L’après-pétrole: oui, au plus tôt!

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Par Serge Mongeau

Dans nos sociétés industrialisées, nous sommes totalement dépendants des combustibles fossiles (gaz naturel, pétrole). Notre mode de vie repose sur le pétrole : pour notre production alimentaire, pour nos vêtements, pour la fabrication de presque tous nos objets de consommation courante, pour nos médicaments, pour nos déplacements et le transport de nos marchandises… Et grâce aux techniques de communication modernes, nous avons répandu partout dans le monde l’idée que ce mode de vie procurait le bonheur ; aussi celles et ceux qui vivaient dans un monde sans pétrole aspirent à nous rejoindre dans notre société de consommation. La demande pour les combustibles fossiles continue donc à augmenter.

Pour le moment, l’industrie pétrolière réussit à répondre à la demande. Les sources d’approvisionnement traditionnelles ne sont pas encore épuisées, même si elles baissent rapidement ; mais avec les nouvelles technologies de fragmentation et la découverte de gisements en eaux profondes, on est assuré d’une bonne réserve ; évidemment, ces modes d’exploitation présentent plus de dangers et sont plus coûteux. Donc à mesure qu’on comptera davantage sur ces dernières sources d’approvisionnement, le coût du pétrole augmentera et mettra en question certains de ses usages, par exemple la délocalisation de certaines industries, quand les coûts du transport dépasseront les économies réalisées grâce aux salaires de famine payés dans le Tiers Monde.

Mais, en fait, même si à long terme l’augmentation du coût du pétrole menait à diverses solutions de remplacement, là n’est pas la cause prévisible de la fin des combustibles fossiles ; celle-ci viendra plutôt des conséquences environnementales de leur usage.  En effet, leur combustion provoque une importante pollution de l’air ainsi que la libération de CO2, lequel contribue à l’effet de serre qui conduit au réchauffement du climat. Comme le Groupe international d’étude sur le climat le rappelle périodiquement, nous nous acheminons rapidement vers un dépassement des températures compatibles avec la vie sur Terre telle que nous la connaissons. La fonte des glaciers et l’augmentation du niveau des mers, avec les inondations qui en résulteront ; les sécheresses dans plusieurs régions et les pluies diluviennes ailleurs, tout cela s’ajoutera aux difficultés provoquées par l’acidification de l’eau des mers, par la raréfaction de l’eau douce et de plusieurs matières premières non renouvelables. En fait, de plus en plus de chercheurs constatent que nous semblons aller vers la fin de notre civilisation. Et si ce n’est la dégradation de notre environnement qui nous y  amène, d’autres menaces aussi probables peuvent en tout moment se réaliser : une crise financière majeure, une révolte massive des exploités du Tiers Monde…

Devant un tel constat, on trouve différentes réactions. Pour certains, tout est déjà joué: profitons du temps qui reste pour vivre le plus intensément possible. D’autres, notamment les « survivalistes » américains, font des réserves pour les disettes à venir et s’arment pour se défendre de la barbarie qui ne manquera pas de s’installer. La plupart des gens se disent qu’on trouvera bien des solutions technologiques quand il le faudra; toute l’approche du « développement durable » va dans ce sens, qui estime qu’il est possible de prolonger notre civilisation fondée sur la croissance économique en développant des énergies alternatives qui nous permettront de remplacer les combustibles fossiles.

Enfin, pour les promoteurs de la décroissance ou les « objecteurs de croissance », c’est tout un changement de paradigme qui s’impose pour notre survie collective: il faut sortir du capitalisme et fonder notre société sur d’autres valeurs que la consommation et l’accumulation de richesse.

D’ailleurs, les objecteurs de croissance estiment que même si nous arrivions à trouver les moyens de prolonger le système actuel, nous aurions tout intérêt à le changer ; comment peut-on se contenter d’une société qui permet de telles inégalités avec toutes les conséquences que cela entraîne, qui détruit toutes les solidarités pour cultiver toujours davantage un individualisme forcené, qui réduit l’immense majorité des humains au statut de travailleurs aliénés, qui manipule les consciences pour arriver à un consentement fabriqué? Nos vies ont de moins en moins de sens, nous perdons notre humanité. Que nous le fassions volontairement ou non, il faut changer.

Si nous attendons les catastrophes, nos gouvernements auront la responsabilité de prendre les décisions qui s’imposeront ; sans doute suivront-ils la voie qu’ils empruntent déjà, celle du Marché ; la raréfaction des ressources mènera à l’augmentation de leurs coûts, ce qui signifie que les plus riches continueront à avoir accès à tout ce qu’ils désirent. On mettra de l’avant les solutions qui maintiennent  les privilèges de ceux qui dominent ; on voit ce que cela donne dans la Méditerranée, avec les réfugiés d’Afrique.

Il n’y a aucun doute là-dessus : la fin de la croissance économique est imminente. Aussi bien choisir la façon de s’y adapter qu’attendre qu’elle nous soit imposée. Surtout que nous avons tout à gagner d’aller au plus tôt dans cette voie.

La décroissance conviviale

Les objecteurs de croissance se refusent à proposer un modèle « tout inclus » de la société qu’ils et elles jugent souhaitable. Ils s’entendent cependant sur un certain nombre de principes qui devraient la caractériser :

  • l’équité ; tous devraient avoir accès aux ressources pour satisfaire leurs besoins essentiels, et l’écart entre les revenus devrait être considérablement réduit par rapport à ce qu’il est maintenant ;
  • le collectif : répondre le plus possible à nos divers besoins par des solutions collectives, plus économiques en ressources et génératrices de contacts et de solidarité ;
  • le local : rendre nos communautés plus autonomes en développant nos capacités de répondre sur place à nos besoins, en alimentation notamment, mais aussi en énergie, en production de biens de consommation. Cela diminuerait les besoins en transport générés par la mondialisation et amènerait la création d’emplois locaux ;
  • la sobriété : il faut réduire notre empreinte écologique et diminuer notre consommation, par une réduction de la publicité, par un frein à l’obsolescence planifiée, par une réduction de la taille de nos maisons…
  • la démocratie : nous devons tous pouvoir participer aux décisions qui nous concernent et pour cela multiplier les lieux de discussion et les mécanismes de participation.

Avec de tels principes, nous diminuerions nos importations ; donc, moins de transport et moins de production de CO2 et plus de production locale. Dans l’alimentation par exemple, le passage de l’agriculture industrielle à une agriculture écologique se traduira par une amélioration de la qualité de notre alimentation, une diminution des transports et la création d’un grand nombre d’emplois locaux. La recherche d’une prolongation de la vie de nos objets de consommation amènera la renaissance de l’artisanat, des métiers de réparation et des services d’échange et d’emprunt. La densification de nos lieux de vie notamment par la mixité des fonctions (habitation, travail, consommation et loisirs) diminuera nos besoins en transport.

Au total, nous aurons des communautés fondées sur des échanges réels, au lieu du virtuel qui prend constamment plus d’importance dans nos sociétés: des contacts humains, qui répondent à nos besoins grégaires profonds. Nous diminuerons notre travail hétéronome (commandé par l’extérieur) pour développer notre autonomie et nos diverses capacités ; nous aurons du temps pour donner une qualité à notre vie et reprendre contact avec la nature. Nous cesserons de compter sur l’exploitation du Tiers Monde pour assurer notre consommation au plus bas prix possible.

Et ainsi nous pourrons retrouver notre dignité humaine.

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