Par Gaétan Breton,
Version pdf.:Bloc 1 – Breton, Gaetan
Québec Inc. est le nom que l’on donne généralement a un groupe d’entrepreneurs ou d’entreprises, formé de Québécois francophones, qui est apparu dans les années soixante. La formation de ce groupe répondait à une longue tradition consistant à prétendre que les Canadiens-français n’avaient pas les qualités pour atteindre des postes importants dans le domaine des affaires et à un ostracisme presque complet des Québécois dans le monde de la finance, contrôlé par les anglophones. Nous nous souviendrons des affirmations infamantes du président du Canadien national, Donald Gordon à propos des francophones[1]. Il s’agissait d’une position essentiellement raciste d’autant plus inacceptable que l’organisme qu’il représentait était la propriété du gouvernement du Canada.
Ajoutons également, à ce stade-ci, qu’il existe un magazine qui s’appelle Québec Inc. Cette publication défend les intérêts des entrepreneurs et reproduit et exprime assez clairement ce qui nous semble être les traits essentiels de l’idéologie de ce mouvement.
Les coffres de l’État
Le moyen retenu pour atteindre l’objectif, consistant à montrer que les Québécois francophones étaient aussi capables que n’importe qui de gérer les affaires, a été de favoriser l’émergence d’une classe d’entrepreneurs en utilisant l’État. Les entreprises ainsi créées ont eu le soutien de l’État québécois et ont pu se développer à partir des contrats fournis par le gouvernement. Les étapes furent multiples.
Pour montrer la capacité des francophones du Québec à diriger de grandes entreprises, le gouvernement du Québec les a d’abord, en bonne partie, créées. Il a, par exemple, créé Hydro-Québec, qui a été un instrument extraordinaire pour démontrer le génie créatif des Québécois et leur capacité à faire des affaires avec n’importe qui dans le monde. Ensuite, il a démantelé département d’ingénierie de cette dernière, pour favoriser le bureau conseil Lavalin.
Les années soixante ont vu le gouvernement du Québec créer une série d’institutions et d’entreprises d’État. Évidemment, le désir de montrer les capacités des Canadiens-français n’était pas la principale motivation. Le gouvernement de l’Union Nationale avait laissé le Québec exsangue après plus de 20 ans d’ultra-conservatisme. Cependant, le retard économique des Québécois était aussi lié à la mauvaise réputation des Québécois francophones comme gestionnaires. Les deux allaient de pair. Il faut bien admettre que la gestion de l’Union Nationale n’avait rien pour remonter la réputation de gestionnaire des Québécois.
Le gouvernement a servi de moteur au développement des entreprises de Québec Inc. La pratique du financement étatique a pris une dimension quasi naturelle et les rôles se sont retrouvés renversés. Il est devenu non seulement normal mais fréquent que l’État finance les investissements privés. Il n’y a plus d’investissement sans que le gouvernement injecte une quantité souvent importante de fonds publics. Bref, le privé se finance dans les coffres de l’État.
Le Québec n’aide pas adéquatement les entrepreneurs en matière de capital de risque, affirme Charles Sirois. Il propose un modèle qui permettra à la fois aux entreprises innovantes de trouver les sommes nécessaires à leur développement tout en donnant l’occasion aux petits investisseurs de participer à leur croissance.
On pourra constater facilement que cette dérive du libéralisme n’est pas nouvelle. Au temps de Taschereau, les amis de l’État tenaient la caisse et ne se gênaient pas pour y puiser allègrement. Maurice Duplessis, après avoir fait un inventaire exhaustif des corruptions des libéraux dans son Petit catéchisme de l’électeur, en plus de les imiter, s’est empressé de leur ajouter quelques nouvelles variantes.
Depuis quand un État libéral doit-il fournir les fonds pour que les entrepreneurs investissent? Mais, c’est le modèle qui prévaudra dans la deuxième phase de Québec Inc. Le gouvernement doit prendre les risques mais organiser sa participation de telle façon que « les petits investisseurs » puissent « participer à leur croissance ». Le projet de Charles Sirois est clair. Participer à leur croissance signifie profiter des rendements s’il y en a. Les entrepreneurs privés profitent de la croissance, le cas échéant, mais n’ont rien avoir avec les pertes s’il y en a. Les PME sont si essentielles, il faut bien faire des efforts!
