices militaires bilatéraux avec la Corée du Sud ainsi que le retrait éventuel des troupes américaines de la péninsule coréenne. Bien qu’il s’agisse uniquement d’un engagement oral, ces mesures assureraient le maintien du régime et pourraient également servir le rapprochement intercoréen, voire la réunification des deux Corées (Kim 2018 ; CRS 2018 ; Mishra 2018).

La réunification entre la Corée du Nord et la Corée du Sud est en effet présentée comme objectif national dans la Constitution nord-coréenne depuis l’instauration du régime en 1948. Toutefois, celle-ci n’est envisagée que sous « la Maison des Kim » ou tout du moins négociée avec la Corée du Sud exclusivement, donc sans l’influence de puissances étrangères, ce que favoriserait une diminution de l’influence américaine dans la région (ISPD 2018 ; Singh 2018 ; MacDonald 2018 ; O’Graby 2018).

Bien que la Corée du Nord demeure un pays refermé sur lui-même et dont il est difficile de cerner la stratégie, les apparitions et les déclarations de Kim Jong-un lors des huit sommets auxquels le jeune leader a participé depuis le mois de mars 2018 témoignent d’une ouverture diplomatique inédite. Cette « Smile diplomacy » a permis au dirigeant nord-coréen d’obtenir des gains notables sur une période de temps très courte, améliorant ainsi la position diplomatique de la Corée du Nord – tant sur le plan national qu’international – et venant servir ses intérêts stratégiques à long terme.

Conclusion

Alors qu’en 2017, les échanges entre Donald Trump et Kim Jong-un laissaient craindre l’éclatement d’une guerre nucléaire sur la péninsule coréenne, le revirement diplomatique inattendu du leader nord-coréen engagé en 2018 a permis un allégement rapide des tensions. Ayant enchaîné les sommets bilatéraux avec les différentes puissances régionales de l’Asie du Nord-Est depuis mars 2018, Kim Jong-un est apparu amical, ouvert au dialogue et déterminé à incarner la figure d’un leader raisonnable.

Selon toute vraisemblance, l’achèvement en novembre 2017 de son programme nucléaire a ouvert un nouvel horizon à Kim Jong-un, qui, ayant complété la « byungjin policy » initiée par son père et son grand-père, peut désormais se lancer dans le développement économique de son pays. Toutefois, pour y parvenir, des rapprochements diplomatiques et une levée des sanctions que la communauté internationale lui impose sont nécessaires. L’ouverture diplomatique engagée par Kim Jong-un a également permis à ce dernier de gagner en légitimité – tant sur le plan national qu’international – et peut-être de se diriger très progressivement vers l’objectif ultime de son régime : la réunification des deux Corées.

Le chemin est cependant encore long pour réaliser cette ambition, de même que le développement économique du pays, compliqués par le nombre de parties prenantes impliquées dans la situation de la péninsule coréenne. En effet, si des sommets ont été organisés avec les États-Unis, la Corée du Sud et la Chine, Kim Jong-un n’a cependant pas encore engagé de dialogue direct avec la Russie et le Japon, incarnant pourtant deux autres acteurs clés de la région.

Biographie

Emilie Luthringer est diplômée du baccalauréat en Études asiatiques de l’Université de Montréal. Elle a choisi les deux Corées comme pays de spécialisation pour sa maîtrise.

Références

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