Les assassinats politiques

« Le droit à la vie est inhérent à la personne humaine. Ce droit doit être protégé par la loi. Nul ne peut être arbitrairement privé de la vie. »

Pacte international relatif aux droits civils et politiques, Article 6, alinéa 1

assassinat1

Le 24 juin 2006 la Présidente Gloria Macapagal Arroyo signait un décret abolissant la peine de mort aux Philippines. Depuis son arrivée au pouvoir en 2001, aucune exécution consécutive à une condamnation à mort n’a été autorisée. Salué de façon unanime par la communauté internationale, ce geste politique n’a pas pour autant rassuré en ce qui concerne le nombre croissant d’exécutions extrajudiciaires, actes arbitraires qui s’exercent en dehors des cadres définis par la loi, visant des activistes politiques pour la plupart affiliés à des mouvements politiques de gauche ainsi que de nombreux journalistes.

Si l’on ne peut imputer la pleine responsabilité de ces assassinats politiques au gouvernement, il n’en reste pas moins que l’état d’impunité qui semble entourer ces actes inquiète. En effet, l’Etat philippin semble aujourd’hui incapable de mettre en place des outils viables pour établir la responsabilité de ces actes, pour conduire les coupables en justice et enfin pour mettre un terme à l’augmentation de ce phénomène. Cette situation subsiste malgré des efforts apparents pour comprendre et tenter d’apporter une réponse efficace au problème ainsi qu’en témoigne le rapport émis par la Commission Melo chargée par le gouvernement d’étudier les meurtres de journalistes et d’activistes.

Si le nombre de victimes varie selon les organismes, -la Task Force Usig (TSU), unité spéciale de la police créée en 2006 à l’initiative de la Présidente Arroyo pour enquêter sur les assassinats politiques, en rapporte 136, Amnesty International 244, alors que le groupe Karapatan, très implanté à l’échelle locale, en dénombre au moins 724- la situation demeure dramatique et l’on peut sérieusement s’interroger sur le respect aux Philippines des droits politiques et des droits humains qui devraient être inhérents à chaque individu.

« L’exécution extrajudiciaire consiste à priver arbitrairement une personne de sa vie, en l’absence de tout jugement d’un tribunal compétent, indépendant ou de tout recours. Elle est strictement interdite par le Droit International, en période de paix comme en situation de conflit. Un rapporteur spécial de la Commission des droits de l’homme des Nations Unies est chargé de suivre la question des exécutions sommaires. »

-Dictionnaire pratique du droit humanitaire, Françoise Bouchet-Saulnier-

Assassinats politiques : situation actuelle et perspective pour l’avenir
Situation Actuelle

Les assassinats politiques sont, aux Philippines, un phénomène reconnu et identifié tant par les différentes ONG qui travaillent sur place et à l’international que par le gouvernement et la Présidente Arroyo qui, dans ses discours de même que par ses actes (création d’une commission d’enquête réputée indépendante, mise en application d’un plan d’action basé sur les conclusions de cette même commission), semble déterminée à vouloir y mettre un terme.

Selon Amnesty International et le groupe Karapatan, on retrouverait dans les assassinats survenus notamment depuis 2003 un même schéma tant au niveau du profil des victimes que des modes opérationnels des assassins. Ces « attaques fatales » ne touchent pas que des membres de l’opposition. On dénombre aussi au rang des victimes des journalistes, des avocats, des militants des droits de l’homme, de même que de simples témoins d’exécutions extrajudiciaires. Cependant, l’appartenance politique reste pour ces organisations un critère décisif : 244 personnes listées dans un parti politique de gauche auraient été exécutées dans des conditions similaires depuis 2001 et l’arrivée au pouvoir d’Arroyo. La Commission philippine des droits humains a ainsi conclu que « sur 143 plaintes pour meurtres et exécutions sommaires qui lui avaient été soumises jusqu’en mars 2006, au moins 42 de ces assassinats étaient motivés par des raisons politiques et sept cas ont directement été attribués aux militaires par des témoins oculaires ».

Le point 6 de la proposition de Résolution commune sur les Philippines déposée le 25 avril 2007 au Parlement européen témoigne aussi d’un fait intéressant : cette résolution « appelle le gouvernement à prendre des mesures pour mettre fin à l’intimidation et au harcèlement systématiques des témoins dans le cadre des poursuites pénales pour assassinat et à assurer une protection réellement efficace des témoins; souligne aussi la nécessité de cesser d’attiser la violence à l’égard de certains groupes politiques ou de la société civile et la nécessité de restaurer les mécanismes de responsabilité normaux propres à mettre fin aux abus du gouvernement ».