Il fut un temps au Québec où les gens remplaçaient le crucifix dans leur cuisine par le mot PME. C’est Serge Saucier qui aimait raconter cette anecdote à la belle époque du Régime d’épargne actions (RÉA) du Québec.
Évidemment, Serge Saucier est un de ces entrepreneurs ayant le plus profité de ce système. Il a eu tous les contrats possibles, a siégé sur toutes les commissions et a été mêlé à toutes ces merveilleuses décisions que savent si bien prendre les chefs d’entreprise et qui ont mené le Québec (pas Inc.) en arrière en le transformant en pays en voie de renveloppement, c’est-à-dire, où on détruit systématiquement toutes les institutions qui avaient été créées et qui ont servi de socle à l’érection de Québec inc.
Avec le financement public et la remise systématique des risques au gouvernement, on peut vraiment se demander ce qu’est un entrepreneur?
Qu’est-ce qu’un entrepreneur sinon une personne qui est disposée à risquer sa chemise pour réaliser son rêve? Certains poursuivent leurs objectifs contre vents et marées. D’autres parlent de risques calculés. Guy Gagnon, lui, cherche constamment la bonne histoire, qui remplira ses salles de cinéma… ou celles des autres.
Aujourd’hui la mode est de risquer la chemise des payeurs de taxe. Notons que cette mode est internationale.
Les coffres des travailleurs
Puis, dans la phase subséquente, l’idée mirifique a germé d’utiliser l’argent des travailleurs pour financer leurs emplois, ou du moins c’est ce que le discours officiel prétendait. On a donc assisté à la création de fonds de solidarité de travailleurs, dans le but de participer au financement des entreprises d’ici. On a ainsi redonné un troisième souffle à Québec Inc. Une telle association peut paraître étonnante à l’observateur étranger, mais elle se situe dans le droit fil de la tradition québécoise.
Au Québec, la question nationale a toujours interféré dans la question sociale. De fait, elle a fait plus qu’interférer, elle a pris toute la place. La question nationale était d’abord un problème de la bourgeoisie. La bourgeoisie canadienne-française n’arrivait pas à faire sa place. Or, dans le raisonnement proposé, une nation, pour exister, a besoin d’avoir sa propre bourgeoisie. Bref, on a dit aux travailleurs qu’il était inconvenant qu’ils soient exploités par des patrons étrangers et qu’ils devaient lutter pour être exploités par des gens de leur ethnie. Il n’a jamais été question qu’ils arrêtent d’être exploités. Bref, il manquait un élément essentiel pour faire un peuple : une bourgeoisie.
Cette union « sacrée » autour de la « question » nationale a complètement évacué la question sociale, celle des différences de classes. Elle le fait encore. Tout le problème de ce qui reste du Parti Québécois est là (je parle ici des militants sincères qui croient à la souveraineté). À force de repousser au lendemain du grand jour toute discussion sur la sorte de société que l’on voulait, les contenus sociaux-démocrates qui faisaient l’intérêt de son programme ont été remplacés tranquillement par le même discours que celui des libéraux, voire souvent par celui de l’Union nationale, c’est-à-dire un nationalisme de PME avec des dirigeants (exploitants) bien de chez nous.
Cette union sacrée, comme nous venons de le dire, s’incarnait aussi dans les syndicats catholiques qui tenaient fermement les travailleurs canadiens-français à l’écart des luttes ouvrières internationales sous le couvert de la religion. Ces supposés syndicats rassemblaient patrons et employés dans une même vision paternaliste, nationaliste et religieuse. Chacun gardait sa place et personne ne se révoltait contre Dieu ou contre la place qui lui était dévolue (de droit divin). Comme les Anglais sont protestants, on comprendra facilement l’intérêt de l’Église catholique dans un tel mouvement. L’idéologie est claire, avoir des petits patrons d’ici, dirigeant des petites entreprises d’ici et faisant travailler de bons catholiques d’ici, sans se mêler des grandes affaires et de la haute finance, protestantes et dangereuses mais contribuant aux œuvres religieuses catholiques.
