Par Elisabeth Charron
À la fin du mois de janvier 2019, plus de 3 millions de citoyens ont participé au référendum permettant l’accélération de la mise en place de l’autonomie de la région de Mindanao, au sud des Philippines. Le « oui » l’emporta avec plus de 85% des votes, garantissant la tenue des premières élections du territoire en 2022 (Petty, 2019 et BBC, 2019). Ce référendum est le résultat de plusieurs années de négociations entre le gouvernement philippin et le groupe de résistance islamique Moro. La décision du président Rodrigo Duterte d’accorder l’autonomie à la population musulmane contraste avec son approche radicale mais traduit sa volonté de mettre fin aux conflits armés qui ont lieu à Mindanao depuis maintenant cinquante ans.
La présence de l’Islam aux Philippines n’est pas récente. Cette religion est arrivée près de deux siècles avant le christianisme. La population musulmane se retrouve principalement au sud de l’archipel et elle atteint les 5 millions d’habitants vers 1470. La venue des Espagnols au XVIe siècle marque le début des hostilités entre les deux groupes religieux à Mindanao alors que les Moros, le groupe ethnique musulman habitant le sud des Philippines, résistent à la colonisation espagnole et refuse de se convertir au christianisme. Néanmoins, les musulmans deviennent une minorité avec l’arrivée des Américains au début du XXe siècle alors que plusieurs chrétiens s’installent au sud. La population moro est marginalisée et délaissée par le gouvernement qui est majoritairement composé de chrétiens. Au milieu du XXe siècle, la discrimination accumulée durant plusieurs siècles de colonisation et l’augmentation de la conscience islamique provoquent un mouvement nationaliste basé sur l’identité religieuse de la région. Plusieurs groupes de résistance émergent et ont pour objectif d’obtenir le droit à l’autodétermination (Banlaoi, 2009).
Ce mouvement de résistance a entraîné des années de violences causées par la guerre entre les indépendantistes islamiques et l’armée philippine. Plus de 120 000 personnes ont perdu la vie depuis le début du conflit souligné par la création du Front National de Libération Moro (MNLF ou MILF) en 1969, une organisation séparatiste (BBC, 2019). De plus, la propagation transnationale récente d’idéologie extrémiste a également atteint Mindanao et est devenue un enjeu de sécurité nationale important pour les autorités philippines de même que le MNLF qui chercher à contrôler les groupes radicaux (Banlaoi, 2009).
En mai 2017, les membres du groupe islamique radical de Maute prennent d’assaut la ville de Marawi et il s’ensuit une bataille qui dure plusieurs mois, forçant plus de 90% de la population à évacuer la ville. Afin de répondre à la crise, Duterte déclare la loi martiale dans l’ensemble de la région de Mindanao. En juillet, le président prolonge l’occupation militaire jusqu’en décembre 2017, jugeant cette décision nécessaire afin de pouvoir réinstaurer la paix et la stabilité de la ville. En octobre, la ville est libérée après que la campagne militaire eût causé la mort de plus de 1100 personnes, dont plusieurs dirigeants des groupes extrémistes (Franco, 2017).
La réponse de Duterte durant la bataille de Marawi est caractéristique de l’approche radicale que le président adopte lorsqu’il gère des enjeux de sécurité nationale. Originaire du sud et ancien maire de Davao, il donne la voix à la minorité moro lors des élections de 2016 et promet de ramener la paix dans la région. Après plusieurs années de discrimination et de marginalisation, Duterte offre à la population moro une alternative politique qui s’éloigne du modèle libéral qui n’avait pas su résoudre la lutte de la rébellion islamique. En dissociant le politique de la morale, Rodrigo Duterte considère les conflits armés essentiels afin d’aborder une approche centrée sur les enjeux de sécurités nationales. Ainsi, il tend à négliger les droits de l’homme afin de protéger la vie du peuple philippin et rétablir la paix dans le sud de l’archipel (Maboloc, 2017).
Alors que la décision d’instaurer la loi martiale à Marawi se base sur une position radicale et sur des politiques temporaires, Duterte considère l’instauration de la loi de Bangsamoro propose une solution durable et pacifique. Précédemment créée sous la présidence d’Aquino III, cette dernière permettra d’obtenir le cadre légal afin d’établir une région politiquement autonome à Mindanao connu sous le nom de Bangasmoro. En 2016, deux mois après son entrée en fonction, Duterte s’empresse de reconstituer la Commission de la Transition Bangsamaro qui avait pour but d’implanter cette loi (Maboloc, 2018). L’échec de l’établissement de la loi par le gouvernement d’Aquino avait provoqué la stagnation des démarches entreprises alors que les conflits causés par la rébellion islamique augmentaient. En plus de réinstaurer la commission, Duterte augmente le nombre de membres pour permettre une meilleure représentation et une meilleure intégration (Franco, 2017).
Le référendum de 2019 est la dernière étape entreprise par l’administration Duterte pour ac
corder l’autonomie à Mindanao. En plus d’avoir son propre parlement, l’autonomie offrirait à l’île l’opportunité de se développer en exploitant les riches ressources naturelles. Ce gouvernement sera pris en charge par le MNFL qui s’engage à désarmer les troupes de rebelles en retour (Dardard, 2019). Les politiques intégratrices de Duterte s’enlignent avec une approche populiste ; il saisit le nationaliste du sud auquel les musulmans s’identifient en tant que moro plutôt que Philippins et, en utilisant une démarche intégratrice, il légitimisme la cause pour laquelle les rebelles Moro se battent. La promesse d’une région autonome remplie par le référendum de 2019 est les résultats du populisme de Duterte ainsi que sa détermination à mettre fin aux conflits de Mindanao (Maboloc, 2017).
Bibliographie
Banlaoi, Rommel C. 2009. « Transnationnal Islam in the Philippines » Dans Transnational Islam in South and Southeast Asia: Movements, Networks, and Conflict Dynamics. Seatle : The National Bureau of Asian Research.
Dardard, Marianne. « Les Philippines se prononcent sur l’autonomie des musulmans » La Croix, 21 janvier 2019. < https://www.la-croix.com/Monde/Asie-et-Oceanie/Philippines-prononcent-lautonomie-musulmans-2019-01-21-1200996834>
Franco, Joseph. 2017. « Assessing the feasibility of a ‘wilayah Mindanao’ » Dans Perspectives on Terrorism 11 (4) : 29-38.
Franco, Joseph. 2017. « Uncertainty in Duterte’s Muslim Mindanao » Dans Southeast Asian Affairs 2017, Ed. Singh, Daljit et Malcom Cook. ISEAS–Yusof Ishak Institute.
Maboloc, Christopher Ryan. 2017. « Situating the Mindanao Agenda in the Radical Politics of President Duterte » Dans IQRA: Journal of Al Qalam Institute 4 : 3-24
Maboloc, Christopher Ryan. 2018. « The Radical Politics of Nation-States : The Case of President Rodrigo Duterte » Dans Journal of ASEAN Studies 6 (1) : 111-129.
Petty, Martin. « Philippine referendum returns big ‘yes’ vote on Bangsamoro self-rule » Reuters, 26 janvier 2019, < https://www.reuters.com/article/us-philippines-politics-autonomy/philippine-referendum-returns-big-yes-vote-on-bangsamoro-self-rule-idUSKCN1PK068>
« Philippines holds autonomy referendum in restive Mindanao », BBC News, 21 janvier 2019. < https://www.bbc.com/news/world-asia-46942372>