En effet, malgré les dénonciations publiques et la récente annonce par le gouvernement de la mise en place d’un programme en six points détaillés ci-dessous persiste l’idée que la tolérance voire l’impunité qui entourent encore aujourd’hui les assassinats politiques serait le signe que ceux-ci servent le gouvernement dans la mise à exécution de ses stratégies de lutte contre-insurrectionnelle. De plus, de nombreux partis d’orientation communiste sont aujourd’hui considérés par le gouvernement comme des façades pour la Nouvelle Armée du Peuple et des activités terroristes.

Les six points d’actions du gouvernement Arroyo


« enjoignent au ministère de la Justice d’élargir et de renforcer le programme de protection des témoins, demande à la Cour suprême de créer des tribunaux spéciaux pour juger les personnes accusées d’assassinat à caractère politique ou idéologique, demande aux forces armées des Philippines de publier un nouveau document sur la responsabilité en matière de commandement, demande au ministère de la Justice et à la Défense nationale de coordonner leur action avec la commission Melo indépendante en matière de droits de l’homme et enjoint au ministère des Affaires étrangères de demander officiellement à l’Union européenne, à l’Espagne, à la Finlande et à la Suède d’envoyer des enquêteurs pour assister la commission ».

-Parlement européen, Proposition de Résolution commune sur les Philippines-

Dans tous les cas, et au détriment des principes énoncés tant dans la Déclaration universelle des droits de l’homme que dans le Pacte relatif aux droits civils et politiques, le gouvernement Arroyo a jusqu’à présent échoué dans son devoir de garantir et de protéger le droit à la vie et à la liberté d’expression et d’opinion de ses citoyens. Aujourd’hui plus que jamais persiste l’idée qu’il existe aux Philippines des entités s’attribuant le droit de faire usage de la violence sans crainte d’être inquiétées par la justice et mettant à exécution la volonté du gouvernement.

« Dans la plupart des situations, des meurtres isolés constitueront un simple crime et n’engageront pas la responsabilité gouvernementale. Mais lorsque la réponse d’un gouvernement à un schéma de crime récurrent est inadéquate, sa responsabilité en terme de droits humains devient applicable. À travers son inaction, le gouvernement accorde un degré d’impunité aux assassins ».

-Commission sur les droits humains, rapport du Rapporteur spécial des Nations Unies sur les exécutions extrajudiciaires, sommaires ou arbitraires-

Perspectives pour l’avenir

La Commission Melo


Entité indépendante établie par l’ordre présidentiel administratif n°157, la Commission Melo avait pour objectif principal de « faire un rapport à la Présidente présentant des propositions d’action et de politique incluant des propositions législatives et pénales appropriées afin d’éradiquer les causes profondes des assassinats extrajudiciaires et de mettre un terme de façon définitive à ce cycle violent ». Placé sous le signe de l’indépendance et de la transparence, le travail de la Commission s’est tout de même attiré les critiques de nombreux organismes d’observation tels que Human Rights Watch (HRW) qui, le 22 mars 2007, adressait une lettre ouverte à la Présidente Arroyo concernant la Commission.

Dans cette dernière, l’organisation, bien qu’elle reconnaisse l’importance de la Commission et du rapport qu’elle a émis dans le processus pour mettre un terme aux assassinats extrajudiciaires, manifeste certaines critiques et insiste sur certains points soulevés par le rapport.

En effet, selon le HRW, la peur des représailles et les inquiétudes quant à l’indépendance de la Commission ont limité, voire réduit à néant, la participation des témoins oculaires, des survivants d’attaques ainsi que des membres d’organisations pour la protection des droits humains, réduisant ainsi la diversité des sources utilisées lors de la compilation des données. Malgré cela, la Commission est bel et bien arrivée à la conclusion qu’il y a une augmentation des assassinats politiques et que ceux-ci sont « commis en application d’un plan orchestré par un groupe ou un secteur ayant un intérêt à éliminer les victimes ».