Quand on détourne l’argent des travailleurs et des citoyens, car les avantages fiscaux sont importants, pour supposément faire avancer le syndicalisme et sauver des emplois, mais qu’on se retrouve dans toutes les embardées de l’État soutenant Québec Inc., on se retrouve exactement dans la même situation qu’à l’époque des syndicats catholiques. Sauvons la nation ensemble, nous sauverons les travailleurs plus tard, toujours plus tard! En attendant, sur le terrain, le syndicalisme recule, la précarité s’installe partout, les horaires sont de plus en plus débridés; tout cela financé doublement par l’argent des travailleurs, contribuables (l’impôt est de plus en plus régressif) et par leurs fonds de pension, Fonds de solidarité (sic) mais aussi les régimes de retraite (notamment, la Caisse de dépôt).
Petit pain, petite entreprise
Quand on est né pour un petit pain… On le sait, les Québécois ont toujours été relégués aux petits profits et plusieurs ont intégré ce schéma. Les entreprises de Québec Inc. seront donc souvent des petites entreprises.
C’est l’entreprise privée qui contribue le plus à la croissance économique. Les gouvernements l’ont oublié, dit John Dobson.
D’abord, rappelons que l’entreprise privée est le moyen que nos sociétés ont choisi pour faire fonctionner l’économie. Dire qu’il faut se rappeler que c’est l’entreprise privée qui contribue le plus à la croissance économique est comme si le gouvernement disait qu’il ne faut pas oublier qu’il contribue le plus à faire des lois. Mais, à partir du moment où cette entreprise privée est financée et soutenue par les fonds publics, est-ce encore vrai? Peut-elle encore dire qu’elle fait sa part dans le pacte qui la fonde?
La crise économique rappelle aux leaders d’ici que le moteur de notre économie, les entreprises, est en danger. La situation est critique : déjà en mode de survie, les entreprises n’ont plus accès au capital privé. Les banques coupent les marges de crédit et les dirigeants de PME ont déjà fait le ménage partout où ils pouvaient.
Évidemment, les banques posent problème. Les banques canadiennes n’ont jamais été en crise et n’ont jamais manqué de liquidité suite à des défauts de paiements. Dès 2008, les banques canadiennes continuaient de présenter des profits records et celles qui ont connu un léger fléchissement au 3ème trimestre ont obtenu ce résultat en manipulant grossièrement leurs provisions pour mauvaises créances (jusqu’à les multiplier par 4). En 2009, le retour aux profits record tout azimut était à l’ordre du jour. Alors quand les banques reçoivent de l’argent des gouvernements pour pouvoir financer les entreprises, elles doivent bien rire de la naïveté (ou de la complicité) de nos élus. Mais, pourquoi les entreprises auraient-elles eu besoin des fonds de l’État ou des banques à ce moment-là? Si nous étions en récession, les prix baisseraient et les salaires, gardés bas depuis déjà des décennies en comparaison des prix, baisseraient encore plus. Les ventes baisseraient et, donc, les entreprises n’auraient pas besoin de financer de nouveaux investissements. Si, par ailleurs, la relance de la consommation fonctionne, les entreprises vont fonctionner comme avant et n’auront donc pas de problème de liquidité. Le vrai problème est que tout cela n’est que mensonge et manipulation pour tirer le plus possible de fonds publics de gouvernements dont on ne sait plus s’ils sont achetés ou simplement totalement incompétents (remarquons que l’un n’empêche pas l’autre)
Le développement et la mise en marché d’un nouveau médicament requièrent des années de travail et d’énormes capitaux. Malgré tout, l’industrie biopharmaceutique au Québec a réussi à s’ériger comme un pôle de développement économique majeur. La crise du crédit et la pénurie de brevets menacent maintenant l’avenir de plusieurs biotechs ainsi que des milliers d’emplois.
