Philippines : El Dorado du 21e Siècle?

Par Félix Hébert

Sortez vos portefeuilles! Suivez la tendance! Cette année, c’est aux Philippines que se déroule le festival de l’investissement! Ne tentez toutefois pas d’acheter vos billets tout de suite, ce n’était qu’une figure de style. En effet, les Philippines se classent comme meilleur pays où investir en 2018 d’après le classement US news, mais avant d’y placer toutes vos économies, pourquoi ne pas tenter de trouver ce qui rend le pays si attrayant pour votre argent. 1

La production du pays augmente d’environ 6,5 % à 6,8 % annuellement, comparée à une augmentation de 2,3 % pour le Canada et de 2.06 % pour les pays membres de l’OCDE, une organisation regroupant la plupart des économies développées. Attention par contre à la spéculation, à l’heure actuelle, une telle augmentation ne signifie pas que la croissance sera stable dans le futur. Nombre d’auteurs proposent que, pour savoir si un investissement dans un autre pays vaut la peine, il faille observer la politique et le commerce, autant intérieur qu’extérieur. 2 3

En ce qui concerne le commerce extérieur, les Philippines se trouvent encastrées dans ce que les économistes nomment une chaîne de valeur. Cette place signifie que le pays exporte des pièces de produits, et non pas des produits terminés. Il est donc très important pour les Philippines de commercer avec les autres pays de la région qui produisent eux aussi des pièces pour les mêmes produits.

Circuit intégré

On comprend le phénomène en observant les exportations des Philippines. En 2016, 32 % de ces dernières, soit un 31,9 milliards de dollars, étaient dédiées uniquement aux circuits intégrés. Ce sont de petites puces électroniques qui doivent être assemblées avec d’autres pièces afin d’être utiles. En comparaison, les exportations d’aluminium vers le monde entier, aujourd’hui source de conflits avec États-Unis, ne représentent que 5,3 milliards de dollars! 6

L’ouverture actuelle des Philippines au commerce international lui permet donc d’atteindre une croissance phénoménale, mais la rend également dépendante de ses voisins sans qui son économie pourrait s’écrouler. L’Association of Southeast Asian Nations (ASEAN), une organisation politique régionale, aide donc les Philippines à former des partenariats économiques qui lui sont bénéfiques. Le pays profite donc de ces structures, bien que son économie puisse également être dépendante de leur stabilité. 4 5

Les investisseurs devraient par contre également s’intéresser à l’agriculture. D’après des experts sur l’autosuffisance alimentaire, les agriculteurs travaillant dans des rizières aux Philippines ont développé des techniques leur permettant de maximiser leur productivité, et ce, de fa

çon durable. Il est question ici de techniques de coopération. Les agriculteurs forment des regroupements et travaillent avec des organisations non gouvernementales transnationales.

Logo MASIPAG

Grâce à des groupes comme le Farmers-Scientists Partnership for Development (MASIPAG en Philippin), les fermiers partagent avec d’autres communautés à l’international 47 variétés de riz permettant de s’adapter en cas de maladies affectant leur type de riz. De plus, le partage avec des équipes de scientifiques permet d’améliorer ces variétés et de les rendre plus productives. 7 .

Si l’on considère par contre le contexte de mondialisation, le futur de l’agriculture telle qu’elle est actuellement aux Philippines est plus incertain. D’après Kym Anderson, experte des politiques économiques sur l’agriculture, le profit fait dans le secteur de l’agriculture pourrait stagner lorsque la demande mondiale de nourriture cessera également de croître. Un investissement à long terme pourrait donc devenir risqué. 8

Les Philippines ont également, comme particularité, une énorme communauté d’expatriés, n’étant que peu considérées dans les indices statistiques. Il est pourtant important de comprendre l’influence des transferts monétaires entre les Philippins au pays et ceux à l’extérieur, car la valeur de la monnaie philippine en est grandement affectée.