Pour l’organisation, la participation et les témoignages de l’armée et de la police nationale ont encore une fois permis de mettre en évidence le degré de déni et d’irresponsabilité dans lequel ces deux corps s’inscrivent. En effet, ces derniers attribuent les assassinats à des purges internes aux factions communistes, hypothèse réfutée comme « improbable » par les rédacteurs du rapport. Mais quel serait alors « le groupe » auquel profitent les assassinats politiques ?

Les membres de la Commission Melo se refusent à établir tout lien direct et officiel entre le phénomène et les corps armés de l’État. Au contraire, pour le HRW, les exécutions extrajudiciaires seraient intimement liées « aux stratégies et aux opérations de contre-insurrection », s’appuyant notamment sur les conclusions du rapport dePhilip Alston, Rapporteur spécial des Nations Unies sur les exécutions extrajudiciaires, sommaires ou arbitraires.

Le Rapport Alston

Entendu le 27 mars 2007 par le Conseil des droits de l’homme, organe intergouvernemental récent (créé le 16 mars 2006 par la résolution A/RES/60/251 de l’Assemblée générale de l’ONU) destiné à être le principal référent des Nations Unies pour toutes les questions relatives aux droits humains, le Rapporteur spécial sur les exécutions extrajudiciaires, sommaires ou arbitraires, Philip Alston, nous apporte une réponse fort intéressante et inquiétante à la question de la responsabilité des assassinats politiques aux Philippines.

En effet, selon lui « il n’y a pas de doute raisonnable quant au fait que l’armée est bien responsable d’un nombre important de ces meurtres ». Pour Alston, l’armée serait aujourd’hui dans un profond déni vis-à-vis la situation préoccupante que pose l’accroissement des assassinats pour des motifs politiques et serait incapable de répondre de façon convaincante aux nombreuses accusations dont elle fait l’objet. Le Rapporteur a, à ce titre, précisé au Conseil que le ministre de la défense philippin avait dit de lui « qu’il ne comprenait rien, qu’il était sourd, aveugle et muet ». Alston explique que cette réaction avait été provoquée par son refus d’accepter l’explication traditionnelle fournie par l’armée qui consiste à imputer la responsabilité des assassinats politiques à des purges internes aux mouvements de gauche.

De même, le Rapporteur insiste sur l’aspect contradictoire, « schizophrénique », entre d’un côté les discours, les décisions positives du gouvernement visant notamment à encourager les témoins à se manifester en assurant leur protection et, de l’autre, la résignation des militaires qui vont parfois jusqu’à refuser d’admettre l’existence du problème et qui réfutent en bloc une quelconque implication de leur part dans les assassinats commis depuis 2001.

Bien qu’Alston nuance son propos en évoquant l’existence d’une « dimension de propagande » dans les accusations qui visent de façon systématique l’armée et la police lorsque sont assassinés des militants ou des sympathisants de gauche, les informations recoupées par celui-ci semblent se vérifier. L’auteur ajoute également que s’il existe un regain des actes de violence et des meurtres commis par la branche armée du Parti Communiste Philippin, la Nouvelle Armée du Peuple, il n’y a à ce jour aucune preuve convaincante qu’il s’opère en son sein une purge qui justifierait à elle seule le nombre croissant d’exécutions extrajudiciaires.

Au terme de sa note préliminaire consacrée à sa mission aux Philippines (A/HRC/4/20/Add.3), l’auteur semble avoir « peu de raison d’être optimiste ».

Enfin, dans ses recommandations provisoires, le Rapporteur encourage le gouvernement philippin à faire en sorte que les membres des corps militaire et policier s’abstiennent « de faire des déclarations publiques faisant un amalgame entre, d’une part, les groupes politiques et d’autres acteurs de la société civile et, d’autre part, les personnes engagées dans des insurrections armées ». Alston souhaiterait de même voir la Cour suprême du pays jouer un rôle majeur dans le processus de lutte contre les assassinats extrajudiciaires en incitant notamment les procureurs à « faire respecter et protéger les droits de l’homme […] à agir de telle sorte que des enquêtes sérieuses soient menées et que les témoins bénéficient de programmes de protection ». De façon générale, Alston souhaiterait aussi que soit débattue la question de l’imputabilité, de la responsabilité juridique des agents de l’État.

-Logo de la campagne Stop the Killings in the Philippines lancée par la Philippines-Canada Task Force on Human Rights (PCTFHR)-

-Logo de la campagne Stop the Killings in the Philippines lancée par la Philippines-Canada Task Force on Human Rights (PCTFHR)-

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