Il fallait bien que les pharmaceutiques se plaignent aussi. Les compagnies pharmaceutiques jouissent d’un régime de protection absolument blindé au Canada. De plus, elles réalisent, après avoir déduit les dépenses de recherche et de développement, des taux de profit récurrents avoisinant les 50 pourcent. Avec ça, elles auraient des problèmes à se financer! C’est sans doute qu’elles ont distribué trop de dividendes.
Cette question des dividendes est révélatrice. Prenons l’exemple des deux banques qui se spécialisaient dans les hypothèques à taux avantageux. Ces deux banques avaient réalisé des dizaines de milliards de bénéfices dans les années immédiatement précédant 2007-2008. Une bonne partie de ces bénéfices avait été distribuée en dividendes. Donc, les actionnaires s’en sont mis plein les poches et tout était normal. Puis, rien ne va plus. On voit des risques de perte, alors tout le monde se tourne vers le gouvernement. Mais, les pertes de 2008, n’étaient que broutilles à côté des profits engrangés au cours des années précédentes. Si les actionnaires peuvent encaisser les dividendes, pourquoi ne peuvent-ils pas les reverser quand il y a des problèmes. Les « investisseurs » gardent l’argent reçu réalisé en prenant de gros risques, et les contribuables paient les pots cassés, ce qui permet de conclure que le risque est maintenant unidirectionnel : le risque de gagner pour l’actionnaire et le risque de perdre pour le contribuable, qui n’a jamais si bien porté son nom.
Une autre question hautement « idéologisée » est celle de l’emploi. Il est indéniable que, ce qu’il est convenu d’appeler le taux de chômage de plein emploi, a augmenté sensiblement depuis une ou deux décennies. Faire augmenter ce paramètre consiste à déclarer que le monde du travail aura de moins en moins besoin de bras humains, donc à prendre acte des avancées de la technologie. Alors, comment se fait-il que, périodiquement, les entreprises se plaignent de ne pas avoir les travailleurs qu’elles voudraient, en dépit de tous les programmes offerts (façon de parler) aux assistés sociaux et en dépit aussi de tous les gens qui n’arrivent plus à se retrouver de l’emploi. De plus, ces pénuries proclamées n’ont pas l’air d’avoir de grands effets sur le contenu des tablettes de magasins, par contre elles en ont de sérieuses sur les tarifs de certains travailleurs spécialisés.
Le président du Groupe financier BMO au Québec, Jacques Ménard, mène une croisade personnelle pour mobiliser la société québécoise dans la lutte contre le décrochage scolaire. Une bonne partie des problèmes de pénurie de main-d’œuvre dans l’industrie manufacturière serait réglée si l’on pouvait mieux orienter la scolarité des jeunes en fonction des réalités du marché du travail, clame-t-il.
La question de l’école est trop vaste et complexe pour être traitée sérieusement ici. Disons simplement qu’il s’agit, pour les entreprises, de mettre la main sur un autre bien collectif. Il est symptomatique que ce soit encore Jacques Ménard, promoteur de la privatisation de la santé financée par le public qui en parle. Évidemment, le test ultime de tous ces oracles demeure la conformité à la réalité, une réalité qu’ils nous fabriquent de toute pièce. Il faut revenir à notre petit univers étriqué dirigé par la petite bourgeoisie canadienne-française, exploitée à son tour par le grand capital international.
Le vocabulaire guerrier
L’imagerie guerrière est devenue dominante dans le monde des affaires. La conquête des marchés se fait maintenant avec les Guerriers de l’émergence, titre d’une plaquette publiée par un ordre comptable (CMA). Tout est bataille, stratégie, et Machiavel comme Sun Tse se vendent comme jamais. Aux OPA hostiles succèdent les « prises » de contrôle.
Pour Vincent Guzzo, l’entrepreneur est un chevalier des temps modernes. Il a troqué son armure contre un complet cravate. Il ne se bat plus pour des territoires, mais pour des parts de marché. Et s’il écrase son ennemi, c’est qu’il est né pour ça. Le patron des cinémas Guzzo sait qu’il peut être décapant. Et il s’assume.