Ces expatriés travaillent et gagnent de l’argent dans une devise étrangère, comme le dollar américain. Lorsqu’ils transfèrent des fonds aux Philippines, ils doivent acheter des pesos philippins. Lorsque toute une communauté d’expatriés tente d’acheter des pesos philippins en même temps, le prix du peso monte afin qu’il soit acheté par le plus offrant. Il est donc à considérer par tout investisseur que la valeur de ses investissements sera affectée par la communauté philippine au pays, comme à l’international. 9

Toute personne avisée qui désire s’impliquer financièrement aux Philippines devra considérer certains aspects sociaux. La montée du libre-échange dans le pays a contribué à l’écart de richesse entre les riches et les pauvres. On retrouve donc peu de travailleurs qualifiés, et ces derniers quittent souvent le pays, car leur éducation a été dirigée vers les besoins internationaux et non locaux. Les Philippines devront donc décider, dans le futur, de quels types d’investissements ils désirent dans le pays, et possiblement, d’ajuster l’éducation de ses citoyens en conséquence. 10

Le futur des Philippines dépendra donc de la place que le pays prendra au sein du commerce mondial. Son rôle au sein de la chaîne de valeur en Asie du Sud-Est et ses exportations agricoles auront une forte influence sur cette place. Pour l’instant, l’économie du pays roule à fond, et les possibilités d’y investir sont substantielles. Les risques sont toutefois présents, mais ils sont le prix à payer pour la possible récolte d’énormes profits.

Au 16e siècle, les conquistadors espagnols commençaient à chercher en Amérique l’El Dorado, un lieu mythique — une ville, un royaume ou un empire — qui renfermerait suffisamment de trésors pour rendre n’importe quel homme infiniment riche. Il ne fut toutefois jamais découvert. Au même siècle, les conquistadors colonisaient les Philippines. Avaient-ils alors inconsciemment trouvé les richesses promises de l’El Dorado sur un autre continent?

El Dorado dans l’imaginaire collectif

 

1 US News, en ligne.

2  Trading Economics, en ligne.

3 OECD iLibrary, en ligne.

4 Antoinette R. Raquiza, 121-131.

5 Dwight H. Perkins. 118-121.

6 Observatory of Economic Complexity, en ligne.

7 Peter Andrée et al, 207-214.

8 Kym Anderson, 3007-3021.

9  Adil Najam et Susan Eckstein, 191-194.

10 Yasmin Y. Ortiga, 22-35.

 

 

 

Andrée, Peter, Jeffrey McKelvey Ayres, Micheal J. Bosia et Marie-Josée Massicote. 2014. Globalization and food sovereignty: global and local change in the new politics of food. Toronto : University of Toronto Press.

Eckstein Susan et Adil Najam. 2013. How immigrants impact their homelands. Durham : Duke University Press.

  1. Perkins. Dwight. 2013. East Asian Development: foundations and strategies. Cambridge (É-U) : Harvard University Press.

Kym Anderson. 2010. « Globalization’s effects on world agricultural trade, 1960-2050 ». Philosophical Transactions of the Royal Society B (Vol 365(1554)). 3007-3021.

OECD. 2016. OECD-FAO Agricultural Outlook 2016-2025. En ligne. https://www.oecd-ilibrary.org/agriculture-and-food/oecd-fao-agricultural-outlook-2016-2025/gdp-growth-rates-in-oecd-and-developing-countries_agr_outlook-2016-graph1-en (page consultée le 10 juin 2018).

Observatory of Economic Complexity. 2018. Exports by country. En ligne. https://atlas.media.mit.edu/en/visualize/tree_map/hs92/export/can/all/show/2016/ (page consultée le 10 juin 2018).

  1. Raquiza. 2013. State Structure, Policy Formation, and Economic Development in Southeast Asia. London : Routledge.

Trading Economics. 2018. Philippines GDP Annual Growth Rate. En ligne. https://tradingeconomics.com/philippines/gdp-growth-annual (page consultée le 10 juin 2018).

US News. 2018. Best countries to invest in. En ligne. https://www.usnews.com/news/best-countries/invest-in-full-list (page consultée le 10 juin 2018).

Yasmin Y. Ortiga. 2017. Emigration, Employability and Higher Education in the Philippines. London : Routledge.

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