Après que la bourgeoisie ait organisé sa reproduction autour de la « réussite » scolaire, voilà qu’on en revient aux critères de la naissance. L’homme d’affaires est né pour ça. Remarquons que ce retour aux méthodes de succession du régime féodal est normal, puisque l’homme d’affaires devient un chevalier, une figure mythique du monde féodal, justement.
Dans le contexte québécois, le sens est double. On accusait les Canadiens français de n’être pas faits pour les affaires. On leur disait que c’était dans leur éducation, pas dans les gènes. Ce que dit Guzzo, c’est que c’est justement dans les gènes et que ces gènes peuvent s’exprimer en français aussi bien qu’en anglais et chez les catholiques autant que chez les protestants. Car, nous nous souvenons tous des affirmations mal citées de Weber. Weber dit que l’éthique protestante est plus propice au développement du capitalisme (donc à l’accumulation du capital). Ce qu’il dit plus précisément, c’est que l’esprit puritain, qui encourage un travail sans relâche et une vie austère, c’est-à-dire sans dépenses qui ne sont pas essentielles, encourage la thésaurisation et, de ce fait, la constitution d’un capital qui s’accroîtra avec les générations.
Les catholiques, qui ne sont pas faits, selon Mrg Paquet, pour allumer le feu des hauts fourneaux mais celui de la foi, tiendront pourtant le même discours que Weber. La richesse est gagnée par le travail et est donc légitime et ceux qui ne sont pas riches sont des paresseux ou des gens qui gaspillent et ne savent pas gérer leurs affaires. Bref, les catholiques vont utiliser les mêmes arguments que les protestants et vont très bien les adapter à l’éthique du catholicisme.
Mais de quelles fortunes parle-t-on? Quand on justifie l’accumulation d’un certain capital par le travail, on parle évidemment de petits entrepreneurs locaux, qui ont amassé quelque bien, mais pas de fortune au sens strict de ce mot. Ils vivent en « notables », dans des petites villes, mais n’ont rien à voir avec le grand capital. D’ailleurs, ces petites fortunes ont souvent été faites lors de contrats avec l’État, contredisant ainsi le discours voulant que seul le travail justifie la fortune. Ces petits entrepreneurs francophones sont, en fait, la vitrine de la richesse pour la population. Les vrais riches, les Bronfman, ne sont jamais dans le champ de vision des travailleurs, ils n’habitent pas la « province » et ne vont pas dans les mêmes églises que les gens dits ordinaires fréquentent alors assidument, pour quelques temps encore. Les syndicats catholiques, encore eux, vont participer à la légitimation de cette richesse, fruit du travail acharné et de l’économie. Ce mythe a survécu jusqu’à aujourd’hui ou plusieurs exploités croient encore que la propriété est l’explication ultime et suffisante de tous les comportements abusifs. L’image de ce petit entrepreneur est encore surimposée sur celle du vrai capitaliste.
Ces petits entrepreneurs ont servi de base au mouvement appelé Québec Inc. Ce sont des petites entreprises comme Canam-Manac, que des fonctionnaires, on dirait presque facétieux, ont transformé en moyennes entreprises par des transactions dont le contribuable a fait, encore une fois, les frais. Dans le cas de Canam-Manac, c’est l’achat de Gaz Métropolitain, entreprise appartenant à l’État, puis sa revente immédiate, sous les pressions de la Commission des valeurs mobilières au groupe de Bertin Nadeau, un autre ami du régime, qui a lancé l’entreprise dans ce qu’on peut appeler, au Québec, les ligues majeures.
Mgr Paquet et les anglo-canadiens avaient peut-être raison, car les entreprises ainsi artificiellement créées n’en finissent pas d’entrer dans le circuit international de la propriété, montrant ainsi que si les Québécois francophones sont capables de diriger des entreprises, ils semblent manquer de souffle pour le faire bien longtemps.
John Dobson est bien plus qu’un riche mécène : il est toujours l’un des plus farouches défenseurs du libre marché et de l’entreprise privée et un critique virulent de l’interventionnisme de l’État dans l’économie. « La création d’emplois est essentielle à la croissance de l’économie, et créer des emplois, ça passe par les entrepreneurs », insiste-t-il.
Ce discours, dirions-nous ce mantra, est bien connu, cependant il a tendance à occulter une partie de la réalité qui consiste dans le fait que bien que la production de richesse ne cesse d’augmenter, elle ne s’accompagne pas d’une croissance parallèle de l’emploi. Le temps des entrepreneurs, donneurs d’emploi, sauveurs de la patrie, c’est fini dans les faits, exit Mon oncle Antoine. Mais les discours sont peu sensibles aux faits et durent bien après que ceux-ci ne sont guère plus que des souvenirs.
Le sens de l’histoire
Évidemment, ce renversement de conception, si on peut dire, est avant tout question de langage. La façon de dire les choses participe grandement de la vision du monde que nous avons. Ainsi, quand on nous parle tous les jours de fardeau fiscal, comment ne pas voir l’impôt comme un poids. De la même façon, quand le premier ministre répète que nous sommes en retard sur la question des partenariats public-privé, il prétend que l’avance est dans plus de partenariats et en fait le sens de l’histoire. Il passe toutefois sous silence les problèmes énormes que le Royaume-Uni a connus avec ses expériences, elle qui était devant le peloton sur cette question, Margaret Thatcher oblige.
Le Québec est le dernier de classe au Canada en matière d’environnement fiscal pour les petites et moyennes entreprises (PME). Une étude exhaustive – la première du genre – réalisée par la Fédération canadienne de l’entreprise indépendante (FCEI) a confirmé ce que plusieurs présumaient : il est plus ardu de faire affaire et d’être rentable au Québec quand on est de petite taille.
L’économiste rappelle que les propriétaires de PME québécoises ont déjà fait savoir que leur bonheur futur passait d’abord par des baisses d’impôts des particuliers : en plus d’en profiter personnellement, leurs employés en bénéficieront aussi, facilitant ainsi la rétention des ressources humaines.
Si nous sommes des derniers de classe et que les impôts sont trop élevés, nous voyons tout de suite dans quelle direction se situe le premier rang. Cela, énoncé en dépit de tous les documents produits par tous les groupes, quelle que soit leur allégeance politique. Les documents émanant tant de l’État que des groupes privés montrent, de manière récurrente, que la fiscalité des entreprises est plus que compétitive au Québec. De plus, une célèbre étude de KPMG, une des grandes firmes comptables de niveau international, montre que la structure de prix fait que plusieurs villes du Québec apparaissent comme les endroits les plus avantageux dans le monde pour démarrer une entreprise.
Ce que les propriétaires de PME veulent, c’est une baisse de l’impôt des particuliers qui, lui, est plus haut que dans certaines autres régions environnantes (provinces ou état). Évidemment, ces comparaisons demeurent vaines tant qu’on ne compare pas, par exemple, l’avantage des soins de santé gratuits par rapport à ce qu’il en coûte d’assurances aux États-Unis et ce que les entreprises doivent débourser. Mais, payer, même deux fois plus cher, tant que ça ne s’appelle pas impôt…
Il est vrai qu’au Québec, depuis au moins une bonne décennie, les impôts sur les bénéfices diminuent continuellement alors que les taxes sur la masse salariale augmentent. Comme souvent les grandes entreprises sont plus mécanisées que les PME, ce sont ces dernières qui font les frais de ces augmentations alors que les profits des multinationales quittent le pays sans être imposés et ceci de bien des façons. Nous sommes revenus au temps de Duplessis, sauf que tout est mieux enveloppé et mieux caché. Nos gouvernements continuent de tenir un discours de soutien aux PME bien que la politique fiscale appuie la grande entreprise.
Conséquence attendue de cette hausse des impôts sur la masse salariale, les entreprises demandent une baisse des charges sociales. Il ne reste plus alors au gouvernement que la taxe de vente, la forme la plus régressive de taxation, surtout quand il ne subsiste plus d’exceptions ou d’exemptions.
L’assouplissement des charges sociales arrive en second. En fait, les entrepreneurs préfèrent que les gouvernements se servent d’une hausse des taxes à la consommation pour renflouer leurs coffres, jugeant les effets « moins pénalisants » de cette forme de taxation sur leurs affaires. C’est ce qui explique que la FCEI-Québec a trouvé « relativement raisonnable » le choix qu’a fait l’ex-ministre Monique Jérôme-Forget dans son dernier budget d’annoncer une hausse de la TVQ à 8,5 % en 2011 afin de retrouver l’équilibre budgétaire.
En résumé, l’État, au service de Québec Inc. (ou de ce qu’il en reste), a diminué les impôts sur les bénéfices, la taxe sur le capital, qui est maintenant pratiquement éliminée, les impôts des particuliers et, pour finir, après les avoir augmentées, les taxes sur la masse salariale. Il reste la taxe de vente. Or, celle-ci, en gros, est payée par les travailleurs. Donc, ce sont les travailleurs qui vont financer l’État qui ne cesse « d’aider » les entreprises qui elles maintiennent les salaires le plus bas possible.
On voit que l’espèce de paternalisme des « élites » envers les travailleurs revient en force, avec le recul des syndicats et leur collaborationnisme qui les assimile aux unions catholiques d’il n’y a pas si longtemps.
La mondialisation va régler tout ça
Québec Inc. est fatigué et a décidé de partir en Floride. Une bonne partie de ces fleurons de la couronne économique du Québec a été vendu à des intérêts étrangers ou a été « sauvée » à la dernière minute par le gouvernement directement ou à travers la Caisse de dépôt, par exemple. Quand les entreprises québécoises font des profits, elles sont privées, mais le discours passe au nous « nationaleux » quand il faut utiliser les sous des contribuables pour les racheter, alors qu’on les a déjà payées plusieurs fois, et leur conserver leur caractère privé, tellement plus efficace (sic).
Sinon, c’est Bombardier qui revient se plaindre au gouvernement et demander encore de l’aide avec menace de déménagement à l’appui. Si les gouvernements du Canada reprenaient tout ce qu’ils ont donné à Bombardier avant le déménagement, il n’est même pas certain que Laurent Beaudoin aurait de quoi se mettre sur le dos pour prendre l’avion.
Le Québec inc. s’est endormi! Le monde des affaires québécois, l’un des acteurs puissants qui a contribué à la naissance du « modèle québécois », a perdu la flamme. Il est temps qu’il s’occupe à nouveau du contrôle économique du Québec sur ses entreprises stratégiques pour son avenir.
Le consensus, à la base de Québec Inc., n’aura pas duré longtemps et les gens d’affaires, tous plus d’affaires les uns que les autres, se dépêchent de retirer leurs billes et de partir avec le « cash ». Le vrai modèle québécois a consisté à créer, artificiellement, une vie économique à partir de l’État, tout en prônant le non-interventionnisme. Les joueurs importants, qui découvraient le monde des vraies affaires, un coin de la cour des grands, ont été éblouis et sont partis jouer plus loin. Ce monde n’existe plus et vouloir le faire revenir ne relève même pas de la nostalgie, mais de l’idéologie, encore et toujours.
Le nationalisme économique n’est plus de saison avec la mondialisation, qui est basée, dans le discours, sur le fait que le plus compétitif emporte le marché, où qu’il soit. Maintenant, nous savons que tout le monde triche. Les Américains qui subventionnent leur coton, les Australiens qui subventionnent leurs vaches et les Canadiens qui veulent faire grossir artificiellement certaines banques (en diminuer le nombre) pour être plus compétitives. Québec Inc, de toute façon ne sert plus à rien. Le débat entre francophones et anglophones, au Canada, pour la conduite des affaires s’est noyé dans la mondialisation et ne semble pas en voie de réapparition avant un bon bout de temps, si jamais cela devait arriver.
Gaétan Breton est professeur au Département de sciences comptables de l’Université du Québec à Montréal
[1] Sa déclaration disait à peu près qu’il n’y avait pas de Canadiens-français assez compétent pour atteindre un poste de direction au Canadien National. Cependant, la forme de sa déclaration était, si j’ai bonne mémoire, bien plus infamante. Je dis, si j’ai bonne mémoire, car s’il y a des traces de la déclaration sur Internet, je n’en ai trouvé aucune transcription.